François Bon : Daewoo, théâtre, roman |
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• le 14 novembre
2004, Daewoo a reçu le prix Wepler / La Poste revue de presse • "parler
pour ?": un entretien avec Jean-Claude Lebrun sur l'écriture
de Daewoo • "Finalement, on appelle roman un livre parce que..." - entretien avec Sylvain Bourmeau pour les Inrockuptibles (25 août) • sur France-Inter, page Daniel Mermet, et possibilité d'écouter l'heure passée avec Frédéric Bonnaud pour Charivari |
la photo de couverture du livre est extraite du film de Denis Robert "L'Affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo" |
• Daewoo, dossier virtuel •
Daewoo, visages, mémoire • Ce que je dois au mot Lorraine, 2004, pour le musée des beaux-Arts de Nancy • De bleu et de noir, 2002, réflexions sur le monde ouvrier à partir d'une visite des Chantiers de l'Atlantique • Paysage Fer, le livre, le film, notes de tournage inédites et nouvelles images (parmi les 1164 images photonumériques dont je dispose sur les bords de voie du Paris-Nancy) |
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Daewoo, d'abord un projet théâtre
• Daewoo a été créé au Festival
d'Avignon, du 18 au 24 juillet 2004, avec Christine Brücher, Julie
Pilod, Samira Sedira et Agnès Sourdillon - mise en scène
Charles Tordjman - scénographie et musiques Vincent Tordjman, assistant
ms Yedwart Ingey, lumières Christian Pineau, costumes Cidalia Da
Costa, son Dominique Petit Pour Charles Tordjman, directeur du Centre dramatique national de Nancy, et moi-même, l'aventure a commencé début 2003 - à Nancy, devant la machine à café du Centre dramatique - en lisant dans l'Est Républicain cette phrase:
Une envie immédiate : réagir, dans notre région, aux fermetures d’usines en chaîne. Un décor qui tienne dans un camion, un vrai théâtre qui soit beau, mais qui nous permette de dire là, dans les villes ouvrières du Val de Fensch et pas seulement au Centre dramatique, en quoi ce qui leur est infligé nous concerne. Pas témoigner, même si les salaires étaient bas et l'exploitation sauvage, la colère bien légitime et partagée. Dire en quoi ce qui est fait au travail nous atteint dans notre propre relation à la durée, au sens même de notre activité. Chercher avec nos outils, notre art, en quoi un événement social traverse forcément l'intimité des êtres, et que cela est globlement tu. Trois usines Daewoo flambant neuves, dont deux n’employant quasiment que des femmes, pour des objets symbole de la vie moderne, fours à micro-ondes, téléviseurs, profitent pendant huit ans d’une énorme masse d’aides publiques, et mettent la clé sous la porte lorsqu’elles cessent, laissant mille personnes au chômage. Avec Charles Tordjman, nous découvrons l’usine déjà vide. Un camion grue soulève l’enseigne Daewoo dans le ciel pour l’enlever: un gest social de conséquences aussi lourde, et rien dans et pour la mémoire. Juste un nom qu'on enlève. Alors c’est un gigantesque univers de langages que j’arpente : le vocabulaire de l’économie, qui considère légitime qu’une usine dure huit ans et s’en aille ; les récits de vie, et ce qui découle de ce monde de chiffres lorsqu’on l’applique au couple, aux enfants ; la violence sous-jacente, l’incendie de l’usine, occupations et séquestrations. Enfin tout ce qu’il y a après, quand les journaux n’en parlent plus : la « cellule de reclassement » qui fait elle-même faillite, les hypermarchés où on trouve des métiers provisoires, les études qui relient le chômage aux cancers. Surtout, que tous ces langages, qui se superposent sans se mêler, valent pour un phénomène qui frappe tout le pays. Mais, dans la vieille Lorraine, où les aciéries ont été remplacées par des parcs de loisir eux-mêmes en panne, où les mines de fer abandonnées s’effondrent sous les villes, tout cela plus à vif. Il n’était plus question de « théâtre sur ». Nous avons voulu un quatuor, des actrices capables d’arpenter verticalement ces langages, du « Lehrstück » hérité de Brecht à la farce, pour mettre en avant non pas le témoignage, mais le choc, et ce qui s’en induit pour la communauté. Non pas la misère pourtant réelle, mais les ressorts intérieurs de la colère ou de la résignation. Nous portions ces histoires, ces récits : telle qui s'est portée en avant dans la lutte collective, telle autre qui préfère ne pas réouvrir la plaie, et telle autre qui a préféré ne plus être. Oublier tout cela, et revenir à notre métier de théâtre : «qu’est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes ?», interrogeait Aristote. Parce qu’on est là aux franges actives et violentes du destin de notre société même. Et sans préméditation, que tous ces mots entendus, ces paysages traversés, la petite ville arpentée, donnerait naissance à un récit, que ces paroles nous puissions les renvoyer avec le théâtre au lieu même des fractures qui les avaient fait sourdre... FB - CT, avril 2004
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