le numérique, l’édition, les auteurs

entretien avec Eric Legendre (Montréal)


Note du 26 février 2009 :
Complément du 26/02/2009. Merci à Martine Laval d’avoir consacré dans Télérama un dossier intitulé Quels blogueurs, ces écrivains (on y parle de Chloé Delaume, Claro et son Clavier cannibale, Martine Sonnet, Eric Chevillard, Emmanuelle Pagano, Alain Mabanckou) – toujours un peu déboussolé de considérer l’Internet comme un "en plus", ou un "à côté", alors que depuis bien longtemps, pour moi en tout cas, c’est juste la petite vitrine sur atelier... En tout cas, que la presse littéraire, et encore plus magazine, vienne s’intéresser à ce qu’on fait, c’est bien ça le signe qui compte. Encore que Télérama avait été le premier, en 1998, à consacrer un entretien à ma première page perso ! Je remets donc en Une cet entretien récent avec Eric Legendre, doctorant de Jean-Michel Salaun à Montreal (liens ci-dessous), concernant mon propre positionnement sur ces rapports blogs & écrivains, et ce que nous avons entrepris à [http://www.publie.net] avec notre coopérative d’édition numérique.

Présentation initiale, le 25 novembre 2008
Tous les familiers de la veille électronique concernant le numérique connaissent l’adresse du blog de Jean-Michel Salaun, qui, après une longue expérience à l’ENSSIB de Lyon, assure la direction du département de bibliothéconomie, formation bibliothécaires et documentalistes ou archivistes à l’université de Montréal, et dont les travaux ont renouvelé notre approche du document électronique.

Hier soir, au café Internet Laïk, quartier du Plateau à Montréal, café littéraire mêlant informellement intervenants et auditeurs, avec Jean-Michel Salaün donc, mais aussi Michel Pierssens, Bertrand Gervais pour le laboratoire NT2 de l’UQAM et quelques autres (je complèterai liens au retour – manquait quand même Clément Laberge !).

Et, en prologue à cette discussion, cet échange avec Eric Legendre, actuellement en thèse sous la direction de Jean-Michel Salaün. Compte tenu de l’ampleur prise par discussions récentes, et avec l’accord d’Éric et Jean-Michel, mise en page simultanée de cet entretien sur site Eric Legendre et ici sur tiers livre. Merci à eux tous.

 

entretien | un autre métier qui s’invente

 

L’intérêt du lancement de la liseuse électronique Kindle le 19 novembre dernier par Amazon résidait certes dans la découverte d’un tout nouvel appareil électronique — encore un ! Mais l’importance de l’annonce révélait également un modèle économique fermé ; un partenariat exclusif avec un très grand nombre d’éditeurs (surtout nord-américains) et ainsi, le renforcement de la position dominante d’Amazon. Quelle a été votre réaction initiale lors de cette annonce et du lancement de l’appareil ?
Difficile de se prononcer puisque le Kindle n’est pas encore disponible en France. Juste, à le toucher brièvement, impression de grande pertinence de l’appareil, puisque liaison wifi et possibilité de prise de note, on n’est plus dans le strict terminal lecture, mais face à un concept proche du mini ordinateur portable. Grande réticence à leur format propriétaire, Mobipocket : d’une part parce qu’ils ont confisqué sa version publique (Mobicreator n’a pas évolué depuis le rachat de Mobipocket par Amazon), d’autre part parce que pour nous, pour éditer numériquement en qualité suffisante des oeuves contemporaines complexes, on a besoin d’accéder à la boîte à outils, et c’est un format pauvre. Dernière remarque : pour la plupart des utilisateurs d’eReaders (Sony pour ma part), l’achat de livres numériques payants est un usage mineur, par rapport à la bibliothèque numérique d’accès libre, la conversion de flux, enfin la disposition de ses documents personnels (cours, conférences, doc etc). Pour revenir à Amazon, je suis surpris de la façon dont les blogs des auteurs Etats-Unis sont plus sages que les nôtres : leur but, vendre leur livre via Amazon avec commission partenaire. On est en France dans une configuration où, déjà, le blog est une instance de création littéraire, sans finalité obligatoire passant par vente du livre, et dépôt de cette instance là où réside le monopole – est-ce que ce sera suffisant pour nous protéger, pas de réponse pour autant. Voir comment Amazon devient prestataire direct de l’auteur pour une diffusion sans édition : il n’y a pas de vaccin préalable à ce genre de risque.

Disons... à la fin des années 90 et au début du millénaire, certains observateurs indiquent que le principal problème lié à l’édition électronique ne réside pas tant dans les appareils, les systèmes d’exploitation, voire même les formats, mais plutôt dans l’ouverture des droits par les éditeurs. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que cette problématique s’applique toujours aujourd’hui ? Publie.net s’inscrit visiblement dans une posture d’ouverture envers la multitude de plate-formes ?
Pour ma part, après 3 ans à beaucoup discuter avec les éditeurs de mon environnement proches, et non des moindres, allant jusqu’à la pré-version de concepts web 2.0 pour leurs sites, constat que de leur côté refus de mettre en danger leur structure industrielle (gros services de presse, éditeurs bien au chaud dans leurs bureaux, services de fab, représentants dont le travail de terrain est incroyable etc), et c’est probablement légitime. Ils acceptent en retour une recomposition de fond : rentabilité accrue d’un nombre plus restreint de livres, déplacement de leur équilibre vers la diffusion de masse (hyper, grosses enseignes, tandis que la librairie indépendante ne représente plus que 34% de la diffusion). Leur logique de protection drm, et de prix numérique équivalent au prix papier ou presque est donc cohérente. D’où la décision, avec quelques amis auteurs, de lancer cette coopérative d’édition numérique, textes sans dispositifs anti-copie, et moitié du prix téléchargement pour l’auteur – sans plus les attendre. Constat à un an d’existence : la logique de textes numériques hors livre, associés directement à des contrats d’édition spécifiquement conçus pour la diffusion Internet, se juxtapose avec celle qui consiste à transposer dans le numérique le marché du livre, mais ce sont deux logiques différentes. Du coup, le destin de la première me préoccupe moins, à eux de construire leur concept. Pour nous, décision de ne pas chercher à marier la carpe et le lapin : les textes que nous diffusons, leur nature de recherche et d’expérimentation contemporaines, font que l’édition traditionnelle y a globalement renoncé.

Que faut-il espérer à court terme : l’émergence à chaque fois d’un nouvel appareil pouvant rallier enfin les consommateurs à l’édition électronique ou alors l’éclatement des formes narratives permettant l’émergence de nouveaux modes d’écriture(s), d’édition(s) et forcément de lecture(s) ? En somme, quelle est la véritable force d’attraction des consommateurs vers l’édition électronique ?
Difficile de répondre, parce que la vitesse d’obsolescence des nouveaux supports fait penser à ce qui en était des ordinateurs il y a 10 ou 15 ans (la suite de mes Mac portable, depuis le premier 145 noir et blanc, que j’ai gardé !). On peut le déplorer. Mais on peut aussi se dire que c’est une chance immense, dont probablement les plus proches précédents c’est l’irruption de la presse et du feuilleton au 19ème, et directement l’invention de l’imprimerie, moins celle de Gutenberg que celle d’Aldo Manucio, le livre à large échelle. Lire sur iPhone, le PDF qui se recompose par pincement des deux doigts, et en même temps avoir accès visuellement à la totalité de ses sources Internet, c’est fascinant. Et, sans l’iPhone, peu probable que Mac saurait envisager la tablette navigateur qui se profile à l’horizon. Idem pour ma Sony PRS-505 : le confort de lecture est celui du livre. Je ne la regretterai pas, lorsqu’il s’agira de passer au 700 avec possibilité de prise de notes, mais aucun regret de m’y être mis tout de suite. Après, c’est : inconnu total. Oui, c’est parce que nous pratiquons ces nouveaux supports que l’écriture évolue. Il y a quelques années, on était très attentif aux écritures hyper texte, aux romans en ligne, à l’écriture collaborative etc. Aujourd’hui, c’est le rapport du blog à la table d’écriture principale qui me semble le paramètre le plus symptomatique d’une nouvelle posture : éclatement de la notion de temps pour la publication, prise en charge par l’écrivain du rapport de l’écriture dense à l’écriture de flux, là où, autrefois, il fallait attendre longtemps après la disparition de l’auteur pour voir paraître correspondance, journal, ébauches, alors que, pour Kafka, Rilke, Flaubert, Proust, c’est là que se joue peut-être le plus central de l’héritage.

Prenant l’exemple du cinéma, je suis d’avis qu’il faut tout repenser de fond en comble le rapport (ou l’antagonisme) du numérique avec le cinéma... car en somme le numérique est déjà intégré dans nombre de pratiques et à diverses étapes de production (vidéo ou film) depuis bien plus longtemps qu’on ne le pense. Peut-on se permettre d’évoquer, dans le domaine de l’édition, qu’il faille également repenser de fond en comble toute notre réflexion opposant (faussement !) le livre papier et le livre électronique ? Les éditeurs semblent éluder complètement qu’une grande partie de leur travail est déjà inscrit dans le livre électronique. Les éditeurs n’ont-ils pas laissé passer le train ?
Sans surcharger la référence au cinéma, qui n’est pas mon domaine, ce qui se passe pour la littérature est significatif : la mutation change aussi nos usages de terrain. Internet, ce n’est pas la dématérialisation ou une dé-géolocalisation, c’est en même temps un autre rapport au micro-partage. Un atelier d’écriture mené par un enseignant dans un lycée professionnel près de Strasbourg va pouvoir dialoguer directement avec le lycée français de Bangkok. Si j’arrive au Salon du livre de Montreal, je sais via Face Book quels blogueurs je vais croiser. Ce travail d’hyper-proximité c’est une part de la tradition pour la littérature : la lecture à voix haute, l’échange qu’on trouvait il y a un siècle dans les « salons littéraires » ou les mardis de Mallarmé. Internet renforce donc, paradoxalement, la littérature comme « art vivant », selon la terminologie à la mode, ce qu’elle était probablement déjà avant l’irruption du livre de poche. Ce côté de la mutation m’intéresse plus que les questions livre papier contre livre électronique. Il y a longtemps que la masse des auteurs ne vit pas de ses droits d’auteurs, mais d’un lien complexe à l’activité sociale qui s’y croise, lectures et conférences, stages et ateliers, commandes d’articles. Dans ce contexte, Internet est plutôt un multiplicateur. Les libraires sont un maillon très important de cette présence de terrain des auteurs : quelques-uns ont compris qu’ils devaient jouer cette carte-là encore mieux, que s’y joue une partie de leur rapport à leur ville. Dans ce contexte, notre rôle d’éditeur c’est de permettre le lien à des objets complexes, de diffusion lente, accumulant beaucoup de temps d’écriture et de temps lecture, impliquant une médiation éditoriale forte. On est en dehors de l’opposition livre papier et livre électronique, le livre papier (y compris de haute qualité via tradition et matières de la micro-édition, ou au centre d’une démarche dont une large partie des éléments sera seulement numérique) est un des éléments éventuels de ce travail d’édition numérique, mais n’en est plus le vecteur unique, c’est probablement irréversible. C’est un autre métier qui s’invente, et qui d’ailleurs, ici en France, n’entre pas dans la définition juridique du livre : pour la TVA notamment, et même l’ISBN.

L’édition électronique telle qu’elle est pratiquée avec Publie.net préfigure-t-elle une remise en question majeure de ce qui est convenu d’appeler la « chaîne du livre » ou simplement une « valeur ajoutée » ?
Je refuse cette idée de « préfiguration ». Une amie blogueuse et éditrice répète sans arrêt qu’il n’y a pas « le livre », mais « des » livres. Avec le numérique, en vidéo comme en musique, chaque point de l’ancienne « chaîne » est la totalité de cette chaîne à lui seul. Chaque musicien amateur disposant d’un ordinateur est capable d’enregistrer, mixer, graver, diffuser. De grands musiciens, Bob Dylan n’est pas un exemple isolé, ont produits des albums « faits à la maison » qui peuvent être parmi leurs meilleurs opus. Il n’y a pas à négliger le fait que, sur Internet, les outils de prescription (fux rss, réseaux sociaux), évoluent aussi vite que la prolifération des contenus. On le voit pour la critique littéraire : les blogs sont dépositaires d’une part désormais probablement plus importante de la prescription, que les vecteurs traditionnels de la critique, à moins qu’ils soient implantés aussi sur le Net, la radio par exemple. Ceux qui se réfugient dans l’idée qu’ils doivent leur légitimité à la prescription de proximité, il y a danger pour eux. On le leur a dit. Après, pour ma part, je m’occupe de mon jardin. D’autre part, ce qu’on a voulu nommer, aux temps militants, « chaîne du livre », c’est une énorme concentration industrielle en partie invisible, souvenez-vous la fin de Vivendi, qui vit de fonctionnements parasitaires qu’elle est incapable de régler, les « offices » sur le dos des libraires, ou dans l’incapacité de se rassembler pour proposer des modèles pertinents contre la concentration type Amazon : l’échec en France, ou le serpent de mer, d’un « portail des libraires ». L’impression pour moi : ce qui concerne Internet se passe sur Internet, et on a assez à y faire, les écosystèmes que sont le livre papier d’une part, la professionnalisation partielle de l’activité Internet d’autre part, n’ont aucune obligation à se confondre. On ne se bat contre personne : il y a plein de place pour tout le monde. Je crois que la révolution de publie.net, c’est la plus discrète : le contrat d’édition numérique complètement neuf qu’on propose à nos auteurs.

Éric Vigne dans son récent ouvrage « Le livre et l’éditeur » évoque le passage de l’ère de la commercialisation à celle de la marchandisation. L’une des formes de résistance à la marchandisation résiderait dans le « catalogue », dans sa cohérence plutôt que dans son homogénéité. N’est-ce pas ce que vous faites avec Publie.net ?
Le livre n’est pas seulement un objet, il est un dépôt symbolique, et ça nous ne savons pas encore le transférer sur Internet. Le livre d’Éric Vigne l’analyse de façon magistrale, en particulier pour les sciences humaines et pour ce qu’il dit « l’édition de prestige », dans laquelle il fait entrer le « contemporain », et là je ne suis pas vraiment d’accord. Avec Internet, les curseurs sont différents : les frais de serveurs et de diffusion ne changent pas, qu’on mette en ligne 50 textes par an ou 200. Mais le temps de travail avec l’auteur, relecture et correction, puis PAO, sont identiques (pour un volume Déplacements au Seuil, 3 jours ouvrés de PAO, on passe à peu près le même temps sur publie.net – autre paradoxe : la prolifération en France de formation aux « métiers du livre, alors que l’édition n’embauche plus, ou fonctionne principalement avec des stagiaires rémunérés 400 euros au plus, ces jeunes trouvent d’autres métiers, loin de ce qu’ils ont rêvé, et je suis abasourdi par ce travail bénévole et sur critères professionnels qui s’est instauré sur publie.net, ou bien ces associations d’auteur à auteur) : l’objet final, le fichier structuré qui sert de source aux différentes déclinaisons de formats (PDF, epub, Mobi etc) n’est pas plus ni moins compliqué que celui destiné à l’imprimeur. Le travail sur les métadonnées (données automatiques d’indexation et repérage associées à un fichier numérique), si fondamental pour Internet, n’est pas sensiblement différent des données paratextuelles multiples qu’on associe à un livre papier, et qui font une grosse partie du travail d’éditeur. C’est après, la différence : ce qu’on distribue n’est plus un dépôt symbolique, ni même un véritable objet. Pour cela aussi que nous refusons les dispositifs anti-copie : diffusez à tout votre répertoire mail un texte de Bernard Noël, combien de vos correspondants le liront ou l’effaceront, dans la masse des données en circulation pour chacun ? Un livre pèse moins qu’une photo jpg d’appareil de poche. Et si tel ou tel de vos correspondants accroche au texte de Bernard Noël, gageons qu’il voudra visiter le site source, aura envie de découvrir d’autres textes, de s’insérer en retour dans échanges directs et commentaires. C’est notre choix, mais en faire un modèle exportable ou valable pour tous serait impensable. Ce qu’on diffuse, c’est un service, une licence d’accès à un travail éditorial depuis une démarche d’auteur. Mais l’instance symbolique, précisément, c’est la validation par la coopérative. Les éditeurs papiers disent souvent qu’être éditeur « c’est apprendre à dire non » : le catalogue est une validation symbolique du même type que ce qu’Éric Vigne analyse pour « la Blanche » chez Gallimard – Internet peut tout permettre, mais n’est pas pour autant « La Pensée universelle » généralisée, pour reprendre cette maison d’édition à compte d’auteur un peu caricaturale d’autrefois.

Et les auteurs dans tout ça ? Ne sont-ils pas encore les derniers consultés dans le « renouvellement » de cette chaîne du livre ?
Refus total de cette question. Les auteurs ont leur mot à dire en permanence, et depuis longtemps. Simplement, aucune communauté moins engagée que celle-ci. On supprime des programmes entiers d’intervention d’écrivains dans les facs, silence. On tente de discuter sur la nécessité d’en venir à des contrats d’édition limités à 10 ans comme partout ailleurs en Europe, au lieu des 70 ans post-mortem, silence. C’est aussi la rançon de la situation : longtemps que les jeunes auteurs, comme ce qui s’est passé pour la poésie il y a 10 ou 15 ans, continuent leur travail salarié au lieu de tenter un parcours « professionnel », si tant est que ça veuille dire quelque chose. On commence à voir pas mal d’auteurs sur Face Book : mais Face Book, en tant que réseau, ne remplace pas la proposition de contenus via site ou blog, il les relaie, les oriente, les amplifie, ce qui est déjà suffisamment neuf. En ce moment, les éditeurs font signer à leurs auteurs des avenants aux contrats d’édition pour leur faire accepter des droits de diffusion numérique calqués sur ceux du livre (10/12/14% selon nombre de téléchargements), alors que cela pourrait aussi bien relever des droits dérivés, comme les adaptations télé ou traductions, traditionnellement à 50%. La SGDL est quasi seule à proposer cette réflexion, j’en suis partie prenante, mais peut-être en prenant trop comme prédicat un système de droits d’auteurs né dans une configuration précise, celle qui prévalait au temps de Balzac et Hugo, et qui de toute façon ne suffit pas à nous faire vivre aujourd’hui, ni ne permet à un jeune auteur d’en faire sa profession. D’autre part, l’ économie numérique s’établit sur des champs neufs, la lecture publique, les fournisseurs d’accès wifi, qui supposent d’autres objets (pour une bibliothèque universitaire par exemple), que l’accumulation de versions numériques des livres : licences en amont de la publication, accès à des contenus prolongeant le livre, etc. De façon provocatrice, parce que j’ai 55 balais et que je publie depuis 25 ans, je dirais : une génération d’auteurs a voulu se tenir en retrait, considérant Internet comme un média, et donc l’affaire de la presse littéraire ou du site de leur éditeur, considérant que ce n’était pas à eux de mettre les mains dans le cambouis. Ceux qui viennent à la publication aujourd’hui, comme nous-mêmes il y a 20 ans, ont lancé blogs, lectures publiques et ateliers, sans a priori numérique et avant d’accéder à la publication papier, comme c’était le cas pour nous autrefois avec les revues littéraires qui servaient de laboratoire, laboratoire qui lui aussi a migré sur le Net. J’ai peur qu’une génération simplement remplace l’autre. Ce n’est pas une question d’âge (voir le blog de Michel Chaillou, voir les traces Internet de Jacques Roubaud) : mais on les aura assez prévenus, les copains. Ce qui m’étonne toujours, c’est la naïveté de la réponse : ah, c’est trop technique…. Comme si un des paradoxes principaux d’Internet, grâce à l’industrie de consommation de masse qui est derrière chaque outil, ce n’était pas la minceur de ce saut technique : lesquels n’écrivent pas sur ordi ? On a traversé un âge d’or, où la littérature bénéficiait d’une sorte de consensus social, que manifestaient les prix littéraires, l’Académie, le statut privilégié de « l’écrivain » dans les journaux : compteurs remis à zéro. Soit on s’en plaint, soit on se fiche à l’eau. C’est peut-être une chance aussi pour vous, du Québec : fin des hiérarchies, tous à même enseigne, profitons-en…


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1ère mise en ligne 25 novembre 2008 et dernière modification le 26 février 2009
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