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2010.06.20 | Québec adieux #5, une démolition

une autre date au hasard :
2017.01.26 | la frontière passe à Laredo

Bizarre de contempler son propre appartement sans plus de livres ni d’objets, juste de quoi camper en attendant l’avion. C’est comme s’il restait les traces, de l’imprimante ou des Pléiade Michaux.

Ce qui frappe, à Québec, c’est l’énormité de vue sur le paysage environnant : on distingue nettement des montagnes à 95 kilomètres. La ville est sur un cap, presque une falaise. Où j’habite, des échangeurs avec autoroute rejoignent le centre en créant une étrange friche urbaine, que j’ai photographiée mille fois. Là, c’est l’école du Cirque du Soleil qui s’y est installée, et dans le panorama de béton on voit des corps s’élever à dix mètres au-dessus du sol, tenus par des élastiques.

Une église autrefois surplombait la jonction. Des églises, la ville de Québec en a bien trop, certaines sont reconverties en bureaux ou en gîtes pour sans-abri, ou en maison des écrivains c’est en cours, mais elles ont peu d’intérêt architectural et ne témoignent que de la longue main-mise des Jésuites, le clergé est encore ici un gigantesque et anachronique propriétaire terrien.

Lorsque arrivèrent les autoroutes, cette église devait être démolie, et on avait paraît-il arraché in extremis la préservation du choeur au titre du patrimoine historique, et au privilège de l’ancienneté. Alors il restait ce pan troué, signe esthétique fort, mais probablement pas l’esthétique des affairistes et de la com’.

Y a-t-il une ville quelque part qui ne soit pas malade du monde ?

Avec ses tags et ses fresques, c’était un signe urbain aussi majestueux qu’inutile : presque une touche de la fluide Montréal dans la digne et vieille Québec. De la grande avenue qui descend du boulevard Levesque vers la côte d’Abraham, elle signait l’emprise de l’urbain sur son cap, dans l’immensité naturelle qu’ici on surplombait, et le majestueux éloignement du fleuve vers son estuaire. En janvier elle a été rasée, et depuis c’est un terrain vague – ciment gris éclaté au sol, entouré de grillages.

Motif : elle servait de défi d’escalade à des gamins, la nuit, c’était dangereux, alors raser. Motif plus sérieux : un hôtel de prestige va être construit ici, et tant pis pour l’horizon, il sera réservé aux clients.

Cette vidéo en est le principal héritage, elle a été considérablement vue :

Pour certains, c’était une fête, pour d’autres non, d’autres ont privilégié l’approche technique, et les pierres ont paraît-il été récupérées par un sculpteur pour décorer le hall du futur hôtel. Maintenant de toute façon c’est fini, on n’en parle plus.

Après tout, la démarche des Urbainculteurs, qui développent les cultures potagères sur les toits plats de ciment de la ville, font des expéditions commando pour lâcher des graines de courges sur les pelouses publiques, est bien plus intéressante – changement de paradigme, et je veux bien en être (voir Pechakucha).

Là, qu’au-dessus de ma table il n’y a plus mes livres, tout d’un coup je la revois, qui symbolisait si bien Québec, les quatre premiers mois qu’on la voisinait au quotidien – optique de ciment pour capter l’horizon géant, maintenant propriété privée.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juin 2010
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