Daewoo création festival d'Avignon 2004 |
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Daewoo paraîtra en septembre 2004 aux éditions Fayard |
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pages François Bon
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L’angoisse aussi tu la jettes par-dessus l’épaule ? Le mal au ventre et le temps vide. La fin de mois qui s’annonce au bout de vingt jours. Et le regard des autres quand tu fais tes courses en journée. La peur de dire un mot de travers quand une fois de plus tu te présentes à un entretien et qu’on te demande où tu habites et d’où tu viens. L’angoisse de se dire : c’est de ma faute, il ne vous tombe pas dessus un tel malheur sans que vous y soyez pour quelque chose. On vous a agglutinées pour vivre autour des usines, dans le bord de villes qui n’en sont pas, et maintenant qu’il n’y a plus d’usine à quoi ça sert d’être empilées là, avec le désert autour : autrefois je n’avais pas de temps à moi, mais au moins je faisais des choses pour moi. Dans les journées vides, plus envie de rien.
Quand tu restes jusqu’à midi au lit, que dans l’appartement tu n’ouvres plus tes volets de toute la journée, que tu te nourris de café au lait, et si tu en parles tu as l’impression de gêner, tout le monde te dit : Tout ça on le sait déjà, ou bien : C’est partout comme ça… Tu t’en rends compte comme d’un rideau qui tombe, même les mieux disposés en ont marre. Il serait temps plutôt de tout couper, de se dire au revoir et chacune de son côté. Personne qui s’imagine une vie sans accidents, une vie tapis roulant, mais de surprise on n’attend que ce qui est du lot humain, et si ça ne suffit pas à remplir les attentes d’un destin de femme, qu’au moins cela vous laisse la petite fenêtre pour croire à un peu plus, à un peu mieux et puis c’est ça qui casse : seule et sans aide, comme disait mon ancien beau-père avec trois poules et quatre lapins on pouvait s’en tirer, peut-être ? Pour ça que ce soir moi je fais la fête : on ne vous ennuiera plus de nos misères, on vous invite à danser avec nous . Et s’il n’y a plus de petite fenêtre dans la tête on la dessine sur le mur…
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