#été2023 #01 | Annie Dillard, le roman commence par en inventer l’auteur

cycle été 2023, de la construction du roman


 

#01 | Annie Dillard, le roman commence par en inventer l’auteur


À se tenir sur le bord de ce cycle qui s’ouvre, venait un premier défi : entrer dans l’écriture, laisser l’écriture créer son propre enjeu de formes, et appeler sa propre matière, alors même que nous n’en disposons pas. Fabriquer un dispositif qui entraîne l’écriture et lui permette de conquérir cette tension d’où pourra naître l’ampliation plus large, cette tension d’entre la singularité d’une forme et les figures du récit-matière.

C’est ainsi qu’est venue cette image souterraine, comme en filigrane dans la quête de cette proposition d’ouverture : tout est prêt pour écrire, un·e auteur·e est là, portrait arrêté, mais hors de nous, en avant de nous, et dont nous ne savons pas le texte en cours.

Alors, immédiatement, cette formulation : « portrait arrêté de l’auteur », comme Joyce avait pu lancer son titre Portrait de l’artiste en jeune homme, mais en le renversant.

C’est Balzac alors — parce que cette expression « comédies humaines » sera aussi un de nos filigranes —, qui présentait comme une radiographie ces « portraits arrêtés » multiples d’auteurs, chacun dans la configuration précise d’une tâche. C’est Rubembré bien sûr, c’est Daniel d’Arthez, c’est Lousteau, c’est surtout la haute figure féminine de Camille Maupin dans Béatrix.

Une multiplication qui, oui, devenait génératrice pour notre atelier : chacun·e contribuant part un·e auteur·e inventé·e, absorbé dans sa tâche, mais en amont du roman qui ne se détachera, tout armé, qu’à la fin du cycle.

Et que cette figure est un archétype : dans la vidéo je parle du Loup des steppes d’Herman Hesse, mais ce schéma culmine dans Proust, puisque la construction de l’auteur, une fois accomplie, ouvre circulairement au livre qu’on vient de lire. On la retrouve dans les nouvelles les plus hautes de Henry James, comme {}Les papiers d’Aspern ou La leçon du maître, ou L’image dans le tapis. C’est le dispositif narratif d’une des plus accomplies tentatives de Marguerite Duras, La mort du jeune aviateur anglais, placée juste après Écrire.

C’est infini : reparcourez votre propre bibliothèque, inventoriez les livres incluant narrativement figure de l’écrivain au travail précisément sur ce livre que vous lisez.

On peut s’en effrayer : construire un auteur, alors même qu’on ne sait pas ce qui va suivre, ce qu’on va soi-même écrire.

Mais justement, partir de cela : se détacher de soi-même, rêver seulement à l’écriture, et, hors de soi-même, fictivement, créer l’auteur·e qui correspond à ce rêve d’écriture.

On en a un accomplissement majeur, tout récent, avec le livre de Cécile Wajsbrot d’une auteure en résidence à Dresde pour un projet de retraduction du To the lighthouse de Virginia Woolf, et sur lequel on a déjà basé des exercices.

C’est là où viennent ces deux brefs livres d’Annie Dillard, fondatrice de cette idée d’essais fictionnels, qui sont chacun une suite construite de textes de 10 à 12 pages, dont chacun est une figure précise du rapport à l’écriture. Si spécifique, pour chacun·e d’entre nous, cette part de la bibliothèque avec des livres parlant directement du travail d’écrire.

Pour Annie Dillard, ce sont Apprendre à parler à une pierre et En vivant, en écrivant, on s’appuiera sur le second. Titre anglais A writing life (1989), détourné par le traducteur, Brice Matthieussent (Bourgois, 1996) par décalque d’un autre livre essentiel, arpentant le même territoire, le En lisant en écrivant de Julien Gracq — et rien à reprocher à cette traduction, elle sonne.

Ce livre : sept chapitres, qui sont autant de figures, lieu, moment, rituels, outils d’Annie Dillard dans son écriture, dans des temps différents et pour des livres différents. Mais, chaque fois, un « portrait arrêté » (cette expression me tenait toujours), d’elle-même au travail, sans que quoi que ce soit du reste soit évoqué.

Le chapitre deux, cette cabane à Cape Cod, comme illustration, et même un peu plus : comme il s’agit d’un chapitre encore dans la phase d’exposition du livre, la suite des thèmes, de paragraphe en paragraphe, sur les douze pages du chapitre, peuvent nous servir librement de matrice. Fenêtre, ou pas fenêtre, fauteuil, ou tabouret appuie-genoux, la nuit ou le matin ? Mais aussi le trajet pour s’y rendre, et puis tel moment particulier... Si vous ne disposez pas du livre, commencer par télécharger ce chapitre, merci.

Et, dans votre phase de préparation, ne pas oublier la rubrique « rencontres » de notre espace Patreon, puisque avec chacun·e de nos invité·e·s (les plus récents, Anne Savelli et Laurent Mauvignier, mais aussi Jacques Serena, Fabienne Swiatly, Antonin Crenn, Éric Pessan) c’est cela qu’on a exploré, la fabrique étape par étape de l’écriture. J’ai une affection particulière aussi pour cette vidéo de Jean-Philippe Toussaint à Ostende en 2007...

Mais Annie Dillard parle d’elle-même. Du moins on le suppose. Du moins elle fait comme si. On a ce droit, tous les droits, et on a exploré ça pierre à pierre dans notre cycle de l’autobiographie comme fiction, rien ne vous empêche d’en reparcourir les exercices, tout comme ceux des autres cycles, outils du roman, pousser la langue ou faire un livre : on n’a jamais construit de cycle, ici sur Tiers Livre, sans bâtir, à un moment précis, une idée réflexive et fictionnelle de l’auteur au travail. Sauf qu’aujourd’hui, ici même, on en fait le point de départ.

Donc plutôt, ou presque, un dispositif optique — la caméra avec laquelle on va voir-écrire le roman. Par exemple, en ouverture, dans le prologue, on s’est saisi d’un livre et d’un seul, et on a retiré ce livre du texte. Restaient, dans le texte, les conditions de la première lecture, la façon dont nous est parvenu ce livre, sa matérialité, et puis cette suite de pulsions énigmatiques par quoi il a pu prendre pour nous ce statut. Les figures qu’on en a dégagé peuvent vous servir de premier point d’appui.

Ou bien : aucun de nous pour en rêver, de ces temps et lieux uniquement voués à écrire ? Non pas forcément ce palais de fer et de cristal dont parle Baudelaire, mais les contraintes arbitraires du comment écrire ?

Aujourd’hui, cet auteur, masculin ou féminin, première ou troisième personne, mais au présent d’un travail dont — justement — on ne saura rien, sinon l’apercevoir écrivant, ce ou cette auteur·e. Il n’y a qu’à suivre, paragraphe par paragraphe, les pistes que présente Annie Dillard dans son chapitre deux.

Le grand défi de ces débuts d’écriture est là : avoir confiance pour installer ces micro-mondes, ce qui va nous sembler si fragile (ne pas craindre, pourtant, la longueur mais juste veiller à ne pas déborder de cette contrainte de thème), alors même qu’on ne sait rien de ce qui va suivre. Tâche de funambule ? Mais oui, ça fait aussi partie de l’apprentissage.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 juin 2023
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