#été2023 #08 | le pied nu de Balzac (avec un peu de Claude Simon aussi)

un cycle sur les outils d’invention et d’élaboration du roman


 

#08 | le pied nu de Balzac (avec un peu de Claude Simon aussi)


Nœud crucial dans la Comédie humaine, comme un peu plus tard chez Proust (à bien moins de distance de l’un à l’autre que nous le sommes désormais de Proust), le rôle des artistes à même le livre, agissant la nappe même du récit. Chez Proust, Bergotte l’écrivain, Elstir le peintre, Vinteuil le musicien, mais chacun dédoublé dans au moins une autre figure de sa discipline, et ce dédoublement reconduit comme par fractale (attention, teaser la #08bis !). Chez Balzac, les figures d’artistes se déploient comme à l’infini aussi, aussi bien les écrivains (Rubempré, d’Arthez, Lousteau, Camille Maupin et d’autres...) que le rôle multiple, diffracté, du peintre Joseph Bridau... Mais, dans les Études philosophiques, comme par hasard des textes initialement destinés à la revue L’Artiste, qui les payait généreusement, des textes centrés sur l’idée même de l’art et de l’artiste, avec cette figure centrale d’une dévoration réciproque — qu’on retrouvera aussi dans La recherche de l’absolu et bien sûr Louis Lambert.

Le chef d’oeuvre inconnu est un texte d’à peine trente pages, au motif initialement décalqué (au moins pour ses premières versions) de E.T.A. Hoffmann, composé dans l’élan même de La peau de chagrin, contemporain de sa publication.

Et ce passage à la fin devenu culte chez tous les Balzaciens (Georges Didi-Hubermann en avait même fait tout un livre, au début de son parcours), parce qu’interrogeant le statut même du réel dans sa représentation, et la représentation dans la médiation même de celui qui l’a conçue : le vieux peintre Frenhofer laissant entrer le réputé mais académique Porbus et le tout jeune Nicolas Poussin (autre étrangeté, ces personnages historiques pris comme rouages de la fiction) et leur dévoilant son oeuvre ultime. –– Apercevez-vous quelque chose ? –- Non, rien... Rien qu’un magma confus de formes et couleurs, un brouillard mais d’où sort ce pied nu, mais vivant. Vous ne disposer pas du texte immédiatement là, sur vos étagères ? Allez ici le relire...

Pour moi, un rendez-vous intérieurement pris depuis longtemps. Cette instance qui, dans la représentation même, peut atteindre à l’illusion de la vie, mais sur une parcelle étroitement délimitée, et à quel prix la rançon. Se confronter, mais ensemble, à ces dix lignes de la fin du récit de Balzac :

En s’approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d’un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme ; mais un pied délicieux, un pied vivant ! Ils restèrent pétrifiés d’admiration devant ce fragment échappé à une incroyable, à une lente et progressive destruction. Ce pied apparaissait là comme un torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi les décombres d’une ville incendiée.

On l’a dit et répété, Balzac ici non comme révérence, mais pour ces instances à nu du roman, fixées dans leur plein surgissement.

On va, pour rejoindre ce passage, s’en aller chez Claude SImon, et reprendre le début de Leçon de choses (Minuit, 1975), quand cette appellation valait pour toute l’initiation scientifique des écoles primaires, avec manuel.

Je me suis déjà servi de cette ouverture, le générique en 2 pages et demie, puis cette expansion en 40 pages, dans le cycle Vers un écrrire-film, mais sous un angle différent — et c’était en 2016...

Je voulais vous proposer de vous concentrer uniquement sur le début de ce mouvement dit « expansion ». Dans son « générique », Claude Simon a posé le décor. Dans ce décor, il va se saisir d’une chromo, figure banale et archétype, encadrée là, et tenter de se l’approprier exhaustivement. Une fois ce mouvement amorcé, il va l’entretenir et le déployer sur l’ensemble de ce décor, lambeaux de papiers peints, paysage vu de la fenêtre, calendrier des postes punaisé au mur, maçons qui arrivent pour tout mettre à bas, et finalement ce manuel de Leçon de choses abandonné sur le carrelage.

Et vous avez bien compris ce qu’on va faire. L’important c’est le point de départ : qu’il soit vôtre, qu’il participe de votre nécessité, seule et unique singularité ou nécessité. Peut-être déjà écrit, puisque nous avons emmagasinés 7 propositions, leurs compléments et un prologue ce qui fait quinze... Voire même en revenant dans le bureau de cet écrivain fictionnel que nous avons construit comme toute première proposition, depuis Annie Dillard... Ou bien lieu, mais lieu complet : avec situation et personnage, dont vous savez obscurément, de façon même floue et lacunaire, qu’il est sur votre route.

Alors se saisir d’un détail. Détail minuscule. Objet ou image (comme chez Claude Simon la chromo au mur, ou le calendrier des postes, ou le lambeau de papier peint), et se l’appréhender à bras le corps. L’écrire, mais exhaustivement (je n’ai jamais ici parlé de description, c’est bien plus physique.

Puis, une fois ce mouvement amorcé pour un détail, en s’acharnant sur cette rage (Ponge) ou volonté d’exhaustivité, la tenir le plus longtemps possible, lui faire avaler le plus possible de ce lieu, cette situation, vos personnages. Le plus longtemps possible ? Oui, pas seulement dix lignes, mais jusqu’à ce que vraiment vous soyez au bout — s’il faut plusieurs jours, pas grave. Juste penser qu’à Claude Simon il faut 40 pages pour y réussir...

Et à mercredi pour la #08bis, le chemin commence à solidement se construire !

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 juillet 2023
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