Balzac vous offre des fleurs
Saché, derniers dahlias avant l'hiver

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Saché, tous les balzaciens connaissent: M. De Margonne, le propriétaire, était sans doute le père du jeune frère de Balzac, Henri. D'où la relation très étrange qui le lie à l'ancien ami de sa mère. Mais, quand il retrouve sa chambre à Saché, Balzac a passé une journée de diligence pour venir de Paris à Tours, et une autre journée de marche à pied pour faire les 24 kilomètres de Tours à Saché. C'est un sas mental d'une extrême importance, on en a des traces dans bien des textes. Ici, il adopte un ryhme diurne, ne descend que pour le calme salon du soir. L'harmonie, ici encore si sensible, des bois, des travaux des champs, de la pierre et du ciel, le voisinage de l'Indre lui permettent des périodes d'écriture denses, parfois miraculeuses. Tout le Lys dans la Vallée tiendra de ce miracle. Et nous, avec les amis du Centre dramatique de Tours, il y a quelques années, nous avions lu le Lys dans la vieille grange, toutes portes ouvertes sur le décor même du livre, grand souvenir...

J'y viens au moins une fois par an. En évitant le dimanche, seul jour où il y a du monde, hors vacances. En semaine, on vous laisse visiter seul, traîner dans les pièces, rester longtemps regarder aux fenêtres. Mon rapport à Balzac est ancien. J'avais quinze ans, à ma première lecture des Illusions Perdues, dix-sept lors de ma première lecture intégrale de la Comédie Humaine : chance ou hasard, et le fait qu'une belle édition reliée cuir en dix-huit volumes était une des possessions de mon grand-père maternel qui le rendait le plus fier. D'un coup, le monde des livres devient plus réel que le monde même. J'ai lu bien d'autres auteurs, mais ce franchissement décisif, qui une quinzaine d'années plus tard orienterait toute ma vie, je le dois à Balzac. Je le relis une fois par an, une bonne cure de trois semaines. Pendant ces deux dernières décennies, c'était mal vu: mieux valait parler de Flaubert ou de Proust. Mais ces deux-là sont de très hauts lecteurs de Balzac... Désormais, la pensée et les études balzaciennes sont en plein renouveau (voir Penser avec Balzac, Christian Pirot éditeur, mai 2003, et la nouvelle édition Pléiade...)

Un âpre bâtiment du quinzième siècle, loin de la douceur d'Azay-le-Rideau ou Villandry tout proches, et le vieux parc clos, qui vient jusqu'au centre du vieux village. On comprend mieux ces brèves descriptions d'herbes sauvages, au fond du jardin des Grandet, dans le pavé de Guérande (Béatrix) ou dans Honorine, qui donnent du rêve aux lieux qu'on traverse. C'est aussi l'occasion d'un contact physique avec les objets livres, les presses à imprimer, les pages d'épreuves et manuscrits de Balzac: tout ce qui donne confiance et recharge. La fiction c'est d'abord un atelier, de l'énergie en amont...

L'endroit clé, bien sûr, dans le grand château dont on n'a le droit de visiter qu'une petite partie, malheureusement (et dans une scénographie bien rigide, depuis sept ans que j'y viens), c'est la minuscule chambre qui était la pièce à écrire de Balzac. Ses initiales sont toujours gravées sur le bois de lit, et la table face à la fenêtre assiste au même déroulé des saisons. A chaque fois que je suis dans une phase un peu difficile ou délicate de mon travail, moi je viens là, je m'assois (il n'y a pas de caméra, et on entend venir les pas de loin, mais les gens de l'accueil montent rarement les escaliers...). C'est d'ailleurs une des raisons qui m'ont fait choisir de vivre à proximité (au bout de ma rue, la terrasse de la Grenadière). Non, pas de mysticisme. Plutôt une concentration, une qualité de silence, la lumière, le temps ouvert. Je souhaite l'expérience à bien d'autres. On se remémore l'infernale machine de la composition romanesque, il vous semble qu'ils vous martèlent tous la tête: un cataclysme d'écriture, et tout vient de ce temps et cette lumière que la petite pièce condense. On peut rester une heure si on veut, personne ne vous dérange. Vous êtes à sa place ( 3 euros 80 le tour de manège, pour respecter Balzac jusque dans l'art du chiffre!).

Moins le bois ciré que la position des coudes sur la table à quoi vous entraîne de s'asseoir là, moins les objets trop visibles que cette poignée de fenêtre où sa main s'attardait, et que vous pouvez toucher vous. Alors oui, l'idée du mystère associé de toujours à l'illusion que tout cela est vivant, le livre, ses personnages, et celui qui, entre plume, lampe et cafetière, nous les adressa....


autoportrait "au fantôme", la table de Balzac

Cet automne, et c'est une des raisons d'y venir jusqu'en novembre, Saché accueille une exposition centrée sur les ébauches de Rodin pour sa statue de Balzac. L'homme enveloppé du monument du père Lachaise a été modelé sur le voiturier de Ballan-Miré à Azay-le-Rideau: il y a même la photographie de ce brave homme au physique d'ici (Balzac disait que l'avantage des petits hommes au large cou, c'est que les pensées allaient plus vite et facilement du cerveau à la main, et, voyez-vous, ça m'a souvent réconforté moi-même). Et aussi une lettre de Camille Claudel envoyée à Rodin occupé à travailler à Saché: "J'espère que vous ne me trompez pas trop". Saché accueillera aussi, bien plus tard, l'atelier de Calder...


Relisez Balzac. Lisez Julien Gracq, qui en parle si magnifiquement. Lisez comment il obsède Marcel Proust. Moi, en ce moment, me fascinent plutôt les textes courts, où ont germé, par l'audace de forme et le décalage des frontières du réel, la possibilité même de la Comédie Humaine, dans Adieu, Louis Lambert, La Grande Bretèche, La Fille aux yeux d'or...

Je sais qu'il y a toujours quelques passionnés ou quelques étudiants voraces à traîner dans ces pages, voici en PDF le texte de La Grande Bretèche, assorti en vis-à-vis de notes personnelles (merci de ne pas reproduire sans m'en aviser).

Et qui me dira pourquoi et comment cette carte postale de 1938, qui résonne tant aujourd'hui, dans la crise actuelle du monde de la culture? Pour finir en clin d'oeil...

F Bon, fin octobre 2003

 

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