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les pages personnelles de François Bon

pluie sur Amsterdam

du 17 au 20 mars 2004, semaine du livre à Amsterdam

François Bon, le journal images

Amsterdam, bien sûr, ce n'est pas la première fois que j'y viens.
Une ville évidemment fascinante, parce qu'elle nous appartient à tous: elle est de notre mémoire, de nos secrets.
On s'y perd facilement, puisque tout y est en demi cercle, et c'est une ville de silence, où l'eau est propice aux rêves.
Cela peut paraître scandaleux de le dire: je n'aurai pas été saluer Rembrandt, Hals, Vermeer et Van Gogh. J'y reviendrai exprès pour.
Ces trois jours, c'était uniquement parler, rencontrer, écouter. Il faut dire qu'avec la semaine du livre la Maison Descartes nous avait préparé un programme sans beaucoup de répit (ou bien, répit que nous avons occupé, entre restaurant japonais et restaurant marocain, à prolonger autrement qu'en peinture!).
Mécanique vient de sortir en traduction hollandaise, grâce à Frans von Woerden, qui a aussi traduit Prison, tandis que Frans de Haan avait traduit L'Enterrement et Marianne Kaas Un Fait Divers: c'est mon quatrième livre que publie Wouter Van Orschoot.
Van Orschoot, c'est trois étages de bureau dans une de ces vieilles maisons sur le Herengracht, et le quatrième étage au-dessus, l'appartement de Wouter, son piano, sa collection de 200 interprétations des sonates de Scarlatti.
Sinon, rien qui ressemble à une maison d'édition qu'une autre maison d'édition: là aussi, les couleurs du rêve et du secret, le temps de l'écart, de la mémoire. Le dernier livre que vient de publier l'ami Wouter, c'est Illusions Perdues: le livre n'avait jamais été traduit en néerlandais.


A peine arrivé, le premier soir, Wouter m'emmène en voiture à Vaardingen, tout près de Rotterdam, dans une bibliothèque couplée à un lycée. Et que le lendemain, ce sera départ vers le nord, à Groeningen, deux heures de route entre ciel et eau, ponctuée d'éoliennes, et parfois la route qui se soulève pour laisser passer les bateaux, ou bien ces pylones qui semblent flotter dans la brume.


A l'Université de Groeningen, on lira, on parlera, et le soir même depuis l'hôtel il y en avait des photos sur remue.net. Vous pouvez aussi les suivre sur Internet, Jean-Philippe Toussaint et Gaëtan Soucy.
Le lendamain c'est Manet Van Montfrans qui organise la journée à l'Université d'Amsterdam. Un amphi comble, et une ambiance réactive à la seconde. C'est moi qui ouvre la journée, passant le relais à Annie Ernaux (à côté d'elle c'est Rokus, traducteur aussi de Michon et de Barthes, comme de la version hollandaise d'Espèces d'Espaces). Après, c'est Gaëtan Soucy puis Jean-Philippe Toussaint (ici avec Marianne Kaas, sa traductrice, qui est aussi celle de Pierre Bergounioux et avait traduit Un Fait Divers). Comme à Clermont-Ferrand ou au Japon, j'ai toujours un oeil sur comment on propose Internet aux étudiants. Tout le rez-de-chaussée de la fac est parsemé de postes, et même, ici, la cafet – avec une étrange machine qui, une fois avalés les 50 cts d'euro, se mettrait à dispenser 2 litres de café sans s'arrêter: une certaine avance sur nous, aussi bien pour Internet que pour les cafetières? Mais pas étonnant que remue.net ici aussi ait des lecteurs!


Dommage qu'on les distingue à peine, Margot Dijkgraaf et Laurie Potiron, de la Maison Descartes, en pleine conférence, étaient les chevilles ouvrières de cette semaine vouée à la littérature française (oui, je dis bien française et non pas cet affreux mot de "francophone", qui ne fait que nous séparer...)


Le silence qui s'installe dans les moments de lecture. L'étrange précision du rapport de la voix à ce qui s'écrit, quand c'est lu par l'auteur... Mains d'Annie Ernaux.

La météo ne se prêtait pas vraiment aux balades, malgré les premières couleurs sur le marché aux fleurs. Alors est-ce illégitime de revenir à la chambre d'hôtel et voir ce que c'est, une après-midi au calme, avec vue sur le canal (le Singel). J'écoute Bert Jansch (non, pas un Hollandais, lui, mais un Ecossais...) et les heures filent vite, dans une concentration qui est la récompense. On n'a pas souvent ce luxe...

Le dernier soir, Wouter invite Manet Van Montfrans et les traducteurs de la collection "bibliothèque française", on parle et on parle. Quand on sort, il ne pleut plus. Wouter m'offre une heure de randonnée nocturne dans les rues les plus anciennes du coeur d'Amsterdam. On longe pas mal de coffee-shops, mais que voulez-vous, c'est d'architecture qu'on parle: Wouter connaît par coeur chaque détail de sa ville,avec une affection particulière pour les dissymétries des maçons du dix-septième, ou l'art d'installer une façade en coin.

En retrouvant la gare, le lendemain matin, j'essaye de me souvenir de mon premier voyage. J'avais travaillé tout l'été à Longwy, donc c'était en 1974. On avait laissé au camping ma 2CV, et on était monté avec la R6 d'un copain, Jean-Marc Besson. C'était la première fois pour nous deux. On avait marché au hasard des heures, longtemps, très longtemps – on n'était pas du genre à l'époque à s'offrir un guide vert ou bleu ( le Routard n'existait pas encore, et les musées ça devait être le lendemain). Souvenir très précis d'avoir acheté sur une place en plein air un double album, racheté plus tard en CD et qu'il m'arrive d'écouter encore, Will The Circle Be Unbroken (ici on peut en écouter des extraits, comme Lonesome Fiddle Blues), avec Doc Watson, Norman Blake, Vassar Clements. Je me souviens aussi comment on était resté figé devant un magasin qui vendait une Martin 12 cordes, et même si après notre été d'intérim on avait de l'argent dans les poches, ce n'était pas pour nous (on avait bien sûr nos propres guitares dans la voiture). Hélas, dans la nuit, tempête d'eau et de vent, notre canadienne qui s'envole, on replie comme on peut nos affaires dévastées et trempées dans la voiture où on finit la nuit, et le lendemain retour: pas glorieux, le souvenir du premier voyage à A'Dam...

Et la littérature déjà ou pour toujours comme cet objet jaune, sur l'eau.

FB, 20 mars 2004