campagne électorale, 9/15

les Français doivent manger


Et donc la question c’était manger. Ce qu’on mangeait. Si on avait tous à manger (non). Si on mangeait raisonnablement mais pas trop (celui-ci, oui). Si on avait bien les 5 fruits et légumes, si on veillait à sa dépense physique (ceux-là oui, sous l’uniforme), si on buvait de l’eau française pompée en France, emplastiquée dans du plastique français (pour Cristaline, positif pour la première question, moins sûr pour la deuxième : il se pouvait que le pétrole utilisé pour la fabrication du plastique vienne du monde arabe, et c’était désormais un grave problème).

Dans d’autres sphères sociales, on mange différemment, disait le candidat : dans tel restaurant où il avait fêté son élection précédente, les plateaux rectangulaires étaient mieux décorés.

Il n’avait pas mangé son chou-rouge ni son céléri rémoulade.Il se demandait un peu ce qu’il venait faire ici. Quand les gens parlaient, il écoutait d’un air grave et crispé, c’était son devoir devant les photographes. Mais les gens lui disaient surtout qu’il avait raison, et puis vite sortaient leur téléphone pour se faire photographier auprès de lui, il souriait et tout allait.

D’ailleurs, au lieu de manger son chou-rouge et son céléri rémoulade, il passait des SMS sur son téléphone : les collégiens aussi font cela, et c’est une grande plaie pour l’école, lui dit son voisin (les services de sécurité aussitôt l’écartèrent).

Ils sont comme cela, nos candidats : il faut parler de ce qu’on a à manger, même si soi-même on ne le mange pas. Il avait décidé d’éliminer la viande, déjà. Les Français ne doivent plus manger de viande, déclara-t-il. Sa voisine de droite avait déjà mangé la sienne : les services de sécurité l’écartèrent.
On remarquera, sur la photographie, qu’il n’avait pas été distribué de couteaux aux invités. La fourchette déjà comportait des risques d’agression, pensaient les services de sécurité. Du coup, personne n’avait touché son pain. Il aurait pourtant voulu : rompre le pain pour ses invités, quelle belle image, mais cette boule industrielle convenait mal. Qui travaillait, dans les minoteries de la grande ville, la farine dissimulait-elle des visages épris d’autres codes, rites, religions ? C’est ce qu’il tâchait de savoir, crispé sur son téléphone portable – mais en parler, n’en parler pas...

Tout tenait, dans cette élection, au manger : – Les Français doivent manger, prononça-t-il pour ses invités. Mais il laissa son pain.

 

Photographie © Union-Presse, 05/03/2012, Saint-Quentin en Yvelines – utilisée sans permission, c’est pour la cause.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 mars 2012
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