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du pays natal, en musique le 20 juillet 2004, lecture Rabelais avec Dominique Pifarély à Vague de Jazz (Longeville sur Mer) |
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en fond de page : Dominique Pifarély, Poros (avec François Couturier, piano) - en savoir plus sur le disque Une digue, la suite des digues depuis le 17ème siècle jusqu'au milieu du nôtre ayant rogné sur la baie de La Rochelle pour la transformer en marais cultivé, et la suite d'anciennes îles citées par Rabelais dans la baie maintenant des villages chacun planté sur leur îlot dans l'infini de l'herbe et de l'eau, les écluses qu'autrefois des hommes en bleu et à béret actionnaient à chaque renverse de marée, c'est pour moi l'image type du pays natal.
C'est la première fois que j'y viens pour raison professionnelle.
A Longeville-sur-Mer, grâce au festival Vague de jazz, Jacques
Béchieau
m'a proposé une lecture Rabelais, et qu'elle soit en compagnie
d'un grand de la musique improvisée, Dominique Pifarély.
Cela me fiche un peu la trouille: le violon est un instrument complet,
exigeant,
comment
pourrons-nous nous accorder, et faire du texte la cinquième
corde? Je fais la connaissance de Dominique en assistant à sa "masterclass".
Une poignée
de jeunes instrumentistes l'ont rejoint pour deux jours, chaque fois
rassemblés
en mini formation pour la suite d'exercices. J'ai la surprise de retrouver
un vocabulaire, une attention, pas si éloignés de ce
qu'on pratique en atelier d'écriture, dans cette phase ultime
et mystérieuse de fin
de séance, quand on accueille les textes. Ce vendredi 20 août,
la lecture doit avoir lieu en plein air, mais le vent, et même
la tempête, les
lourdes averses nous contraignent au repli sur la salle des fêtes.
Olivier, de Music Hall à La Roche-sur-Yon, installe micros et
enceintes, avec Dominique Pifarély on a déjà partagé des
repas, parlé musique
et livres - ma passion pour les sonates d'Yzaye (extraits ici par Lydia
Mordkovitch ou ici par Ilya
Kaler, moi j'écoute plutôt par Laurent
Korcia) ou les duos de Kodaly
et Bartok, et sa
lecture de Jacques Dupin, André Du Bouchet
ou Paul Celan: comment aller l'un vers l'autre ne serait pas possible,
alors? On
règle balances, réverb. Et quand il se croit seul parmi
les chaises encore vides, ce n'est pas du "jazz" (?) qui
vient sous son archet, mais bien les sonates ou partita de Bach, et
sans partoche
(si Vincent Segal ou Kasper Toeplitz passent sur cette page, pas besoin
d'être jaloux: l'un pratique aussi son Bach, et de Kasper à Pifarély
sera passée l'information qu'écouter Eliane Radigue est
vital...)
Pour moi, réviser un peu les pages de la transcription de l'original de 1532, et tant pis si c'est pour des chaises vides! Avant d'entrer sur scène, pendant que les amis parfois venus de Lorient ou de Cherbourg goûtent quelques huîtres de la Guitière, pendant la prestation de Maxime Delpierre qui ouvre,concentration dans la petite loge en compagnie des étuis bugle et autres matériels de Médéric Collignon et ses amis du collectif Slang (un belle claque, et généreuse, un peu plus tard dans la nuit...). Et c'est parti pour une heure quarante de Rabelais. On lâche tout, l'un comme l'autre. Et plein de moments où je me contente d'écouter le violon, il ne s'apercevra même pas, Dominique Pifarély, que je le photographie. Et ici cela a du sens. Rabelais fait partir les marins du Quart-Livre d'Olonne. Il est probable que c'est ici, entre Jard et Talmont, que pour la première fois il a vu la mer...
La mer, quand je la retrouverai, au troisième jour de l'accueil à Longeville chez Claude et Myriam Chevallier (pas mal de tasses de café, et de bons échanges, même si le médecin généraliste – ce qu'on est vraiment, à la campagne - doit souvent obéir aux urgences et visites), ce sera à la digue de l'Aiguillon. Paysage que je cite dans Le Crime de Buzon (1986), dans L'Enterrement (1991) et bien sûr dans Mécanique (2001), comment je ferais autrement? Elle n'a pas changé, même usée, réparée, sauf que la petite route, à force d'élargissements et surélévations, en a mangé la moitié de la hauteur. Ce n'est plus le haut mur qui dans l'enfance nous protégeait de la mer, l'hiver en fureur, quand on savait pertinemment que tout le pays était plus bas que son niveau... Mais de l'autre côté, l'estuaire du Lay a gardé ses lumières.
On a beau être en août et sur la côte de Vendée, dès qu'on reprend les chemins d'enfance on se retrouve en pays désert. Avec J et H (et le trouble que c'est, de rentrer dans ses sensations d'enfance accompagné de deux fils qui vous dépassent de taille, qu'on a fait vivre dans les villes et contraint à déménager de deux ans en deux ans, quand vous votre enfance fut en lieu fixe), on s'arrête sous cette étrange sculpture érigée sur le plat infini du marais. Le silo à céréales est vide et comme abandonné, on grimpe sur le toit, on explore l'intérieur, où le cahier et la calculette sont restés en place sous la poussière, sans même que le dernier parti ait fermé à clé. C'est l'endroit qui me fascinait le plus étant gosse, parce qu'au terme de la route droite dans les marais ça s'appelait "le bout du monde". On y visitait l'éclusier, un vieil ami, qui répondait au nom de Tancrède Pépin. Rien n'a changé, mais plus de Tancrède.
Et puis Saint-Michel en l'Herm. J'y suis resté jusqu'en 1964, la sixième et mes onze ans. Quand ensuite on est arrivé à Civray, c'était comme oublier la campagne pour la ville, et le bruit cumulé des vagues et de la mer pour celui des Beatles, les transistors... La maison natale est à l'abandon. Pourtant, de la petite terrasse sous le seuil de la cuisine, toute mangée par l'herbe, je reconnais à quarante ans de distance même les fissures du ciment.
On est à l'épreuve de la nostalgie. On se refuse à en faire aliment. Les visages et les noms on doit les porter en soi, sans rien demander au monde. Finalement, on reste moins longtemps que prévu. Le vrai dialogue intérieur, la vraie tâche des mots et de la mémoire, c'est la veille au soir que cela s'accomplissait, en mêlant Rabelais aux musiques de Pifarély: tiens, quand on a fait "les paroles gelées". Un chapitre que je connais quasi au par coeur, et qu'on a dû faire durer pas loin du quart d'heure, le violon arrachant à la nuit tout ce monde d'échos lointains (d'ailleurs, il n'y a pas eu d'enregistrement, suite à fausse manip, c'est encore mieux comme ça). Passez la souris sur l'image de la maison, en haut à droite du carré ci-dessus, vous verrez (enfin, si tout va bien côté navigateur etc...) Le garage familial a gardé son portail, il n'a même pas été repeint. Si je le touche de la main, c'est l'enfance. Mais c'est fermé à clé. On est là devant soi-même. Si on veut rentrer, on n'a que son livre. FB, le 23 août 2004. Merci à Jacques Béchieau et Florence Ayrault, à Claude et Myriam Chevallier, à Dominique Pifarely, à H et J.
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