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2017.05.29 | la SNCF crime la langue, crimons-la en retour !

On n’en peut plus de ces médiocres.

Longtemps qu’ils ont sabordé la notion de service public. De moins en moins de trains disponibles, sinon sur les lignes vache à lait.

Longtemps qu’ils ont l’impudeur du racket : autrefois il y avait les heures bleues et les heures blanches, maintenant c’est constamment la loi de l’offre et de la demande. Tu fais ton marché en places de train, en jouant sur 2 navigateurs à la fois, Firefox avec ta carte Fréquence, Chrome avec ta carte Senior (les 2 sont payantes, et payées). Mais pour tes enfants, quand ils viennent te voir le vendredi et doivent repartir le dimanche soir, c’est tarif double même avec la carte Jeune qu’ils leur ont fait raquer.

En 2009, quand on est parti pour l’année Québec, l’aller-retour Saint-Pierre des Corps Paris c’était 42 euros. Maintenant, le moins cher : 60€. Mes revenus n’ont pas augmenté comme ça.

Et comme des milliers de gens qui ont fait le choix d’habiter à 1 heure de Paris, les pendulaires on est piégé : le coût de l’immobilier à Paris ne nous permettrait pas de partir, donc corvéables à merci. Chaque semaine je passe 2 jours à Paris, donc je raque.

La SNCF propose des agréments : un « distributeur d’histoires courtes », à lire en 3 minutes, dans la gare, sur un présentoir qui ressemble à un distributeur de papier hygiénique. Et quand je pose mon ordi sur la tablette portable du train, une pub Gallimard Harry Potter pour me polluer la tronche en autocollant directement sous mes yeux.

Mais ce n’était pas assez. Connaissent-ils la magie du Oui en langue française ? Qu’ils aillent lire magnifique livre de Camille Laurens, Quelques-uns où le chapitre sur Oui commence ainsi « Oui est un mot cosmique [...] Oui induit la langue, toute langue est d’oui ». Et elle parle de Marguerite Duras, de Thomas Bernhard, de Rainer Maria Rilke. Mais surtout du fait que 4 tragédies de Racine ont oui pour premier mot – Andromaque : « Oui, puisque je retrouve un ami fidèle... », et aussi Hyppolite, et encore Abner, bien sûr, au début d’Athalie : « Oui je viens dans son temple adorer l’Éternel » (je fais exprès de ne pas ponctuer, si vous voulez comprendre comment Racine ponctue selon l’intonation et non la syntaxe, lisez Georges Forestier).

Eh bien maintenant, quand j’aurai payé chaque semaine mon billet de train pour aller au boulot, soit je serai débilo en OuiGo, soit je serai Oui-Oui en inOui. Mais regardez le baratin dans l’image ci-dessus. Promesse aspirationnelle comme les marchands d’aspirateur. Innovation et digitalisation comme si digital était un mot français. O comme la bulle qu’ils coincent avec nos sous. Un nom positif qui donne envie : la SNCF, dont la mission est de nous transporter à l’heure, mais c’est pas souvent qu’elle y arrive, inaugure un crime contre la langue. En plus du racket, il faut tuer en nous ce qu’il y a de plus précieux pour poser nos fesses sur leurs sièges raclés par les millions que nous sommes. Il faut se résigner à abandonner la langue, comme marque du mépris, de l’abaissement. De la loi des nuls. Des têtes vides du marketing, de l’arrogance inculte de tous les cons à cravate.

Infantiles dans leur tête, leur vassalisation au profit les fait nous prendre pour des demeurés. La langue a disparu pour eux : ils sont des larves transparentes, auxquelles parfois on rajoute une casquette (enfin non, parce que là c’est pas celles et ceux à qui nous parlons, sur les quais et dans les trains, c’est ceux des bureaux, les cadres atrophiés et sans oxygène).

Ils ont touché combien, ces pingouins, pour inventer leur logo et trouver ces conneries ?

SNCF, je me retiens d’être grossier. Je préfère aller relire mon Racine. Le boulot, j’irai en trottinette.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 mai 2017
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