un pari Quintane, Hugo vous dit 600 fois merci

de l’anti teaser promotionnel : et si ça concernait justement les livres qui le méritent ? – plus quelques questions sur web et poésie contemporaine


 

POL.ititique, POL.aroïd, POL.universitaire, AnthroPOL.ogie...

POL, on le sait, c’est les initiales de Paul Otchakovsky-Laurens et aussi l’acronyme de sa maison d’édition, celle où Nathalie Quintane a publié 13 livres depuis 1997, et chacun presque un collector à sa façon, depuis Chaussure ou Mortinsteick, ou les Monténégrins avec Décathlon de DIgne-les-Bains et chômeurs de la même ville intégrés, et ce classique qu’est devenu Saint-Tropez et ateliers d’écriture qu’on peut monter avec.

Mais il y a aussi ce fond ou écho souterrain partout de l’Algérie, et la façon dont Nathalie Quintane vous démontre que la façon la plus politique par laquelle la littérature peut appréhender le crime colonial c’est de rédiger, exemples et didascalie compris, un manuel de français langue étrangère (« Un fantôme nous hante, insatisfait de sa commémoration, qui le célébra pour mieux l’effacer encore »).

Sur la biographie de Nathalie Quintane, son rapport à l’enseignement, voir cette vidéo que j’avais réalisée au 18ème étage de la BNF, Quintane recourt à tout son déploiement de techniques narratives (ne vous inquiétez pas, c’est invisible) pour entrer dans une problématique qui est à la fois multipliée par les fantasmes d’époque et ses tentatives de fuite, mais correspond à un noeud central de l’imaginaire.

Se reporter au livre-somme de Daniel Sangsue chez Corti, Fantômes esprits et autres morts-vivants pour le contexte. Qui a lu le chapitre de Daniel Sangsue sur l’imaginaire que des esprits de pointe comme Balzac ou Nerval pouvaient associer à l’image photographique savent le sérieux que cela brasse en nous.

Ce dernier mercredi, à L’EnsaPC, un drôle de moment. D’abord, pour présenter Quintane, je m’étais embarqué dans un biais auquel je ne pensais absolument pas, à la minute où j’ai commencé de parler : vivant et enseignant à Digne-les-Bains sous identité civile soigneusement séparée de son identité d’auteur, lorsque l’auteur se saisit de la ville, instance extrêmement concrète de réalité dans chacun de ses livres, elle est saisie comme fiction parce que l’identité civile de NQ vivant et enseignant à Digne-les-Bains est pour l’auteur une fiction. Ville appréhendée dans sa réalité en tant que langage et décor, si le personnage sous identité civile qui en est partie prenante, vu du côté de l’auteur, est sa propre fiction. Le démontage du Décathlon de Digne-les-Bains dans les Monténégrins reste pour moi exemplaire de ce lien critique de l’écriture et de la ville.

Mais ensuite, projection dans l’amphi, pour les participants à l’atelier d’écriture, d’un film qui n’a pas encore d’existence publique. Stéphen Loye, le co-réalisateur, le présente ainsi : un projet de voyage trans-européen, road-movie sans échappatoire, partant du port d’Anvers pour rejoindre Digne-les-Bains, en passant par l’Allemagne et l’Italie. Projet refusé par toutes les chaînes, Loye et Quintane l’entreprennent avec un Renault Espace, deux valises et une caméra. Alors quoi : des stations-services, des aires d’autoroute, des chemins sans identité menant à des canards, et l’autoroute elle-même. Des bords de ville, des motels. C’est notre réalité urbaine au jour le jour, où on s’enrhume, où on boit des mauvais cafés en gobelets. Cela n’a pas de sens, parce que ces villes et ces routes non plus.

Pour Descente de médiums, on retrouve Stephen Loye : suivre caméra en main Quintane à la fondation Vasarely d’Aix, et elle qui de dos mime dans l’espace ce que lui évoquent les formes peintes abstraites. Et, avec musique d’harmonium, cela s’appellera POL.itique.

Mais c’est aussi le visage de Victor Hugo, probablement le plus photographié et dessiné de tous nos écrivains, tournoyant en vertige jusqu’à la folie sur un texte dit pourtant admirable concernant les esprits et le non-réel.

Ou bien cet écran noir, sur lequel une voix grave d’universitaire (on nous le dit en gros titre : L’universitaire) parle de l’image mentale comme photographie de la pensée.

Chaque mois, pendant les quatre mois qui ont précédé la parution de Descente de médiums, une vidéo a été mise en ligne comme teaser sur le site des éditions POL.

C’est de ça qu’on a discuté : lire et faire lire le livre, on sait que c’est une bagarre. Mais que la vidéo Victor Hugo ait été vue seulement 160 fois (c’était mercredi dernier), est-ce que ça tient seulement à la « poésie contemporaine », ses outils formels et la rigueur de ses postures ?

Ou bien pourrait-on questionner autrement : en quoi est-ce possible aujourd’hui à un auteur de premier plan comme Quintane, qui utilise et manipule le web depuis longtemps, s’implique depuis longtemps dans sites et revues, de se dispenser d’un site personnel et d’une présence Twitter et/ou Facebook ? Évidemment que je ne vais pas répondre à sa place.

Tiens, un truc par exemple : dernière fois que j’ai croisé Nathalie, c’était à Bordeaux L’Escale du Livre, j’étais avec Jean-Daniel Magnin, il y avait aussi Pacôme Thiellement, Yves Ravey, Martin Page que je n’ai pas reconnu idiot que je suis et je ne sais plus. On était en pleine réaction au projet ReLire, et NQ me dit : « Merci. – De quoi. – De toutes ces infos, de ce que tu fais... » D’un seul coup j’ai compris que c’était faussé, et j’ai arrêté complètement de m’intéresser à ReLire et tous ces trucs, mon retrait de l’édition numérique a suivi très vite aussi (de toute façon c’était financièrement la cata)  : non, le web on ne fait pas pour les autres, on fait ensemble ou rien du tout.

Donc grande admiration pour Jean-Paul Hirsch, historique de chez POL qu’on voit partout sur le terrain et qui avec son petit appareil-photo, interrogeant chaque auteur lorsqu’il ou elle vient faire son service de presse, a mis en ligne plus de 400 vidéos dont des merveilles (suivre Charles Juliet, Bernard Noël, Valère Novarina...). Et c’est le premier paradoxe : ces quatre vidéos jouant avec Descente de médiums non pas en prenant la posture promotionnelle, mais en affirmant l’écart de création, ne sont pas mises en ligne dans une entité qui serait (il faut 5 minutes pour le faire) un compte NQ, mais sur le compte JPH. Et quel site pour faire relais, pour constituer ces vidéos en ressource associée organiquement au livre ?

C’est secondaire par rapport aux vidéos elle-même, au livre lui-même, au fait que vous vous régalerez à lire Descente de médiums.

Moi je me suis engagé auprès de Stephen Loye à ce que mercredi prochain on ait eu 600 visionnages supplémentaires sur ces vidéos, alors ne me laissez pas tomber. Mais, sur une oeuvre aussi significative que celle de Nathalie Quintane, c’est bien la question posée à tous de la relation du web à son travail, hors toute question promotionnelle mais comme fondement même de la publication, que nous devons nous poser.

 

 

 

 

 

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 juin 2014
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