Stones, 16 | la longue vengeance de Giorgio Gomelsky

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Retour à la toute première archéologie des Rolling Stones, novembre 1962, quand on lutte pour mettre le pied dans la porte. Ainsi, leur premier passage au Flamingo, le temps du jazz moderne, mais eux ils acceptent de faire les dimanches après-midi, quand il n’y a personne, et qu’il faut du bruit pour faire savoir que c’est en activité, qu’il y aura vrai concert le soir. Mais quelle école, quand bien même la salle est vide (elle ne le sera pas longtemps). That’s the way we cut our teeth, dit Keith, croyons-le.

Mais Brian s’en sert de carte de visite. La référence, c’est le Piccadilly Jazz Club, qui a compris l’intérêt de ne pas se limiter au bon jazz à papa, mais de s’ouvrir à Jimmy Reed. Le Piccadilly a invité le Korner Incorporated, et un autre groupe de rythm’n blues, bien plus connu que les Rolling Stones (pour encore trois mois), le Dave Hunt Rythm & Blues Band, et si j’en parle ici c’est pour ceux qui vont me lire encore dans trois lignes (sinon j’en parlerais pas). Argument de Brian pour le Piccadilly : mais nous on joue au Flamingo, sans préciser le jour ni l’heure. Ils jouent le 30 novembre 1962 au Piccadilly, sans Bill ni Charlie, et obtiennent un deuxième passage le 21 décembre, un de leurs derniers concerts d’avant Charlie Watts – pas de troisième chance. Mais c’est ainsi qu’ils font la connaissance du propriétaire, un type pas bien plus âgé qu’eux, un Suisse qui a roulé sa bosse, découvert les clubs de blues électrique à Chicago et veut en importer la formule à Londres.

Et de toute façon ça ne marche pas, le public londonien n’est pas près – comme dans les autres domaines, jamais bon d’avoir raison trop tôt. Gomelsky mange ses économies avec le Piccadilly, il arrête les frais et c’est ça son génie – son génie à lui, né de l’échec du Piccadilly, le centre, le jazz à papa. Il s’en va banlieue sud ouest, et trouve une salle de bal ancien style, haute estrade, mais de quoi enfourner 400 personnes là où le Piccadilly en tenait 20, juste en face la gare pour que l’accès soit facile aux gamins de la grande hyperville. Les concerts ont lieu le dimanche après-midi, et il lui faut une vedette, donc The Dave Hunt Rythm & Blues Band.

En février, Giorgio Gomelsky vient voir les Stones au Red Sutton, en deux mois les progrès sont énormes – Charlie Watts a tout mis sur rail, Wyman est énorme sur sa petite basse verticale, Brian en avant brille, et Jagger plus Keith c’est un seul élément. Sur le même modèle que Richmond, Gomeslky programme le Haringey Hall, excentré mais pas cher à louer – c’est du second plan par rapport au Station Hotel, mais les Stones y joueront le 7, le 14 et le 28 février.

Alors que ce serait-il passé si, ce dimanche 24 février, au tout dernier moment, Dave Hunt n’avait pas informé Gomelsky qu’il avait mieux à faire qu’à jouer dans les salles de banlieue ? T’as perdu mon pote, mauvaise carte. Gomelsky n’a pas le choix : le groupe du Haringey remplace au pied levé le valeureux Dave Hunt dans la salle à laquelle il n’avait pas droit.

Le génie de Gomeslky, c’est de comprendre. Cette fois, il y a 40 personnes dans la salle, on va doubler chaque dimanche, 80, 200, 400... Parce qu’il met le paquet. On n’appelle pas ça encore (communication. Mais tout le monde va se fiche de sa figure, avec les flyers distribués en ville et les annonces dans les journaux de jazz – allez hop, c’est un merveilleux poème, de dimanche à dimanche, les inventions de Giorgio :
 the unparallel Rolling Stones
 the thrilling, exhilarating, galvanic, intoxicating, incomparable Rolling Stones
 hyperheradox R & B voluptuousness from the tempestuously transporting Rolling Stones
 the unprecedented, incontestable, inexhaustible purveyors of spontaneous combustion
 untameable, wildfire explosion of impetuous R & B with the unsuppressibly storm-raising Rolling Stones
 unrepressed R & B with the immitigating, ebullient Rolling Stones…

Évidemment, ça ne marcherait pas si ce n’était pas (déjà porté par le public même. Mais c’est Gomelsky le premier qui décide de fabriquer les Rolling Stones avec rien (quand bien même ce rien c’est etc...). Maintenant, les queues se forment à l’entrée. C’est l’événement. A un journaliste qui lui téléphone et lui demande comment s’appelle le club, Giorgio ne sait pas répondre, Brian souffle : The Crawdaddy du nom de cette chanson de Bo Diddley qu’ils font durer 20 minutes, autre innovation considérable. Histoire qui contaminera plus tard, via Richards et le coup de téléphone, l’invention du nom même The Rolling Stones.

Mais a-t-on suffisamment parlé des autres innovations techniques de Gomelsky : pendant le concert, il éteint les lumières de la salle, braque un projecteur de théâtre sur les musiciens. Élémentaire et primaire ? Ben oui, mais il est le premier.

Et maintenant, destin et histoire. Le père de Giorgio est décédé en Suisse, il doit s’absenter 3 semaines de Londres. A son retour, Brian lui présente un jeune navet blond aux yeux globuleux : — Andrew, notre producteur. Mais ce n’est pas ce qu’il faisait, depuis 2 mois, Gomelsky, à les bombarder dans la presse et la radio, à leur obtenir d’autres passages en club ?

Il avait une autre idée, Gomeslky, 2 ans avant Dont look back : utiliser le cinéma, faire un film de l’événement concert. Enfoncer les Rolling Stones avec ça.

Ah bon, ok les gars, bye. Le coup de Dave Hunt bis. Alors il recrute un autre groupe qui fait la même musique, et qui n’a même pas de nom. — Vous vous appellerez les Yardbirds, les gars. S’appelle comment, votre guitariste, là, le muet ? Clapton ?

Giogrio Gomelsky n’est certes pas quelqu’un qui a manqué son destin et sa vie. Un homme de grande culture, au français parfait, et qui, il y a encore quelques années, s’occupait de l’association mondiale des amateurs d’Atari (moi c’était le 1040).

Concluons : il y a 5 ans, dans le livre richement illustré A life on the road, interview de Gomeslky. Ah bon, réconciliés. Puis autre bruit qui survient : Martin Scorcese fait sur l’histoire des Rolling Stones la même enquête qu’il a faite pour Dylan. Tant mieux, archives à venir. Ah ben oui, les gars, ils ont rouvert la porte à Giorgio parce qu’ils veulent les rushes du Station Hotel Richmond, le film des concerts de mars avril 1963, que Gomelsky n’a jamais voulu leur livrer. Et puis non, Scorcese a fait tout autre chose, pas impérissable (ah, la belle-mère de Bill Clinton serrant la main à Richards, quel événement).

Du Station Hotel Richmond, et des 15 successifs concerts du dimanche qui seront l’explosion des Rolling Stones (dernier passage le 16 juin), aucun enregistrement : Gomelsky a gardé les bandes, et une seule petite photo, si je ne me trompe, celle ci-dessous – Gomelsky a gardé les autres. Et le film, bien sûr.

Longue revanche. Parfaitement légitime. L’histoire des Rolling Stones est encore ouverte, et ils n’en sont pas les premiers dépositaires.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 juillet 2012
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