009 | 47°26’55.21 N – 0°43’37.59 E

le tour de Tours en 80 ronds-points


 

 ceci est le 9ème rond-point visité, voir liste des précédents ;

 première visite ? voir la présentation générale du projet, qui inclut aussi des invitations et un journal ;

 état actuel du protocole : vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (9 photos) ; vues du rond-point depuis son pourtour (2 photos) ; vue de l’intérieur du rond-point (1 photo) ; le Google Earth avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ; vidéo lecture (3’30), vidéo captation neutre (2’00) ; un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;

 la chaîne YouTube des performances la littérature se crie dans les ronds-points ;

 en partenariat Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps (pOlau) & Ciclic ;

 

journal de voyage


Est-ce si grave si certains des ronds-points explorés ont provisoirement moins d’histoires à raconter que ceux qui les précèdent ? Pourtant il n’est pas neutre, celui-ci : en mai dernier, au pied de cette architecture futuriste, dans cette rue pour perslonne, mangeant de la biomasse pour en faire de l’énergie, à côté des anciens magasins généraux de la SNCF sans vitres.

Je suis tout à côté du rond-point 004 (voir le trajet de l’un à l’autre) mais je sais bien qu’ici, dans cette zone la plus sensible de l’histoire ouvrière de la ville, l’histoire industrielle croisant l’histoire sociale, et la géographie des trains croisant la structuration routière et marchande de la ville, j’aurai à les explorer tous.

M’intéressait que ce soit un des rares endroits où les rails traversent la route sans aucune barrière ni protection. M’intéressait aussi de me confronter pour la première fois à un rond-point qui ne soit pas un cercle paysagé.

Ici, je découvre un cerclage de bois rempli des mêmes cailloux coupants qu’on met sur les ballasts des voies. C’est rempli à ras-bord, haut de 80 centimètres. Du coup ce sera facile d’y enterrer le livre (je l’ai enterré debout, puis recouvert de cailloux à l’horizontale pour le protéger – mais qu’est-ce que j’ai eu mal aux doigts après).

Quelle histoire peut raconter ce cylindre de cailloux, sinon son poids, dans ce désordre des choses ?

C’est une histoire sensorielle d’abord. La circulation par interruptions. Toutes les douze minutes un très beau camion de ciment accomplit une rotation dont je ne sais ni l’origine ni le but, enquête supplémentaire à mener (revenir, l’attendre, le suivre).

Dans le ciel, les avions de chasse : il semble que je sois pile dans l’axe des pistes. Au-dessus de moi : les deux pales gigantesques de l’ultra-moderne chaufferie à biomasse, et leur grondement régulier. Avoir appris un peu plus tôt que quatre techniciens suffisent pour faire tourner le monstre : ce qu nous enseigne le désert, ici, c’est donc lié à la requalification des tâches ?

Il faut que j’apprenne à ce que ce soit un travail de peu. Ici, la ville ne se camoufle pas avec fleurs et choses jolies. On est dans l’histoire, comme une plaie, de l’homme s’appropriant les choses. Qu’y a-t-il dans ces conteneurs dont il semble bien qu’ils soient dans le terrain vague depuis un siècle ? Qui pour s’inquiéter que l’aiguillage à même la route soit numéroté 596 ?

Comme je suis seul piéton (et pourtant non, ce qu’on rencontre de la ville par les ronds-points n’est pas l’avalanche des coques automobiles refermées sur leurs radios et leurs chemins obtus), les nombreuses camionnettes souvent ralentissent : il fait quoi, ce type, ici ? Les regards se croisent, je lance un bonjour. Artisans. Brasseurs de camions dans la ville-entrepôt. Est-ce qu’on se serait croisés sinon ?

C’est peut-être pour ça, que ce rond-point ne dit pas d’histoire : elle est encore à écrire, avec ces visages qui vous fixent un instant, derrière la vitre ouverte des camionnettes.

Et la voiture balai surgit ponctuellement au terme de la lecture.

 

éléments contingents et factuels


Reçu à la cantine du POLAU ce midi (salade verte, puis purée à l’oeuf dans grand plat collectif, et le bref échange avec les ouvriers arméniens du chantier) et, tandis qu’on parle du projet, question de Maud Le Floc’h qui me désarçonne : – Tu éprouves quoi, quand tu es sur tes ronds-points ? Et moi je lui réponds : – Rien, je n’éprouve rien. Après, du coup, je me sens vaguement coupable. La première fois j’avais un genre de trac, mais maintenant j’y vais comme chez moi, comme on va au boulot. Par contre, quand je reprends la voiture et que je rentre, je suis laminé, exactement comme après une lecture en public, ou n’importe quel passage scénique, ou rencontre. Je crois que c’est ça la clé. Du moment où je ferme la porte de ma bagnole, forcément garée à un peu de distance, que j’agrippe ma musette et mon pied photo, je suis au travail. Ça peut durer 1 heure, 2 heures, ou plus ou moins, c’est le travail de voir. Marcher, aller, faire le tour. Faire gaffe quand on traverse. Regarder la lumière. Comprendre la circulation. Cerner les bâtiments. Comprendre les signes. Voir ce qu’il y a par terre. Lire les plaques. Examiner les plantes. Prendre un petit bout de métal, verre ou caillou ou catadioptre qu’on rapportera dans sa poche. Ne rien savoir de ce qui sera dans ce journal et en être troublé. Puis s’occuper des appareils, préparer les prises vidéos. Régler le pied. Le diaph’. La focale. Vérifier le micro sur on. Penser au texte. À pas se faire écraser aussi. Penser à ce que ce rond-point précis va changer au projet pris globalement. Savoir qu’est-ce que c’est cette ville et pourquoi ici c’est comme ça. Alors non, vraiment je crois que je n’éprouve rien. Comme sur un tournage ou un plateau de théâtre : on a tellement de trucs à penser, puisque rien n’était prévisible, qu’on est totalement requis par ces quinze ou cent trucs simultanés. Après, oui. Là oui, ce soir, j’ai de l’affection pour le petit rond-point tambour, le cylindre avec ses cailloux. J’ai dû m’y prendre à trois reprises pour la vidéo de la lecture : je butais sur insatiabilités, je tombais dedans comme sur une plaque de verglas (du genre Québec l’hiver quand tu vas prendre ton bus à 6 heures du mat avec l’ordi sur le dos). À la 2ème prise, la chance du passage du camion ciment, et non, planté. À la 3ème, je me concentre très fort sur insatiable et hop, le mot passe. Du coup c’est dans le suivant, asservissements que je dérape, mais là je l’ai laissé comme ça. Voilà, ce qu’on éprouve, quand on voyage les ronds-points (voyeur, voyant, voyou, dit Maud Le Floc’h à la fin de la vidéo).

 

ce que le rond-point voit de la ville


 

le rond-point vu depuis ce qui l’entoure


 

intérieur du rond-point, Google Earth et vidéo


 

 

livre lu

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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 septembre 2014
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