slogans et mots d’ordre

atelier d’écriture pour période électorale


Soit une séquence prise au hasard dans Slogans :

DÉTRUIRE L’ISSUE
273. DESTRUCTION DES ISSUES
274. FERMETURE IMMEDIATE DES MATRICES.
275. À l’ENTRÉE D’UNE MATRICE, NE CHERCHE AUCUN PASSAGE !
276. SI TU RESTES OUBLIÉE SUR LA VOIE, TRANCHE A LA HACHE CE QUI TE RETIENT AU MONDE !
277. SI TU SORS D’UNE MATRICE, NE CHERCHE AUCUN PASSAGE !
278. ANNULATION DES MATRICES OBSCURES !
279. FIN DES MATRICES GOTHIQUES !
280. HORS DES MATRICES, REGROUPEZ-VOUS !
281. RECOUVERTES DE TERRE, REGROUPEZ-VOUS !
282. DANS LA FUMÉE, REGROUPEZ-VOUS !
284. OUBLIE LE PASSAGE TORTUEUX, COUPE CE QUI TE RETIENT AU MONDE !
285. CARABES D’OR, TRAHISSEZ, REGROUPEZ-VOUS, FRAPPEZ !
286. LOUVES BLANCHES DE LA TROISIÈME VAGUE, FRAPPEZ !
287. LOUVES BLANCHES DU MONDE NUMBER ONE, OUBLIEZ LE PASSAGE TORTUEUX, PASSEZ EN FORCE, FRAPPEZ !
288. ENFANTS DES NAINES, NUMÉRO DVA, REGROUPEZ-VOUS HORS DES MATRICES, NE PARLEZ PAS, FRAPPEZ !
289. DÉTRUIS L’ISSUE, DÉTRUIS LE PASSAGE TORTUEUX, ET ENSUITE : NITCHEVO !

RÊVE NUMBER QUARANTE-NEUF
290. AUBE IMMÉDIATE, VENTS TIÈDES !
291. RETOUR DES LUMIÈRES NON BRÛLANTES !
292. AURORE BLANCHE, GAZOUILLIS !
293. HORIZON DÉGAGÉ, PARFUMS D’ÉTÉ !
294. SUR LA GRÈVE : VAGULETTES, DDANS LE CIEL : PREMIÈRES MOUETTES !
295. UNE BARQUE SE BALANCE, RPEVE NUMBER QUARANTE-NEUF !
296. PROMESSE DES HEURES MATINALES !
297. RETOUR DES SILENCES TRANQUILLES !
298. HERBES ODORANTES, ABEILLES LOURDES !
299. DES ABEILLES SUR LES FLEURS, ET ENSUITE : NITCHEVO !

ÉGAREZ-VOUS
300. OMBRES DES MARGES, COUREZ, FRAPPEZ !
301. FRAPPEZ, IL NE VOUS SERA JAMAIS PARDONNÉ, FRAPPEZ !
302. PENSEZ A CELLES QUI SONT RESTÉES, FRAPPEZ !
303. PENSEZ A NOUS, COUREZ, FRAPPEZ !
304. OUBLIE LA GANGUE AMÈRE, DISPARAIS, FRAPPE !
305. SORS DE LA GANGUE AMÈRE, COURS SUR LES GALIONS JAUNES !
306. PENSE AUX INFANTES NUMBER MILLE, N’OUBLIE RIEN, OUBLIE LA GANGUE AMÈRE !
307. SI TU ENTENDS TA MAIN QUI SE DÉCHARNE, ÉGARE-TOI, OUBLIE LA GANGUE AMÈRE !
308. OMBRES PRIVÉES, ÉLYTRES, COUREZ SUR LES GALIONS JAUNES, ÉGAREZ-VOUS, FRAPPEZ !
309. OMBRES DES MARGES CHAMANES, NE COUREZ PAS VERS LA BOÎTE QUI SE DÉCOMPOSE !
310. COUREZ, ENFOUISSEZ-VOUS SOUS LES CITÉS, IL NE VOUS SERA JAMAIS PARDONNÉ !
311. COURS SUR LES GALIONS JAUNES, CRIE AVEC LES MOUETTES QUI SE DÉCOMPOSENT !
312. SI TU AS CRIÉ UNE FOIS, CRIE UN MILLIARD DE FOIS !
313. SI TU AS OUBLIÉ UNE FOIS, OUBLIE UN MILLIARD DE FOIS ET DISPARAIS !
314. PENSEZ A NOUS, BRÛLEZ SOUS LES CITÉS, ÉGAREZ-VOUS, FRAPPEZ !
315. JAMAIS NE BRÛLEZ DANS LA BOÎTE QUI SE DÉCOMPOSE !

Soit quelques-uns des grands mots d’ordre et petites phrases de Hubert Lucot – exprès je ne prends pas la rubrique culture et communication, mais celle plus neutre, pour nous ici, de fonction publique :

fonction publique
A bas l’argent mal acquis : arrêtez de verser les retraites.
Le budget de l’État fond dans leur main, pas dans notre bouche.
Technocrates, ne secouez pas le cocotier : vous êtes assis dessus.
De nombreux facteurs consciencieux attendent la privatisation de la poste pour distribuer le courrier.
Les fautes d’orthographe abondent dans le courrier, il faudrait privatiser la poste.
Dans les bureaux, le milieu de semaine ne comprend qu’un ou deux jours.
« Entre un service public dispendieux, inefficace, irresponsable, bon marché et un secteur privé dynamique, quel choix dois-je faire ? »
N’utilisez pas l’électricité que distribue EDF : il est immoral et dangereux que l’État détienne les sources d’énergie.
« Il y a trop de facteurs en France. S’il n’y en avait qu’un ou deux par département, le courrier serait mieux distribué, du moins, la poste serait plus rentable. »
Pour vanter la privatisation, des clips nous montrent la réalité du service public : coupures d’électricité, retard des trains, postiers buvant l’apéritif, responsables de la télévision d’État visionnant des films d’Einsenstein.
Le salaire des préfets est peu élevé mais avec les pourboires ils s’en tirent.
Nous espérons que, privatisée, EDF n’alimentera pas la SNCF, si celle-ci s’obstine dans la nationalisation.

lire un autre extrait : « économie et finance », les 10 premières pages sur site POL

Je crois, dans cette séance d’atelier d’écriture avec mon groupe mêlant des terminales vente du lycée professionnel Victor-Laloux et des étudiants en urbanisme, j’ai fait correctement mon travail :
 avoir lu des extraits de Slogans, les avoir mis en relation avec l’histoire des avant-gardes, futuristes ou dadaïstes, la question politique de l’affiche et du samizdat, citant par exemple Maïakovski ;
 avoir situé qui était Antoine Volodine, son chemin dans la science-fiction et ses territoires de fiction avec subversion et conspiration, son bilinguisme, le fait aussi qu’il habite Orléans, donc tout près, et que si le livre de Maria Soudaieva avait été un livre d’Antoine Volodine, il ne nous aurait pas été accessible dans cet excès et cette violence, fait purement poétique et non lié à une reconduction de l’art brut, notamment chez ceux qui subissent le cadre psychiatrique, comme ça a pu être cas pour Ernst Herbeck .

Avoir situé aussi, plus textuellement, la tentative d’Hubert Lucot :
 que s’il s’agit de manipuler ludiquement la langue on s’écroule : l’humour ne peut pas être délibéré ni construit ;
 qu’il n’y a pas un axiome dans le livre de Lucot qui ne puisse être relié à un problème de société spécifique, mais qu’il n’y a pas un axiome de Lucot qui ne détourne volontairement la question posée, et que ce détournement est toujours énonçable.

J’avais élaboré ma proposition d’écriture de façon suivante :
 où Soudaieva, traduite par Volodine, propose une arborescence mentale, Lucot s’appuie sur une arborescence quasi administrative : la liste des ministres en poste correspond à la liste des chapitres, et je leur ai lu à haute voix le chapitre sur les transports et équipements, tout ce qui y concerne l’automobile ;
 la question étant celle de l’arborescence, j’ai proposé que pour nous elle soit spatiale : les slogans et mots d’ordre que nous allions écrire, où allions-nous les installer ?, et de faire l’inventaire de tous les possibles liés à nos pratiques quotidiennes : à la sortie de chez soi et sur l’arrêt de bus (voire, sur la porte des jeunes frères et sœurs), sur le bord de la route en grands panneaux publicitaires, sur le portail du lycée côté entrée et côté sortie (ne sont certainement pas les mêmes), dans la salle des profs, et sur le lieu du stage : à l’attention des collègues, des chefs, des clients et que chacun des mots d’ordre devait être accompagné de l’indication du lieu où on l’installe ;
 que pour chaque question qu’on pointe, en chacun de ces référents spatiaux, il devait y avoir mot d’ordre, puis détournement, renversement, décalage du mot d’ordre : une inversion de mot parfois suffit, une redondance, une tautologie — mais pratiquer de façon volontaire ce détournement, savoir l’énoncer.

A mesure qu’ils écrivaient, mon ordinateur branché sur vidéo-projo (on avait la chance d’être dans salle multimedia), je construisais en 2 mètres sur 3 via PowerPoint l’affichage de ce qu’ils écrivaient :

sportif au travail (salle de pause Decathlon)
accrochez vos cœurs aux porte-manteaux (hall d’entrée du lycée)
insérez votre permis dans le tableau de bord (obligatoire pour toutes les voitures)
pour avouer vos délits, se présenter le lundi entre 10h00 et 12h00 (au commissariat)
parlez fort, ne faites pas les morts (au cinéma)
pourquoi être solidaire quand on peut être solitaire (hôpital)
ceux qui ont des choses à dire sont priés de faire preuve de courage (pour ceux de la classe)
pourquoi venir en cours quand on ne dit rien à ceux qui ne viennent jamais (panneau vie scolaire)
n’ayez pas peur, on est des êtres humains (à l’entrée du quartier)
demander l’arrêt est interdit : terminus obligatoire (dans le bus)
faire la tête n’est pas autorisé dans l’enceinte du magasin (stage)

J’en ai collecté ainsi entre 5 et 10 par élèves, multiplié par 2 fois 18. Je ne les mets pas tous en ligne, faites d’abord ceux qui vous concernent.

Mais il nous manquait quelque chose : ça passait sur l’écran, ça ne passait pas dans la lecture à haute voix. Alors j’ai fait deux groupes, un groupe de chaque côté de la salle, et on s’est invectivé le plus vite et le plus fort possible, uniquement par nos mots d’ordre, chacun répondant à celui de l’autre groupe selon affinité ou antagonisme, slogan parallèle ou slogan contraire. Alors oui, on avait trouvé : la langue, au milieu, en suspension dans l’air, en relief et visible, détournant le langage de son usage dominant, le séparant de son injonction au réel.

Pourtant, rarement eu comme cette séance le sentiment qu’une proposition d’atelier ça se rôde : quand je l’aurai utilisée 3 ou 4 fois, ce sera génial. Une proposition d’écriture c’est un genre de partition fixe, celle-ci tient la route mais il faut l’avoir chantée plusieurs fois sans doute pour qu’elle donne à plein ? C’était ça aussi, l’importance de l’atelier annuel qu’on mène avec les profs de l’académie de Versailles : tester entre nous ce qu’on doit construire avec les élèves... Là c’était la première fois : chaque année, finir la saison avec 5 ou 6 propositions neuves. Mais non, comme ça fait 15 ans.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er avril 2007
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