(…)
L’air est comme un frigo fermé, sans [ ] un mouvement. Sauf un rouge-gorge, unique, timide cri de contact, [ ] un flappement d’ailes par les jardins aussitôt étouffé, rien dans la nuit ne bouge. On n’échappe pas au silence. Un frigo qui cependant reste allumé une fois fermé. Éclairant de l’intérieur. Six heures, est-ce un horaire d’ouverture ? On est loin d’être six heures, alors ? Qu’est-ce qui éclaire ? Quelle porte au ciel ne fait plus contact ? Le frigo fait dôme. Dôme ou oreiller, appuyé sur les yeux, l’intérieur d’une paupière. Ils sont pourtant ouverts, sur. Sous une zone d’activité lumineuse dans ce coin du ciel. Électrique. Électrisé. Sensibilisé. Qu’est-ce que cette zone sensible au ciel ? Zone active ? Cet appel de lumière, si ce n’est pas d’air, intrigue. Le ciel vient au contact, d’au-delà du lotissement, s’épancher dans l’œil. Est-ce l’agglo par là ? Déjà ? En activité ? Il y a quelque chose d’intense, de concentré au sol, là-bas, qui se communique à la rue autour, aux façades des maisons par le biais, par le milieu, la présence du ciel.
Des yeux. Sont les ombres qu’il projette sur le mur du garage. Il les prend d’ailleurs. Plutôt les laisse venir. D’hors, de plus loin que lui. En arrière. Et traverser. Rayons sont ces yeux qu’il fait, darde. Des contours d’yeux, des cils. Précisément. Il joue avec des ombres. Et lui arrive de n’être plus qu’elles. Sitôt six heures, les lumières, des yeux sont ce qui lui arrive. De n’être que cela, traversé. Bien qu’il se montre impénétrable, ou des plus rebutants, le jour le montrera. Vert, mais non pas tendre, sempiternellement vert, il tient une permanence là, le long. C’est qu’il l’est profondément, traversée de tout son être, seuls, la lumière, les passereaux le savent, le vent. Qui l’animent. Cela est son mouvement, son mouvement spécifique, ou générique. Cela est sa gestuelle, il s’en décharge sur l’air. L’air et ses revirements, l’atmosphère et ses cycles, il repose en l’air. Et dans la verticalité, cela est ce qu’on lui demande, sa raison d’être. D’être là. Il ne fait que cela, baigner en l’air. Cela et plonger, courir en terre. Baigner est tout ce qu’il sait. Fait tout ce qu’il est. Baigner est son mode d’être, n’est-il pas des plus quelconques en cela ? N’est-il pas une image comme tout le monde ? Il a le geste restreint, ou réservé ou est-ce qu’on n’y voit pas un geste. On le réduit à une posture. Il se voit réduit à un mur [ ]. La réduction est sa chance, sa dimension, il y prospère. Vert il est toujours, vert il est partout. À vrai dire il n’est pas seul, sauf qu’ils ne font qu’un. La contrainte ou la réduction, la simplification qui s’impose à lui le fait nombre. Sans qu’il soit plusieurs. Ils ne sont jamais qu’un. Jamais qu’une longueur. Qu’une ombre. Une clôture. Occultant, ce doit être sa nature. À l’individuation il n’a pas accès. Il n’est pas à lui seul un sujet. Le seul sujet qui le concernant vaille est celui qui les déborde ou englobe tous. Soit leur ensemble. Soit leur appartenance chacun, indifféremment à leur ensemble. Ils ne sont qu’ensemble, il n’est qu’ensemble. Il ne saurait pousser au-delà, au-delà de son espèce. Soit le thuya.
à la manière d’une vapeur aux étirements irréguliers
G. Simenon
Des minutes passent, quoi d’autre [ ]. Six heures. C’est l’éclairage de la rue et six heures, les volets roulants qui se relèvent. Horloges. Seuls. Simultanément côtés jardin et rue. L’affaire de sept secondes, trous d’abord, traits, puis fentes, le cliquetis plastique. En lignes, rangs successifs, en ordre, l’enroulement. Enfin par en-dessous, en dégradé la vague lumière, remontante. La salle à manger-salon a sa fenêtre sur rue, une porte-fenêtre sur le jardin, et le sens de la longueur. L’éclairage public y infuse, on imagine. On est chez la voisine. Avec les bibelots. Entre le pouf en cuir. La table en marbre. Le serviteur de cheminée, sa fonte, le canapé électrique. Les chaises, droites comme des h. Le chêne massif du meuble de télé, un porte-revue. Entre eux l’air entendu, silence. La fenêtre est orange et l’intérieur aussi, dans les gris. Orange éteint ou pâle et puis cette tiédeur couleur braise, ou chair, refroidit, pâlit encore, la rue s’éteint. C’est le jour, que voilà. Dedans. Le jour non départagé des ombres, les ombres encore un pied dans la nuit. D’abord. Puis. Des détails insensiblement se précisent. Des places sont reprises, le repos du jour. Le jour flottant, bientôt prégnant comme un souvenir. Bientôt sans l’ombre d’un mystère. Dans les voilages. Passe et s’étale. Dans le dallage. Progresse. Alexa inflexible, se tait.
Elle vient avec un corps, s’en va avec une traîne. L’avant est calme. Le calme l’annonce. Le corps est cause de précipitations, forme un front, la perturbation a un passage, le vent en rafales l’accompagne. La traîne est à l’arrière, le nom l’indique. Dit de traîne est un ciel d’aspect changeant. Est le ciel qu’après elle elle laisse, il alterne éclaircies et passages nuageux. Elle, n’est que pluie et vent. Elle n’est que douceur. Elle est invasive et douce. Elle est une masse d’air. Elle avance en masse. Elle est massivement douce, l’est frontalement : une vague [ ]. Se dit : une vague de douceur. Atmosphérique. S’étire sur plusieurs milliers de kilomètres et s’enroule autour d’un centre : dépressionnaire. Elle naît en mer. De nombreux records de douceur dans la nuit ont été battus. Se laisser gagner.
Il fait irruption dehors. Le 1 prend le travers de sa cour. Six heures bien tassées. Le surpoids le fait tanguer sur les pas japonais. Il chantonne, chevrotant, a surgi de sa cuisine. Siffle. L’air est reconnaissable. La cour, c’est quatre murs, dont un vert [ ]. L’arrière de sa cuisine. Une profondeur de garage. Bribe d’air sifflé saisi entre deux portes, pour passer de sa cuisine dans la rue il faut passer dans la cour et par le garage, dehors, dedans, dehors. Pour rentrer les poubelles. S’est jeté dans sa cour comme dans une bataille. Sans massacrer d’air, il enrage, déjà. La courette en est témoin. S’en fait écho. Il constatera ce matin encore la généralisation des stops glissés, qui sont des non-respects, en hélera alors les auteurs. Les autos. Lui le chauffeur de bus. Dans sa cour il parle dans sa tête. Siffle pour se faire taire, sans faire tomber la pression. Le joint au bas de la porte latérale du garage produit son bruit de baiser à ses pieds, cela l’attendrit-il ? L’air gaillard est feint, est défiant, le ciel en est pris à témoin, à partie tout ce qui est en-dessous. Depuis l’enclos de ses murs, qu’a-t-il d’autre comme soupape, comme vue, comme vis-à-vis que ce pan-là ? C’est ainsi qu’il se jette dehors, puis dans la rue, dans la vue, à la vue du monde. Son retour s’effectue dans les ahans. Le conteneur du tri rejoindra le coin de la terrasse, à un jet de conserve vide de la cuisine, il retentit maintenant ente les murs, les souffles, brinquebale sur ces maudits pas japonais. La marche est un enchaînement de déséquilibres se contrebalançant, c’est flagrant ici, la chute le guette. Le 1 n’a peur que d’une chose, ceci explique sa hâte à retrouver le toit de sa maison. Se retrouver dans ses murs. Que sa traversée se soit faite éclair, lui foudre. Il tente de se contenir, il déborde. Il s’emporte, cela se voit. Cela ne peut échapper. Il ne souhaite pas que ça dépasse sa cour, mais c’est plus fort que lui. Dans un souffle il lâche un juron.
Elle se relève. Le lit est vide. À côté d’elle la place est libre, l’autre côté du lit, est froid. Trempée. Elle tient son bras tendu de ce côté, personne, balaie, sent le drap sous le bras parfaitement lisse, invraisemblablement retendu sous la couette. Pas un pli, une vague [ ]. Un estran. Plus un souffle. Il pleut. La conscience, la surprise, l’inquiétude finissent de la redresser. Qu’entend-t-elle ? Elle sort de son lit. Elle se lève. Elle fait à tâtons le tour du lit, attention à sa tête, son autre main à la soupente en parade, nue jusqu’à ses deux mains prises chacune dans le noir de son côté, sans un mobile pour l’éclairer, qui pend à charger à la prise près du seuil, jusqu’au pied, attention à la marche, la tête dans l’embrasure encore rentrée. Ouvre les yeux. Sur le palier l’indicateur d’alimentation du détecteur de fumée lui fait, au-dessus des yeux et sans éclairer rien, l’effet d’un orage éloigné, à l’éclair unique, noyé dans l’horizon, et muet. Elle descend. Par degrés, doigts et museaux de souris de la pluie qui tapotait au velux au-dessus du lit s’effacent, se font chant, chant et haleine. Dans l’escalier le volume gagne, et la fraîcheur. Il n’est pas six heures, qu’au tournant de l’escalier elle voit, côtés rue et jardin les volets et les fenêtres ouverts dans le séjour et la nuit.