roman-photo | on vous attribuait un numéro

résidence Paris en Toutes Lettres, immersion d’une semaine à la Défense


On vous attribuait un numéro, là-haut, dans le centre commercial. C’était automatique, et on ne choisissait pas. Alors, ensuite, on descendait. Quand on faisait des reproches à l’état dans lequel on trouvait ici les lieux, l’état du sol sous les crachats, les poubelles non relevées, l’éclairage déficient, on vous répondait que c’était délibéré : il ne fallait pas inciter les gens à stationner, et surtout ceux qui n’y étaient pas désirés. Et ces jeunes femmes, là, avec leurs poussettes, j’avais rétorqué, et eux, là, qui revenaient du nettoyage des tours ? Ils avaient détourné la conversation. De toute façon, ce n’est pas tous les jours, ils m’avaient répondu.

C’était solennel, le tirage des numéros, dans le centre commercial.
Lorsqu’on vous avait informé qu’il faudrait passer au tirage, vous vous y rendiez le jour même. Quelle importance, les déménagements, dans ce nouveau système, tout était pareil, où que vous alliez. Et si vous-même étiez affecté à tel numéro, d’autres aussi devaient ce soir-là laisser la place, on avait rarement trace d’incident, au pire on les réglait par quelque mesure transitoire : comme cet hôtel de seize étages à vue des tours (j’étais au septième, j’avais eu le temps de voir, ici, qui tournait).

Ensuite, on partait dans le couloir. Chaque numéro correspondait à une porte. Et lorsque vous étiez dans le bus, vous découvriez votre destination.
La ville était partout elle-même, partout la ville : n’était-il pas plus juste d’y changer régulièrement de place ?

On protestait cependant : il aurait pu y avoir ici un peu plus de gaieté. On aurait pu vous informer, avant que la porte de verre coulisse derrière la balustrade de fer, lorsque les engins jaunes venaient se garer dans le souterrain, leur porte face à votre porte, de ce que vous trouveriez à destination, un point d’information, l’adresse des magasins, des services où refaire les formalités habituelles, nouvelle adresse pour les mois à venir, jusqu’au prochain numéro, emplacement de l’école et des des courses.

Non, rien de tout cela. Vous attendiez près du numéro attribué (s’en éloigner durant l’attente n’était guère possible, les bus ne restaient pas longtemps à l’arrêt, lorsque les portes correspondaient et s’ouvraient).
Il paraît que le système fonctionnait très bien dans de nombreux pays, alors pourquoi pas ici. On disait que de toute façon les numéros attribués, ceux qui figuraient au-dessus des portes, n’étaient pas des destinations lointaines, mais ce tissu de communes qui entouraient les tours, quartier par quartier, nom par nom – et que cette circulation des habitants était indispensable désormais à l’équilibre.

Ce qui pourtant bloquait le système, c’est la partie de la question à laquelle ils ne vous répondaient pas : les autres, ceux qui dans les tours n’étaient pas astreints aux tâches de nettoiement, de ravalement et d’entretien, n’étaient pas astreints aux horaires de l’aube ou du soir dans les tours vides, ceux qui débarquaient là le matin par le train ou depuis les parkings, pourquoi, eux, on ne les contraignait pas à l’échange des numéros ?

Il paraît que cela simplifiait en cas de main d’oeuvre surnuméraire : dans ce cas, on vous éloignait et voilà, cela suffisait, tout le monde comprenait. Des quartiers étaient réservés aux attributions surnuméraires, avec une prise en charge améliorée.

J’avais interrogé les deux jeunes femmes, avec les poussettes, et quelques sacs d’affaires : – Ce sont les enfants, qui ne comprennent pas, m’avait dit la première. – Leur expliquer, on ne sait pas, m’avait dit la deuxième.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 mai 2011
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