#été2023 #04 | superposer les temps

un cycle dédié à l’invention et l’élaboration du roman


 

#04 | superposer les temps


Combien de fois on voit ça dans les polars, cette sorte de dédoublement ? Un personnage, dans un lieu précis, accomplit une action, et dans son monologue intérieur, qui s’y entremêle en italiques, la même traversée, une situation similaire, les mêmes lieux ou mêmes personnages, mais dans un temps différent.

Et c’est bien ce que je souhaitais vous proposer : même lieu, mêmes personnages (ou un seul, mais ce serait tellement mieux de penser une situation à plusieurs), situation similaire ou parallèle, mais deux temps totalement séparés et disjoints.

Cette question de superposition des temps dans une situation équivalente et personnages identiques est elle aussi un archétype du romanesque, elle diffracte dans toute l’histoire moderne de la littérature.

Ici à rebours de la vidéo, je prends deux exemples :

 Under the volcano de Malcolm Lowry, traversée de la Fête des morts rituelles au Mexique, mais il s’agit d’au moins quatre occurrences différentes, réparties sur plusieurs années, dont celle qui peu à peu émerge comme principale, et où le personnage principal, « le consul », trouvera à la fin la mort dans un ravin ;

 Bourlinguer de Cendrars, onze ports de mer qui sont chaque fois l’unité de lieu, mais le bref récit qui constitue chaque chapitre mêlant et superposant différentes occurrences de passage dans ce port (auquel Cendrars, fasciné par son propre dispositif et souhaitant l’appliquer à Paris, inventera ce titre extraordinaire : Paris, port-de-mer pour l’intégrer dans son livre — c’est le chapitre Anvers, le plus typique à cet égard, que je vous propose en téléchargement [1].

Et je cite longuement ce livre singulier de Balzac, un triptyque avec prologue, mais la première partie du triptyque emplissant plus de la moitié du livre, où un voyage en carriole de Paris à l’Isle-Adam (lieu à forte teneur autobiographique pour Balzac) se reproduit à une dizaine d’années d’écart, rassemblant dans le même trimbalage et la même « enclosure » (le confinement de la carriole) exactement les mêmes personnages.

Avec cette singularité que ce dédoublement à distance de temps est censé répondre à l’interrogation du prologue sur le bouleversement que va induire dans Paris et ses alentours l’irruption des chemins de fer. Un petit mystère balzacien de plus.

Chez Lowry, c’est à nous, lecteur, selon le contexte et en permanence dans le livre, de se repérer dans l’année qui contextualise la situation précise, le livre oscillant sans cesse, et dans la même tension de traversée d’une journée, ses processions, ses rituels, son cinéma et le rôle insistant d’une affiche, le dérèglement de l’alcool, d’une année à une autre.

Chez Balzac, les deux voyages sont symétriquement au début et à la fin du triptyque (sans compter que la partie médiane du triptyque fait elle aussi se croiser les mêmes personnages, mais cette fois dans le Paris social et mondain).

D’où ma proposition : un, se concentrer sur ce dédoublement avec même lieux, même situation, mêmes personnages, mais deux temps disjoints ; deux, l’installer dans un bloc continu mais où les deux temps vont s’enchevêtrer en permanence, tous deux au présent de l’indicatif (une voix en écho répète : au présent de l’indicatif), mais l’usage de l’italique permettant de se repérer dans cette alternance.

On essaye ? À vous !

 

[1et non pas Rotterdam, comme dit dans la vidéo, pour ça que je mets les deux chapitres, que vous compariez.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 juillet 2023
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