Daewoo
création festival d'Avignon 2004

Daewoo paraîtra en septembre 2004 aux éditions Fayard

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vallée de la Fensch, décembre 2003: une aciérie en fonctionnement (Sollac, Hayange, 4000 salariés) et une aciérie à l'abandon (Uckange, fermée en 1992): l'enjeu pour la Lorraine se voit jusque dans le ciel, et la notion de travail ici est dans l'espace public, comme dans l'imaginaire et la mémoire de ceux qui y vivent, de Fameck à Longwy

 

Le 16 septembre 2002, on annonce officiellement la fermeture de l’usine Daewoo de Villers-la-Montagne. Les trois usines sont presque en ligne droite, sur la route à quatre voies qui relie Metz et Thionville au Luxembourg via Longwy, à travers la vallée de la Fensch, autrefois ponctuée des grandes aciéries et maintenant juste une survivante ou, comme le haut fourneau d’Uckange froid depuis douze ans, l’imposante ruine figée qui témoigne de l’époque où toute cette vallée vivait de la transformation du fer en acier.

À Villers-la-Montagne, l’usine Daewoo est un simple parallélépipède blanc et bleu en surplomb de la route, parmi d’autres bâtiments industriels plus petits. Depuis 1989 on y fabrique des fours à micro-ondes, elle emploie 229 personnes, en grande majorité des femmes : en 1989, c’était presque un petit signe de luxe, dans les cuisines, le micro-ondes, un appareil qui signait la modernité. Maintenant, c’est comme les grille-pains, banal, et ceux qu’on trouve dans les supermarchés (j’en ai fait l’expérience) même sous quinze marques différentes sont tous fabriqués en Chine.

Quinze kilomètres plus loin, c’est l’usine phare, la plus grosse des trois unités installées par Daewoo, la plus récente aussi. Lorsqu’on avait fait grand tapage de leur installation en Lorraine, sur les ruines de la sidérurgie, où le progrès et les objets d’aujourd’hui trouveraient un engrais naturel, et une capacité humaine prête, deux autres usines devaient pousser encore dans deux autres villes voisine. Mont Saint-Martin c’est la périphérie immédiate de Longwy, une ville qui autrefois, quand les cheminées des usines remplissaient la nuit le ciel de leurs flammes orange, ne prenait pas assez soin d’elle, et maintenant paraît comme quelqu’un qui aurait maigri sans changer d’habit. Trop de façades mortes. Et au long de la Chiers, où court aussi la voie ferrée, en contrebas de la ville, là où il fallait longer des kilomètres d’usines, tréfileries, laminoirs, avant de trouver le portail d’entrée où vous envoyait la boîte d’intérim, des champs pâles, des champs sans rien, où l’herbe même a du mal. L’usine Daewoo s’était implantée sur les hauteurs, à Mont Saint-Martin la ville cherchait un nouveau déploiement, hors de la cicatrice des trois aciéries en déroute (je les ai connues, au milieu des années 70, quand nous venions l’été nous y louer intérim pour payer nos années étudiantes). Là c’est 550 personnes qui fabriquent des tubes cathodiques, le cône de verre équipé de la cathode à électrons et du double bobinage haute fréquence, ce tube qu’on trouve évidemment dans les téléviseurs. La seule usine à majorité masculine, mais peu d’emplois qualifiés, même s’il s’agit d’une fabrication très spécialisée. On parlera souvent de l’énorme « turn over » parce que les gars s’en vont dès qu’ils trouvent mieux, de l’absentéisme rongeant, et du volant de ceux qu’on emploie en intérim pour éviter l’embauche. On y produira un millier de tubes par jour, et aujourd’hui question : ce n’est pas ce volant de production qu’on rentabilise une pareille usine. Le vaisseau amiral de Daewoo Lorraine était le prétexte à autre chose, et le groupe ne se préoccupait pas de le laisser en déficit : prétexte à d’autres alliances pour le marché gigantesque et plus solide des moteurs de voiture en Afrique du nord, pour lequel les Coréens avaient besoin de la France ? C’est l’usine la plus récente des trois, et toute une brochette de ministres est venue l’inaugurer. Dans les grèves qui suivront l’annonce de la fermeture, l’usine sera occupée. Des ouvriers, explorant les ordinateurs, découvrent que cinquante d’entre eux disposent de comptes bancaires en Suisse : ils n’ont pas le réflexe de demander la saisie des appareils. Quelques jours plus tard, un incendie criminel ravage l’usine et ses stocks. La direction évacuera dès le lendemain tous les ordinateurs et pièces comptables.


Daewoo Fameck, après la vente aux enchères on jette les archives administratives

 

En 1998, le groupe Daewoo décide de liquider trente-deux de ses quarante-sept usines dans le monde. Les trois usines de la Fensch ont été payées par des aides publiques, au motif de redonner du sang et du travail à une région exsangue depuis qu’on en a terminé avec les aciéries et la mine : à qui elles appartiennent, les usines ? Elles emploient à ce moment-là près de 1200 personnes. À Villers-la-Montagne, quand le groupe donne le premier signal d’alerte, on a déjà fermé deux unités de production sur les cinq.

La seconde usine à avoir été implantée est aussi la seconde dont on annonce la fermeture. À Fameck, juste après Uckange, à l’ouverture de la vallée de la Fensch, Daewoo avait construit une unité de montage de téléviseurs. Elle emploie 260 personnes, là encore écrasante majorité de femmes. En 1998, on y assemble plus d’un million de téléviseurs par an. En 2000, c’est de Pologne que Daewoo exporte ses téléviseurs, et à Fameck on n’en produit plus que 600 000. Pour 2002, on a décidé de baisser encore, à 450 000, et la direction annonce en janvier qu’un premier plan social va supprimer 90 postes dans l’année sur la base de départs volontaires. On promet en échange qu’on assemblera à Daewoo Fameck des écrans plats qui donneraient un second souffle à l’usine. En avril 2002, ils défilent dans la ville après la mystérieuse visite à l’usine d’un certain monsieur Choi, haut responsable du groupe. On réclame seulement de la « transparence ». Le vendredi 13 décembre, le directeur coréen Kwon Sik Im annonce aux 170 salariées restantes la fin définitive de l’usine en janvier. Comme à Villers, on occupe, on séquestre, on défile. Un bureau est saccagé. Beaucoup d’articles dans les journaux.


Hayange, ancien bâtiment directioral des aciéries De Wendel