
de ces paysages, on serait tenté de dire que personne ne leur a passé la main dans les cheveux
En complément de amériques mis en ligne ce matin, et de mon inventaire progressif de la ligne Québec Montréal.
Theodor W. Adorno | Paysages américains
Ce qui manque aux paysages américains, ce n’est pas tant, comme le voudrait une illusion romantique, qu’on n’y retrouve point de réminiscences historiques, mais plutôt le fait que sur eux la main de l’homme n’a pas laissé de traces. Ce n’est pas seulement qu’il n’y a guère de champs labourés et que les bois n’y sont souvent que des taillis non défrichés ; ce sont surtout les routes qui donnent cette impression. Elles coupent le paysage sans jamais aucune transition. Plus on les a tracées larges et plates – moins leur chaussée luisante semble à sa place dans cet environnement d’une végétation trop sauvage et plus elle semble lui faire violence. Ces routes n’ont pas d’expression. On n’y voir nulle trace de pas ni de roues, entre elles et la végétation il manque la transition d’un chemin de terre meuble qui les longe et il n’y a pas non plus de sentiers parlant latéralement vers le fond de la vallée : il leur manque ainsi cette douceur apaisante et ce poli qu’on les choses où la main et les outils qui la prolongent directement ont fait leur oeuvre. De ces paysages, on serait tenté de dire que personne ne leur a passé la main dans les cheveux. Ils sont inconsolés et désolants. À cela répond aussi la façon dont on les perçoit. Car, à la vitesse de la voiture, l’oeil ne peut conserver ce qu’il ne fait qu’apercevoir au passage et qui disparaît ainsi sans laisser de traces, tout comme il ne laisse lui-même aucune trace.
© Adorno, Minima Moralia, trad Eliane Kaufholz & Jean-René Ladmiral, Petite Bibliothèque Payot, fragment 28.
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 décembre 2009
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