Jean-Daniel Magnin | la question du monstre

Actualitté rencontre JDM après la parution publie.net de "Le jeu continue après ta mort"


Merci à Actualitté de proposer un interview de Jean-Daniel Magnin par Bastien Morel.

On a vitalement, terriblement besoin de cette respiration : que nos textes soient lus, qu’ils soient tout simplement considérés, narration, poétique, enjeux sociaux, forme esthétique, comme on le fait des livres papier, indépendamment du support. Et vraiment fier d’accueillir sur publie.net un texte aussi emblématique de l’époque, son imaginaire, ses modes d’appréhension d’elle-même, le glissement aussi vers le fantastique et l’allégorie, que ce Le jeu continue après ta mort, vraie prouesse ou défi au roman.

Je dois dire que même moi je m’y suis fait piéger : le travail de Roxane (et petit zeste de Gwen, travail en équipe toujours) sur le texte de Jean-Daniel, les 3 semaines qu’elle y a passées, c’est un jeu de scripts très savants pour, en lecture iPad, bifurquer soudain dans des sous-couches divergentes du texte, et y resurgir soudain via des itinéraires différents. Comment repérer ces bifurcations, équilibre textes et graphismes, retour à la table des matières pour reprendre le fil linéaire si on se sent soudain absorbé par le texte devenu fou... Et paradoxe qui en est la conséquence : alors qu’on jouait vraiment avec les possibilités de l’iPad, les techniciens d’Apple, 12 jours plus tard, n’ont toujours pas validé notre texte pour iTune ! Et d’autre part une version seulement linéaire (mais gardant le jeu du double chemin subsidiaire) pour les liseuses et Kindle. On est tellement habitué à voir le texte numérique traité uniquement en fonction de ses performances techniques (et, ici, une vraie invention), qu’on est tout surpris de voir ça disparaître...

Eh non, et tant mieux ! Bastien Morel interroge un auteur, Jean-Daniel Magnin, sur la genèse de son récit et sur ses enjeux.... Merci donc à l’équipe d’Actualitté, et je m’autorise de reprendre ici cet entretien, à charge de revanche, cher Nicolas Gary.

Je suis aussi en mesure de confirmer qu’en septembre nous lançons, sous la direction éditoriale de Jean-Daniel Magnin, et en collaboration avec le comité de lecture du Rond-Point, une collection théâtre contemporain, et que c’est un rêve qui me tarabustait de longtemps.

Enfin, si tout va bien, rendez-vous courant juin pour la version papier de Le jeu continue après ta mort, version print on demand publie.papier avec accès gratuit à l’epub. Mais que ça n’empêche pas de profiter dès à présent de la version numérique...

Petite invitation aussi à explorer ce site vraiment iconoclaste dont Jean-Daniel Magnin est le rédacteur en chef : Vents contraires.

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Et content (ci-dessous) qu’un texte publie.net parvienne à se glisser enfin dans le jeu (sans jeu de mots) de la lecture numérique !

 

Bastien Morel & Jean-Daniel Magnin | Passionné par la question du monstre


Dans ce livre on retrouve quantité de référence au monde vidéoludique et à l’industrie du genre. Est-ce le livre d’un gamer ou a-t-il fallu vous documenter de façon exhaustive ?

C’est plutôt ça, oui. Je suis allé au salon du jeu vidéo, je n’ai jamais joué à aucun jeu mais ça m’intéresse.

 

Quel regard en avez-vous après ce travail ?

Je suis fasciné par la prouesse technique. J’aime regarder quand je suis tout seul les clips de Game One pour voir à quel point l’image de synthèse évolue dans une imitation de la réalité, mais aussi dans la rhétorique qu’elle ouvre sur le récit. Je suis toujours halluciné de voir que la vision First Person Shooter [vue subjective dans les jeux de tirs] est toujours aussi simple. Je me suis intéressé à beaucoup de choses différentes, au marketing, à la logique des sectes, aux jeux de rôles, et j’en suis arrivé aux jeux vidéo. Qu’on soit pratiquant ou pas, qu’on soit inféodé ou pas à ces compagnies, notre époque est traversée par ses problématiques. Donc si on écrit, on doit s’y intéresser.

 

Faut-il voir « Le Jeu » comme une anticipation numérique ou comme un conte philosophique ?

Plutôt une fantaisie. J’ai pensé à des faux manuscrits retrouvés dans le futur. Finalement, on peut dire que c’est le récit d’un menteur. Il raconte ses désirs d’aller au-delà de la réalité, mais aussi d’être surpuissant. C’est plus proche du conte philosophique que de l’anticipation même si je me suis amusé en creusant les données techniques et les procédés qui pourraient se développer dans le futur.

 

Ce roman est-il un plaidoyer pour vivre l’absolu avec nos propres moyens limités par le réel ? Et alerter du danger de se réfugier dans un virtuel sans vraie prise de risques personnels ?

Le personnage de la mère du héros, Vaira Nielsporte, est central dans sa biographie parce qu’elle mélange plusieurs époques et plusieurs temps. Elle est librement inspirée du personnage d’Orlan que j’ai rencontré depuis. J’ai écrit ce livre en même temps que j’organisais des conférences sur la question du monstre pour le Rond-Point. C’était passionnant d’écrire d’un côté ce roman et de l’autre rencontrer des personnes qui dans leur corps, leur destin ou leur courage dépassent une peur qu’on a tous de sortir d’un moule. Je considère que nous vivons à une époque où l’individu est libre au point de se modifier, de se projeter dans des zones inouïes. Je n’en fais pas l’apologie, mais ça m’intéresse.

 

Alors, autant ne pas verser dans les paradis artificiels, aujourd’hui virtuels ?

Je pense que le jeu vidéo est une métaphore de ce que l’on vit par ailleurs avec l’offre de consommation, l’idée que notre vie doit être comme un sapin de Noël garni de plein d’attributs. Je ne suis pas loin de penser que les Hikkikomoris sont des personnes très sensibles.

 

Ce sont ces Japonais qui se coupent du monde pour rester chez eux ?
Oui. Ce serait trop simple de dire que ce sont des victimes, que c’est une pure addiction. C’est aussi une forme de courage. Je me suis plutôt amusé à aller dans les combles. Quel serait le comble d’un hikkikomori ? C’est celui d’un jeune qui a disparu depuis l’âge de 13 ans. Que serait le comble de la surpuissance ? Ce serait de prendre le contrôle de tous les jeux qui existent et de les libérer. Ce serait d’être Alexandre le Grand des jeux, de réussir à connecter des jeux conçus par des éditeurs différents. Je n’ai pas eu envie de faire un roman réaliste. En avançant par ses combles on peut dépasser la simple question de savoir si on est pour ou contre.

 

Le personnage principal incarne l’adolescent entre besoin de refuge et absolu…
Thout’ représente tous ses enfants qui n’ont pas été abandonnés, mais qui peuvent souffrir d’un projet trop prégnant de la société ou des parents sur eux-mêmes. De sa naissance, pardon, avant même de naître, il est déjà connu. L’idée d’être connu qui fait florès à travers Facebook, lui en est le crucifié. Le livre commence comme ça, le héros crucifié sur une table de jeu.

 

Thout’ renverse la situation du monopole des éditeurs pour créer une fusion libre. C’est un message éminemment politique ?
De même qu’on peut dire que la mondialisation transforme en produit l’éducation ou les graines qui se reproduisent naturellement depuis que les végétaux existent, peut-être qu’un jour nos conversations seront payantes. Ce que nous sommes en train de nous dire sera facturé. Evidemment, qu’il y a cette dimension. Ce personnage est un héros parce qu’il s’est mis en travers de ce schéma.

 

Vos pièces précédentes sont marquées par des thématiques diverses : rapport à nos racines, la confrontation au corps, les hallucinations. Ce n’est pas anodin que ce premier livre les englobe toutes.
Je suis d’accord. J’ai des origines suisses et j’ai peut-être gardé l’art de la complication. J’ai décidé de lever le pied du frein et d’aller à fond dans mon travers.

 

Pour venir à l’écriture romanesque, on fait appel à son expérience de scénariste comme c’est votre cas ?

Pour moi cette expérience est une école qui me guide dans tout ce que j’écris. Depuis la guerre on a laissé les écrivains de théâtre dans une sorte de tour d’ivoire souterraine en leur donnant le nom orgueilleux d’auteur. Il n’y a pas cette idée de scénario à l’américaine, il n’y a pas cette idée de rhétorique de construction et au fond tout texte sorti d’un auteur est à prendre comme un produit terminé. Je me suis porté en faux, j’ai ouvert avec des collègues dans les années 90 une agence de scénaristes. On a lu Aristote, les dialogues d’Hitchcock, Truffaut. Effectivement, il y a une construction qu’il est bon de connaître, le scénario, en fait est une prise de conscience des enjeux du récit.

 

Comment la collaboration s’est faite avec votre éditeur, François Bon ?
J’ai envoyé le manuscrit comme on le fait par la poste et j’ai très vite compris que les éditeurs de science-fiction se trouvaient là devant un objet qui ne correspondait pas à leur pattern [habitude] ; et c’est en parlant avec François qu’on est arrivé à la conclusion que c’était un objet… Il m’a dit envoie-le moi. Le lendemain, il l’avait lu. J’ai compris qu’il attendait peut-être un type de narration qui corresponde à ce support [numérique].

 

Vous assumez les références comme Inception et Matrix ?

Matrix est un film que j’admire. Je ne l’avais pas vu à ce moment, mais le nom me plaisait. Mon idée était d’écrire Matrix sans le voir.

 

Vous imaginez l’adaptation de ce livre à un format visuel ?
Je pense que c’est possible et j’adorerai voir ça. Personnellement, je trouve que souvent la science-fiction, la fantasy pèchent par ce manteau d’arlequin qui reprend des éléments hétéroclites pris dans des sages, des mythologies. Et ça a un côté vraiment kitsch, alors que ce qui était beau dans Matrix, c’était cette pensée beaucoup plus radicale. Une vraie invention. Je pense qu’il y a matière, moi je l’ai vu ce film en l’écrivant. Et j’ai tout fait pour que le lecteur se fasse ce film qui est plutôt foisonnant et amusant.

 

Vos prochains projets ?
J’avais écrit un scénario il y a très longtemps qui s’appelle No Money, et qui d’une certaine manière est complètement d’actualité. On est un peu dans le mythe de Robin des bois, mais c’est l’histoire d’un petit Amadeus Mozart de l’économie qui comprend que la voie est de revenir au paléolithique, c’est-à-dire l’économie du don. J’ai aussi envie de quelque chose de très rêveur tout en travaillant la simplicité.

© Jean-Daniel Magnin & Actualitté.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 mai 2012
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