Tiers Livre,
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"Pour la chaîne, on prend avec le bac." Entendu ce matin dans le métro, entre Montparnasse et Saint-Lazare: "Je lui ai dit, à la fille de l'intérim, j'ai besoin de bosser, je prends un travail à la chaîne... Elle me dit qu'avec un BTS je ne vais pas travailler à la chaîne. Je lui dis: - C'est en intérim, et puis là il faut que je bosse, je n'ai rien d'autre. Elle me dit: – Pour la chaîne, on prend avec le bac. Alors je lui dis: - Alors enlevez BTS, laissez juste bac: puisque là je n'en trouve pas, de boulot, comme BTS ?– Ah non, je n'ai pas le droit de faire ça... Eh bien elle ne m'a jamais rappelé, alors qu'elle en cherchait, des gars pour bosser à la chaîne..." Il n'est pas habillé rappeur, jogging casquette, il est habillé bien mieux que moi, lunettes fines et les cheveux moins en désordre, seulement il y a le "faciès". On a inventé le mot "faciès" pour éviter d'avoir à utiliser des mots racistes, c'est bien commode. Moi j'allais rejoindre le lycée Fernand-Léger d'Argenteuil, lycée professionnel où une petite centaine d'enseignants, souvent très jeunes, et issus des mêmes exils que ceux et celles qu'ils défendent, tentent d'infléchir cette société tellement plus pesante pour certains que pour d'autres. Hier, on était reçu avec eux à la BNF, les lycéens de Limeil-Brévannes, Levallois, Argenteuil et d'autres, qui ont été les piliers de notre expérience écrire la mer. Dans ce lieu où les manuscrits, livres de tous les savoirs, toutes les langues sont accumulés, et la totalité de la nôtre, Yvon Le Men a lu en ouverture des vers qui ont 4000 ans, le plus vieux livre du monde: l'ouverture du Gilgamesh. Et puis ces mots de tous les rivages. Le gars qui racontait son histoire de BTS, ce matin, c'est les poèmes d'Yvon Le Men, qui me résonnaient encore dans le fond du crâne, qu'il a bien involontairement abimés. Quelques heures, oui, on avait cru à autre chose... Mal au monde, une fois de plus. FB, 13 janvier 2005. |