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de l’envie des livres

une autre date au hasard :
2020.07.18 | Boston Skyline

Chez Chapters, à Montréal, je n’ai pas acheté le Quichotte en anglais. D’ailleurs, en français on a bien autant de traductions différentes (la Viardot est même dispo sur le Net, mais vraiment obsolète, la vieille trad fin 16ème de l’ancien Pléiade est un régal, ai acheté le très bon Pochothèque au printemps, et je continue d’insister, insister : lire et offrir la version d’Aline Schulman en Points Seuil...). Mais on a perdu l’habitue d’imaginer, même dans la meilleure de nos librairies, cinq traductions côte à côte. Pensée pour Borges, qui avait d’abord lu le Quichotte en anglais, et plus tard, le lisant dans sa langue maternelle, croyait avoir à faire à une traduction. Chez Chapters, ai acheté Mezzanine de Nicholson Baker, que je cherchais, et, juste par le fait que ça voisinait par ordre alphabétique, Incident report de Martha Baillie, dont je n’aurais jamais entendu parler sinon, et dont je découvre maintenant le site. Ai passé mon après-midi à lire ce livre-là. Pour ça finalement que toutes ces questions brassées sur l’opposition du livre et du numérique m’intéressent de moins en moins : assez d’amour pour les deux. L’envie physique du Don Quichotte, parce que les cinq traductions côte à côte vous font imaginer un livre que vous ne connaissez pas. Et, de l’autre côté, et la navigation physique aussi dans la librairie me fait trouver, par sérendipité, ce livre qui aligne 145 portraits brefs des visiteurs de la bibliothèque publique de Toronto, vus depuis les heures de service au guichet de renseignement et c’est hallucinant comme portrait du monde. Maintenant, ce qu’on aime dans le numérique, c’est probablement ça, les blogs, les textes qu’on lit, l’invention. Comment leur donner cette même attractivité que la vieille librairie rue Sainte-Catherine, les couleurs des livres et le bois des étagères, et – surtout – cette supériorité du monde anglophone pour le livre comme objet, couvertures, graphismes... Et ce matin, réception d’un e-mail de Michel Fauchié, qui vient de lire ça dans Jacques Roubaud, Parc sauvage : Les circonstances de la lecture font partie de la lecture : aussi bien le livre concret que son apparence, son format, son poids, sa typographie, que le volume d’espace réel au sein duquel nous l’avons lu : un train, un lit, une herbe. Le livre, l’œuvre, est cela pour nous. Il est tout autant que la lettre exacte de son texte, vérifiable en le rouvrant ( et pas toujours compatible avec notre souvenir !), ce que nous en avons retenu (les « circonstances » en font partie). Tout autant que l’immobilité stable de ses mots, dans ses pages, l’allure de nos yeux sur ses lignes, l’intensité variable de notre regard. Mais les livres que nous avons lus « colorent » en retour, d’une manière au moins aussi forte, les lieux et les circonstances dans lesquels nous les avons ouverts... Trouver ça pour le numérique, et même cet usage singulier pour une herbe, ce qu’il se permet, le grand Jacques.... À part ça, qu’est-ce que ça fait du bien, pour quitter Internet, de lire en anglais, question concentration, et réviser même cette notion si simple qu’on l’oublie : lire un livre.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 octobre 2009
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