#photofictions #03 | Nan Goldin, « je serai ton miroir »

photofictions : expérimenter d’autres formes de récit en partant des grands photographes


 

 

#photofictions #03 | Nan Goldin, « je serai ton miroir »


Et, tout en écoutant la vidéo ou lisant ici la consigne, télécharger et feuilleter le PDF avec sélection de 24 images, Nan Goldin, début des années 80... On en trouve aussi sur Internet, mais pas forcément l’angle d’approche choisi ici.

Dès le début de son parcours de photographe, à l’aube des années 80, Nan Goldin s’ancre dans un vocabulaire qui deviendra sa marque pour les 30 ans à venir : un travail basé sur la diapositive, un mode de publication, galeries, performances, musées basé sur la projection rapide et continue d’une séquence massive de ces diapositives (pour la série qui sert d’appui au PDF (The ballad of sexual dependency, environ 700) et immersion dans une musique conçue pour la projection.

Ce qui ancre aussi son travail, et l’érigera très vite en légende de la photographie — quand bien même c’est un paramètre qui traverse l’histoire de la photographie depuis l’origine, voir La chambre claire), c’est de photographier ce qui est son propre contexte autobiographique, sans trier parmi ce qui l’affecte ; c’est le cas dès cet underground new yorkais marqué par drogue et squats, ce le sera de façon encore plus violente et crue avec l’irruption du Sida.

« La photographie au-delà de la photographie », c’est une étiquette qui lui a été accolée dès le départ et c’est beaucoup trop vague : une photographie ne contient que ce qu’elle représente. Mais en quoi une représentation seulement visuelle, l’image diapositive peut-elle en appeler, pour qui la regarde, à une expérience sensible plus vaste, où l’ensemble des sens est convoqué pour en appréhender la totalité de dimension visuelle ?

Et ce serait la formulation la plus précise pour ce qu’on va tenter ici. Dans son titre, Je serai ton miroir, il y a sa propre inclusion de photographe dans la scène qu’elle cadre et fixe. Elle n’est pas en reportage, ni présente en tant qu’artiste vis-à-vis du sujet photographié –- on ne touche pas à l’arrangement de ce qu’il y a sur la table, on n’efface pas les salissures, on ne fait pas poser les corps. Ce qui est saisi par la représentation plane et cadrée, c’est un état présent de ce qui l’entoure à cet instant précis.

Donc des intérieurs : canapé sur fond de papier peint, lavabo sur fond de carrelage et bout de miroir salle de bain, lit défait. Mais tout y est d’égale présence, chaque détail de l’image participe à l’énoncé du sujet, bien au-delà du sujet lui-même.

De nouveau, quitte à insister encore, il me semble que la forme bloc de prose est celle qui rendra le mieux compte de cette planéité et de ce cadre, et de la force et des liens complémentaires qu’impose chaque zone de l’image dont on se saisit mentalement pour faire surface de texte.

Et s’interroger, avant tout, sur ce qu’on dépasse soi-même, là, dans cette proposition, de nos habituelles prises d’écriture. Quelle limite on en convoque, et comment on écrit depuis cette limite.

Ce qu’on prend de risque n’implique pas forcément que le contexte soit autobiographique. Cette notion d’intérieur n’implique pas forcément un contexte privé, comme c’est le cas chez Nan Goldin : métro, commerces ou galeries marchandes, une rue même peut-être considérée comme intérieur. Mais ce qui se convoque et se fabrique par l’écriture dans l’équivalence de tous points du cadre et de l’image, ça oui, on se le donne pour défi. On doit ici passer une frontière. Peut-être qu’au bout Beckett n’est pas si loin (voir aussi extrait de Malone meurt.

Alors bonnes écritures.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 18 septembre 2022
merci aux 288 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page