la critique, l’université et le web

l’excès, le fantastique, Daeninckx ou Macé : belle moisson critique... et grand silence web !


Que j’aime cette phrase de Rabelais dans le chapitre XXXVII du Tiers Livre (le sien, pas le mien), juste cette irruption du e muet là où nous avons remplacé par le masculin : Tout ce fut fait en grande silence...

C’est une discussion au long cours, et qui fera le thème (en partie) de mon intervention à colloque Figura, les 4/5 juin, à Montréal : que demandons-nous à la théorie, comment pouvons-nous dialoguer avec les universitaires ?

Ces dernières années, j’ai pris mes appuis théoriques ailleurs. Cela n’empêchait pas de lire le nécessaire Rancière, ou le travail de fond (autobiographie, personnages, sujet) de théoriciens comme Dominique Viart, Dominique Rabaté, Alexandre Gefen et quelques autres de leur très active constellation.

Mais le changement de paradigme auquel il me semble que nous sommes globalement confrontés, et qui invalide de plus en plus profondément (expliquant en partie la désaffection des étudiants ?) l’université, via ces divisions obsolètes en genre et en siècles, me faisait aller chercher plutôt mes outils théoriques, par exemple, dans les livres de Deleuze sur le cinéma (moi qui n’y vais jamais, au cinéma...).

Alors grand plaisir, ces dernières semaines, à voir arriver tout un ensemble d’essais qui remettent eux aussi en question ces anciens paradigmes, dans une approche plus globale, et un dialogue à réamorcer.

Seulement, la rencontre avec ces livres peut-elle se suffire du schéma traditionnel : diffusion très restreinte via les bibliothèques universitaires, recension et sommaire dans l’inépuisable fabula ? Alors que nous travaillons (en tout cas, à publie.net), sur les accès bibliothèques par abonnements, sur les nuages d’annotations partagées, sur des moteurs de recherche plein texte avec des tas de pondérations analogiques, quel possible destin actif, y compris dans le dialogue du chercheur et de ses étudiants, de l’objet clos qu’ils nous livrent ?

Pourquoi un livre ? La question n’est pas du tout naïve. Y compris quand on y répond par la positive, voir cette intervention de Jean-Michel Salaün, et la multiplicité des dimensions y compris symboliques qu’elle pose, avec réponses argumentées de quelqu’un qui sait ce qu’on doit aux ressources et usages du numérique : le livre en tant qu’objet transitionnel, stable, circonscrit, inscrit dans une tradition.

 

Gleize, L’Excès, Daeninckx...

On vous incite donc à trouver, commander, aller lire :
 Sorties de Jean-Marie Gleize, Questions théoriques, collection Forbidden Beach, extrait Calaméo en ligne via plate-forme blogspot de l’éditeur. Voir aussi recension fabula.

 L’objet de la critique littéraire de Richard Shusterman, Questions théoriques, collection SaggioCasino, extrait Calaméo en ligne et recension fabula

 à deux ans (seulement !) du colloque tenu à l’université de Lyon, l’ouvrage collectif L’excès, signe ou poncif de la modernité, dirigé par Lionel Verdier et Gilles Bonnet, voir recension fabula, 25 interventions, de Fondane (Jérôme Thelot) à quelques contemporains comme Claude Simon, Perec, Michon, Chevillard, Leslie Kaplan... Est-ce que précisément un livre comme celui-ci n’aurait pas gagné à une diffusion numérique plus rapide ? Est-ce que la mise à disposition commerciale des interventions, notamment via les ressources numériques des bibliothèques universitaires, n’aurait pas, tous ces deux ans écoulés, circulé auprès d’étudiants eux-mêmes attelés à ces auteurs ? Est-ce qu’une diffusion numérique préalable, ces 2 ans, n’aurait pas contribué au contraire à préparer la parution du livre et solidifier son accueil, sa diffusion ?

 Lire Didier Daeninckx, par Gianfranco Rubino : l’an passé, Dominique Viart lançait avec les éditions Bordas une collection Écrivains au présent, études d’oeuvre (Quignard, Echenoz, Annie Ernaux, moi-même) : sans appui ni dialogue Internet, une telle collection peut-elle vivre ? Bordas ont préféré s’en tenir à l’approche traditionnelle, et puis fermer le robinet. C’est chez Armand Colin que paraît le travail de Gianfranco Rubino sur l’oeuvre éminemment politique, trans-genre, de Didier Daeninckx : La remontée mémorielle ou la reconstruction historique sont finalisées à la mise en question du présent, dont on ne comprendrait autrement le sens. Ce sens est historique, et pour le saisir il est indispensable d’en envisager une archéologie : une archéologie du présent, dont le domaine d’application est politique. [...] On peut partager ou non cette réflexion politique, mais c’est là un gage de cohérence interprétative et narrative. Il reste que celle qui s’est voulue une « écriture-contre » doit tenir compte, ce qu’elle fait déjà, d’une époque où la fin des grandes perspectives eschatologiques et la mondialisation rendent problématique tout antagonisme frontal. Très fine approche de Gianfranco Rubino. Sur Internet : voir recension fabula.

 

Met et le fantastique, Enjeux contemporains, Macé...

D’autres recommandations, enfin :
 La lettre tue, spectre(s) de l’écrit fantastique, Philippe Met, Septentrion. D’une part, parce que – pour combien d’entre nous ? – le fantastique c’est le plus haut et le plus mystérieux, le plus rarement réservé, de la littérature. Et bien rares les ouvrages qui nous permettent d’y entrer, voir comment c’est fait, ce qu’il a fallu de gestation, produire les liens. Philippe Met prend une piste ingrate : la présence et le rôle, dans les textes fantastiques, des textes et des écrits eux-mêmes. Alors bien sûr la Lettre volée de Poe, bien sûr L’Aleph et les Fictions de Borges. Et une mine continue de textes que seul le chercheur peut dépister et connaître, qu’il nous résume, son livre devenant alors comme une sorte de 1001 nuits de l’invention fantastique : lecture à effet garanti, en oubliant toute la théorie. Mais l’autre coup de force de Philippe Met, c’est de prendre comme un univers autonome le fantastique dont il traite. On a tout aussi bien Mérimée et Stevenson, pas possible d’appréhender cette autonomie sans question sur l’origine et les textes fondateurs, mais alors explosent les anciennes frontières entre littérature populaire (Frankenstein, Dracula) et littérature savante (Borges, James). Philippe Met nous emmène par la main dans un dédale de textes de Lovecraft dont l’énoncé seul des titres est une sorte de rêve éveillé, qu’il ira prolonger chez Hanns Heinz Ewers, chez Ghelderode. Enfin, place discrète dans le livre pour une sorte de météorite insoluble dans l’histoire littéraire, Jean Ray, et visiblement Met y trouve aussi son compte de bonheur, de raconteur. On se prend à rêver d’une édition numérique qui, là, aurait permis d’accompagner chaque incise critique d’une anthologie... Alors encore une fois, recension fabula, générosité de l’éditeur qui nous offre le sommaire pdf.

 Pour terminer, d’abord parce que c’est un auteur important pour moi (ce qui ne veux pas dire qu’on se connaisse tant que ça, d’ailleurs l’autre jour aux Millefeuilles, à peine vraiment si on a parlé, alors que ses livres ont une place depuis longtemps dans mon atelier le plus personnel...), Karine Gros, L’oeuvre de Gérard Macé. Mais là, pour les deux ouvrages qui paraissent dans la collection Contemporanéités du québécois Nota Bene – l’autre étant dirigé par René Audet, Enjeux du contemporain – l’éditeur propose de feuilleter une partie de l’ouvrage [1] et l’articule sur l’activité web de René Audet (par ailleurs fondateur avec Alexandre Gefen de Fabula), le site auteurs.contemporain.info ou sa participation à l’équipe du récent Salon double.

Alors la publication papier s’inscrit dans une galaxie ouverte, elle-même espace de travail, et où le livre, pour être vu et repéré, mais d’abord pour devenir atelier, espace ouvert de réflexion et de partage, se présente indissociable de l’activité web.

Et c’est ainsi, pour ma part, que je comprends le Pourquoi un livre ? de Jean-Michel Salaün : entre le livre et le numérique il ne s’agit pas de querelle des anciens et des modernes, mais bien de poser une interactivité, et de la poser au nom de nos recherches, qui passent forcément par l’échange et l’interactivité, cette question donc n’est valide qu’à condition que les auteurs universitaires ou littéraires se posent aussi la question de leur implication numérique – ce que pose depuis longtemps JMS, référence de longue date pour nos réflexions...

Et merci à Contemporanéités, Karine Gros, l’auteur et René Audet, l’éditeur, de m’autoriser à reprendre ici, en plus des extraits proposés sur leur propre feuilleteuse, un passage du livre consacré à Gérard Macé, Lire par dessus l’épaule, ainsi qu’un passage de l’introduction de René : Le contemporain, autopsie d’un mort-né...

FB

Photo : porte-manteaux, École nationale supérieure, Jourdan

Karine Gros | Lire par dessus l’épaule
extrait de "L’oeuvre de Gérard Macé"

Karine Gros | sur Gérard Macé (lire par dessus l’épaule)

René Audet | Le contemporain, autopsie d’un mort-né
extrait de "Enjeux du contemporain"

René Audet | Enjeux du contemporain

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[1J’ajoute, l’ayant testée moi-même, que les acheteurs du livre, ou les bibliothèques universitaires, peuvent avoir accès à version numérique intégrale de l’ouvrage via ce feuilletoir, puisque Nota Bene fait partie de "l’entrepôt numérique" développé par le québécois DeMarque, qui va prendre en charge aussi la diffusion numérique de Gallimard et Le Seuil / Martinière, voir blog de Clément Laberge – et que nous sommes très heureux du dialogue en profondeur amorcé sur nos outils et les réflexions sur accès et webservice, la feuilleteuse québécoise proposant comme la nôtre un moteur de recherche plein texte extensible au catalogue, en attendant de s’ouvrir, comme déjà celle de l’immatériel-fr aux questions touchant les annotations partageables.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 mai 2009
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