#été2023 #14 | immersion visuelle, Joy Sorman reste en gare

un cycle pour amplifier invention et construction du roman


 

#14 | immersion visuelle, Joy Sorman reste en gare


Dans la #13, on partait d’un constat : la propension à séparer la part visuel du contexte sous forme (mode réducteur d’un mot sur lequel on reviendra, description) de décor, de ce qui concerne la trame motrice de la narration, construction de situation, construction de personnages, mode de relation entre eux.

J’avais donc proposé, depuis ce texte étonnant (par sa construction, tout d’abord) de Blaise Cendrars, pour accompagner des photos de Robert Doisneau, Banlieue de Paris, d’en reprendre le dispositif, en faisant abstraction de sa possible insertion dans le travail en cours. Se poser en un point de son propre récit, et en explorer selon le même principe les quatre points cardinaux. Ce point précis du récit n’étant plus lié à ses propres conditions de situation, mais dans une approche quasi « géographique » presque globale.

Ce que cela nous révèle à nous, auteur du texte, et comment cela nous aide à le reprendre comme en filigrane, conscient de cet entour visuel, de cette spatialisation même de la part la plus abstraite du texte. Quel récit de Beckett, dans son abstraction et son dépouillement, nous autoriserait à faire le lien avec cette « maison de campagne » des environs de Paris (pas si loin il s’y rendait en 2CV), sa forme quasi cubique dans un terrain carré entouré d’un mur donc lui aussi carré et plus haut que les yeux ? Quelle description ou quelle anecdote touchant cette maison ne nous rappellerait pas tel ou tel récit de Beckett, par exemple Mal vu mal dit où une phrase est capable de commencer côté extérieur (ou l’inverse) d’un mur et se clore côté intérieur (ou l’inverse) ?

C’est ce qu’on va poursuivre, mais dans un sentiment d’importance qui m’a fait hésiter à placer cette proposition en simple rebond « #13bis » comme on l’a fait jusqu’ici, et reprendre plutôt notre rythme hebdomadaire.

Ce que je voulais vous proposer : à nouveau se concentrer sur un point précis, bifurcation importante, rassemblement ou densité, parmi les 25 contributions déjà mises en ligne, si vous suivez ce cycle depuis le début. Si cette scène, situation, bifurcation, reste encore à écrire, vous la traiterez de la même façon, mais donc concernant scène imaginaire.

Le principe par contre sera fixe : cette scène, en renversement complet de la proposition depuis Cendrars, on va l’examiner de l’extérieur.

Je cite ce magnifique et bref essai de Deleuze, Proust et les signes dont on ne souligne jamais assez comment il a été publié dans le tout premier ébranlement des études proustiennes, et où il décrit un à un les dispositifs optiques qu’installe Proust en amont des différentes scènes de la Recherche (une des plus magiques, outre la scène Charlus-Jupien vue depuis la coupole en haut de l’escalier, celle de l’attente de Saint-Loup dans sa chambre de caserne, avec juste le bruit du feu et celui d’une montre).

À partir de là, deux stratégies : soit vous utilisez ce dispositif optique, imaginaire ou réel, qui vous permet de voir la scène à distance (je cite aussi les petites sphères-monde dans L’Aleph de Borges), mais alors presque en tant que film muet, le visible et tout le visible, personnages, costumes, ambiances, déco, objets inclus, soit vous êtes immergé (mais invisible par les protagonistes, comme Tadeusz Kantor au milieu de sa Classe morte) dans la scène elle-même, mais de nouveau c’est uniquement ce contexte visuel que vous vous appropriez, sans voix ni paroles, ni action.

C’est la raison de mon choix pour le texte d’appui, l’ouverture de Gare du nord de Joy Sorman, 2011. Expérience qu’on avait partagée, moi-même aux mêmes dates avec injonction de 7 jours sans quitter la dalle de la Défense, mais j’avais préféré la forme livre-web pour témoignage et bilan (voir ici, ou passer par le roman-photo.

Le livre publié après cette semaine d’immersion in situ par Joy Sorman conserve strictement la forme journal. Son chapitre d’ouverture : la foule, les galeries, les rames, le labyrinthe, et pas de rencontres ni conversations encore. Le livre est devenu un classique (mon site aussi, remarque), heureux qu’on vienne aujourd’hui le visiter.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 24 septembre 2023
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