Paul Valet | Soleils d’insoumission

urgence et poésie : où sont les mots nécessaires ?



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note du 21/12/2008
Pour finir l’année 2008, reprise de cette page sur Paul Valet.
Le petit livre dont les extraits ci-dessous sont tirés, Soleils d’insoumission, n’existe plus, puisque la maison d’édition a disparu.
Quant à la réflexion initiée, elle est d’autant plus scintillante que tout l’horizon est plus sombre.
Où et comment lire aujourd’hui Paul Valet ?

présentation initiale
J’ai découvert Paul Valet par ce texte fabuleux, Et je dis NON, dans l’anthologie de la Poésie du XXème siècle composée par Zeno Bianu pour la collection Gallimard Poésie.
Je me suis procuré ensuite Soleils d’insoumissions, dans la collection Jean-Michel Place, où Paul Valet est présenté par Jacques Lacarrière. Il m’accompagne depuis lors.
Le montage ci-dessous, texte personnel et 3 extraits, a été lu le 20 septembre 2003, au théâtre du Rond-Point, à Paris, lors d’un après-midi où il s’agissait de réfléchir à l’écho pour les écrivains des questions soulevées par la coordination des Intermittents du spectacle ou la notion d’engagement.
Très peu de choses sur le Net, hors poezibao. J’insère quelques dates ci-dessous.

 

Hommage : pour lire Paul Valet


 

1 _ « Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ? »

Être lucide
C’est perdre connaissance

Être libre
C’est perdre l’équilibre

Être vengeur
C’est terrasser la vengeance

Être intact
C’est terrasser l’évidence

Être aux abois
C’est passer au-delà

Invincible est la détresse
De celui qui voit

 

Celui qui a écrit ce poème est né à Moscou en 1905, de mère polonaise et de père ukrainien. Il deviendra pianiste de concert, et en 1924, quand sa famille s’installe en France, renonce à la vie de musicien, fait des études et devient médecin, puis médecin homéopathe, métier qu’il exercera à Vitry-sur-Seine jusqu’en 1970. Maquisard et résistant dès 1941, son père, sa mère et sa sœur finissent à Auschwitz. Il publie en 1948 son premier recueil de poème. Il s’appelle Georges Schwartz, il décide de signer Paul Valet parce qu’il se voulait, dit-il « au service exclusif de la poésie ». Titres de ses recueils : Sans muselière, Poésie mutilée, Poings sur les i, La parole qui me porte, Paroles d’assaut, enfin Soleils d’insoumission. Il meurt le 8 février 1987.
Pour nous tous, une leçon. Écrire est hors du monde, ne demande rien au monde, est un acte libre qui n’échange rien avec le monde. Il s’affirme libre à cette condition, de séparer notre être social de notre être d’écriture.
Voir ce que Paul Valet, en 1949, intitule Réponse à Paul Éluard :

 

2 _ Qu’il faut chanter le monde pour le transformer

Quand vous dites
Qu’il faut marcher avec ceux qui construisent le printemps
Pour les aider à ne pas être seuls
Et pour ne pas être seul soi-même
Dans sa tour de pierre
Dévoré de lierre
Je vous donne raison
Et quand vous dites
Qu’on n’a de raison d’être
Que pour les autres êtres
Vous avez raison vous avez raison

Et quand vous dites
Qu’il faut chanter le monde pour le transformer
Et pour l’expliquer et pour le sauver
Et pour vivre non seulement dans sa bulle de savon
Mais dans la haine de l’injustice
Et pour un but incarné comme un champ de blé
Vous avez raison vous avez raison

Mais je sais
Qu’une étreinte fraternelle sans patrie ni parti
Est plus forte que toutes les doctrines des docteurs
Mais je sais
Que pour libérer l’homme des haltères de misère
Il ne suffit pas de briser les idoles
Pour en mettre d’autres à leur place publique
Mais qu’il faut piocher et piocher sans fin jusqu’au fond de l’abcès
Et boire ce calice jusqu’à la lie

On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées
On ne libère pas l’homme de son corset de fer
En le plongeant dans un vivier de baleines
On ne libère pas l’homme de ses maudits États
En le condamnant à vie par un modèle d’État

La vérité n’est pas un marteau que l’on serre dans sa main
Fût-ce une main de géant plein de bonne volonté
Mais la vérité c’est ce par quoi nous sommes façonnés
Mais vérité c’est par quoi nous sommes éclairés
Quand par la nuits sans suite les mots jaillissent de nos lèvres
Pour apaiser les hommes suspendus à leur vide

 

Se suspendre donc au vide, et pas à demander pour nous auteurs de coquille ou de cocon ni aucun de ces modèles d’État. La leçon de Paul Valet est dans cette insoumission de l’écriture, ce qu’elle implique pour les choix de vie et des risques, que le besoin vital d’écrire inscrive cela aux frontons sans cesse ré-effacés de notre histoire. La littérature proteste, la littérature fait peur, la littérature vous met en bascule, et ceux qui s’y risquent pour eux nous poussent à notre tour vers le lieu de danger, le lieu où on crie, où il y a folie. Pour cela qu’ils sont si rares, si précieux, si nécessaires, les poètes : pour leur refus. Paul Valet, 1965, Et je dis non :

 

3 _ Et je dis non

Je dis NON aux miasmes et marasmes et à tout ce qui rampe et glisse et se décompose. Je dis NON aux paroles en beurre avec tous les honneurs, prix des prix, médailles, promotions, nomenclatures, carrières diverses et de sable. Je dis NON aux nargues et venargues et subardes à l’air conditionné. Je dis NON aux cabotons pieds de biche, archivoltes, croupions et portails, jarretelles et jarretières et collants intégraux. Et je dis NON au gros, au détail, aux tarifs, aux clients, au débit, au crédit, aux factures et l’escompte. Je dis NON aux affaires fructueuses, au lugubre, à la lie. Pas d’argent, pas de sang. Je dis NON à tout ce qui se dérobe clandestinement à la folie naturelle. Je dis NON à la suite, à l’axonge et la panne et la glu et le lard et l’anus et les écoulements-excréments et les boucheries des animaux innocents. Je dis NON à la basse-cour, à la Haute Cour, les bombyx, les bombements. Je dis NON aux concubinages et mariages et lois contre les trigames, adultères en babouches, en culottes trop serrées pour femmes en état de grossesse.

Je dis NON aux regards fuyants et aux bouches suçoirs.

Je dis NON aux stratégies amoureuses, aux ogives nucléaires, aux missiles et fusées mortuaires. Je dis NON aux duplicatas.

Je dis NON à l’État.

La culture ou l’ordure ? Je suis contre. Je dis NON aux manies cérébrales, aux visages détournés, aux rivières desséchées.

Je dis NON aux écorcheurs, procureurs, professeurs, ordinateurs, aux musées et aux râteliers. Il y a OUI pour le NON. Il y a poésie et poésie. Il y a eau minérale et eau minérale. Il y a cérémonies. Il y a tout le fourbi. Il y a le roussi. Il y a la folie.

 

Voici, petit objet rouge et noir, le seul livre aujourd’hui disponible – non pas même les recueils, non pas l’œuvre complète, mais une anthologie des textes de Paul Valet. Le jour même où on apprenait que l’État français se préparait à payer 675 millions de dollars d’amende à l’État américain pour l’affaire Executive Life, qu’on apprenait que monsieur Messier toucherait 20 millions d’euros d’indemnité de licenciement pour avoir trop tripatouillé d’argent, qu’on apprenait que la France porterait en 2004 à 40 millions d’euros par jour ses achats d’armement militaire, l’éditeur de ce livre, Jean-Michel Place, pour 2 à 3 dizaines de milliers d’euros de découvert, était mis en redressement judiciaire.
La triste domination, sur les enjeux de culture et de création, d’une finalité économique revendiquée avec cynisme par les dirigeants d’aujourd’hui, ce n’est pas seulement la disparition quasi invisible des Soleils d’insoumission : ces livres secrets qu’on se passe de l’un à l’autre, c’est la manière même d’exister de notre travail d’écriture.
Le cynisme de cette finalité économique dominante, c’est que se taira ainsi une des paroles poétiques les plus discrètes mais les plus extrêmes de ce siècle, qui revendiquait justement de s’exercer, jusque dans le nom de l’auteur, hors de tout pacte ou tout échange social.

 

4 _ emmurés vivants

À travers le mur de mes sens, je pressens d’autres emmurés vivants.
J’écris, c’est un mystère
Je vis, c’est un miracle
Depuis des siècles et des siècles, je crie : Au SECOURS ! On me répond : attendez votre tour.

 

Manière de dire qu’il n’y a pas d’artiste, quand bien même, médecin à Vitry-sur-Seine, il n’aurait besoin que d’une plume, d’un carnet et d’un crayon, qui ne soit rejoint par le cynisme de ce siècle. On peut inventer au quotidien toutes les formes possibles pour que la poésie s’entende, il n’y a pas d’exercice de cette invention-là qui n’entre en friction avec la triste hégémonie de l’argent :
Quelle nuit sommes-nous ?, disait Paul Valet.

 


Paul Valet, quelques repères biographiques

d’après la biographie établie par son fil, Jean-Michel Schwartz, pour l’anthologie Jean-Michel Place :

 

 1905 : naissance de Georges Schwartz, mère polonais, père ukrainien, dentiste à Moscou.
 1908 : naissance de sa soeur. Elevé par une gouvernante allemande et un précepteur français, parle couramment le russe, le polonais, le français et l’allemand. Commence le piano à 5 ans. Pianiste prodige, virtuose à 15 ans, donne des concerts en Russie et en Pologne, répertoire Bach, Lizst, Chopin et Scriabine.
 1917 : lycéen, entend des discours de Lénine et de Trotzky, les biens familiaux sont saisis par les Bolcheviks. Exil pour la Pologne, à Lodz.
 1924 : arrive en France, interrompt sa carrière de pianiste et décide d’être médecin, passe le baccalauréat français dès l’année de son arrivée, puis s’inscrit à la fac de sciences pour l’année préparatoire aux études de médecine.
 1927 : inscrit à la Sorbonne, commence parallèlement une licence de lettres.
 1929 : reçu au concours de l’Externat des Hôpitaux de Paris, prépare l’Internat des Hôpitaux psychiatriques.
 1930 : se marie avec Hala, d’origine polonaise, étudiante en chimie-biologie.
 1931 : obtiennent tous deux la nationalité française.
 1932 : doit en conséquence accomplir son service militaire, d’abord comme médecin-auxiliaire, puis cassé de son grade en tant que "forte tête", terminera comme simple soldat.
 1934 : docteur en médicine, sa thèse "stérilisation eugénique des anormaux" est en rapport direct avec ce qu’il analyse de la montée du nazisme, et démontre l’absurdité scientifique de ces pratiques.
 1936 : s’installe comme médecin généraliste à Vitry-sur-Seine.
 1938 : naissance de son fils Jean-Michel.
 1939 : mobilité, réintégré dans le grade de médecin-lieutenant, envoyé dans la Sarre, dans le prolongement de la ligne Maginot. En juin 1940, évacuation des blessés de son bataillon sous les bombardements.
 1940 : retrouve sa femme et son fils en Auvergne.
 1941 : devient médecin des agents alliés parachutés blessés. Sera un des pionniers de la résistance en Haute-Loire et dans le Cantal, et en assume jusqu’à la libération les responsabilités principales. Sa femme Hala fait partie du même réseau.
 1945 : retour à Vitry-sur-Seine, découvre l’existence des camps de concentration, apprend que son père, sa mère et sa soeur ont été gazés à Auschwitz.
 1946 : rouvre son cabinet de médecin à Vitry, apprend l’homéopathie, qu’il pratiquera ensuite exclusivement.
 1947 : commence à écrire sous le pseudonyme de Paul Valet, dessine beaucoup, commence à peindre, et reprend par périodes le piano.
 1948 : publie son premier recueil, Pointes de feu, mais pour lui l’année 1948 sera celle de l’assassinat de Gandhi...


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1ère mise en ligne 31 décembre 2008 et dernière modification le 27 janvier 2016
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