qui fera parler Alberto Manguel ?

[audio] une heure avec Alberto Manguel à Poitiers


 à l’écoute :
Poitiers, le 19 mai 2008 : une heure avec Alberto Manguel

 

Je me souviens, je crois à Villepinte, en Seine Saint-Denis, quand le collège avait décidé de s’appeler Françoise-Dolto, mais qu’il fallait une dérogation pour je ne sais quel délai après disparition... A Poitiers, à trois pas de la préfecture (où sont d’ailleurs des lycéens avec banderoles), le lycée Victor-Hugo continuera de s’appeler Victor-Hugo. Mais le nouveau CDI, tout lumineux, avec ses coins lecture, ses ordis, sa terrasse, s’appellera Alberto-Manguel.

Hommage évidemment mérité. Il semble que même Alberto ne soit pas pleinement conscient de l’importance de son legs [1] : quand le livre devient sa propre fiction, ou matière de son propre imaginaire – et quelle importance l’oeuvre de Borges ici (on sait qu’à 16 ans, pour une période de 3 ans, à raison de 2 à 3 séances par semaine, Alberto a été le lecteur privé du grand écrivain aveugle)–, il lui est revenu de l’arborifier, l’organiser, avec notamment son Histoire de la lecture ou tout ce qui relève de sa formule essai sur les mots et sur le monde. Depuis Manguel, la nuit qu’est la bibliothèque s’est agrandie, en devenant territoire même de la rêverie. Surtout, cette formidable errance entre les langues : avec lui, nous brisons l’enfermement d’une identité-langue. C’est ce déplacement de territoire dont nous sommes redevables à Alberto Manguel : rien de plus intime que la lecture, et pourtant rien de plus historicisé, remontant aux fondements même de notre rapport au temps, au dehors, à l’autre. Et rien de plus imbriqué que le rapport de l’écriture à la lecture, mais un renversement essentiel : et si lire passait avant même écrire ?

Et puis il vient en voisin : parmi plusieurs fiertés littéraires, la sous-préfecture de Châtellerault peut s’enorgueillir de cette grange, en pleine campagne poitevine, devenue le havre de sa bibliothèque de 30 000 livres.

Donc, Alberto coupera le ruban tricolore d’inauguration. Mais aussitôt après, il parle : ne pas tomber dans le ridicule de tels gestes parfaitement symboliques, dit-il. Et continue tranquillement en disant que ce qu’il accepte, ce faisant, c’est un accompagnement aux élèves qui le souhaiteront, accompagnement vers les livres, ceux présentés ici dans le CDI, pour le temps que son nom sera celui de leur bibliothèque. Et pour cela, d’ouvrir même sa propre maison au lycée. Il dit qu’il prend cela comme une responsabilité, insiste sur le mot, et au nom de quoi – la lecture, le désastre du monde – il la prend. Et dès ce printemps des élèves sont venus chez lui, c’est tout simple, on lit, on parle littérature, on agit littérature ensemble. Et ça n’avait pas l’air d’une parole à la légère, ni son locuteur un plaisantin : on était dans un moment important.

Alain Quella-Villéger (historien, écrivain, spécialiste de Loti), pour l’équipe du lycée, m’avait donné lourde tâche. J’avais la trouille comme pas possible. Dialoguer avec Alberto pendant 1 heure chrono, et que ce soit en même temps emmener vers quelques points de son travail, en présenter les enjeux.

Je ne réécoute pas le fichier audio. Je ne veux pas réentendre mes phrases non finies, mes embrouillades.

Le texte que je lis au tout début c’est celui-ci. J’ai parlé un peu de Rabelais et Balzac, parce que, quand même, on est chez nous.

Ensuite, je ne sais plus rien. Je sais qu’Alberto a parlé de Don Quichotte, et rien que ça mérite l’écoute. De même, tout à la fin, il parle de Kipling. Entre-temps, il aura parlé de Borges, et analysé l’étrange nouvelle La quête d’Averroës. Il se livre à une charge sur le creative writing que je n’ai pas osé contredire. Vers le milieu, une belle charge contre les pays à ministère de l’identité nationale. Et d’autres choses, dont son choix de l’anglais comme langue d’écrivain. Ou bien sur le fait que notre mot d’imaginaire n’a pas son équivalent dans sa langue à lui, n’existe pas dans bien d’autres langues, et ce qui s’en induit. L’heure a passé vite. Peut-être, maintenant, que je saurais comment faire parler Alberto Manguel, et quoi lui demander. Peut-être que j’aurai moins peur : même sachant quel immense bonhomme c’est, ou bien sachant encore mieux cette humanité grande...


 

Alberto Manguel, Poitiers, 19 mai 2008
Alain Quella-Villéger, et les invités
Poitiers, lycée Victor-Hugo, le nouvel espace Alberto-Manguel
les lycéens ont désormais porte ouverte chez Alberto Manguel

[1voir page Manguel de son éditeur Actes Sud...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 mai 2008
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