une hache rouge sur l’enfance

à relire d’anciens ateliers


L’ordinateur accumule tout depuis 1988, mais je n’y regarde pas souvent. J’ai dû faire un peu de ménage à cause d’une clé USB que j’ai laissée au format PC, et qui n’accepte pas les / dans les titres de fichiers. Or, jusqu’en 1998, le Mac acceptant tout, je les utilisais beaucoup. Ça concernait exactement 272 fichiers pour ce qui est de mon dossier archives ateliers d’écriture. J’en profite pour les convertir en word actuel. Il y a des doublons, des trucs inutiles, des trucs aussi qui ne me regardent plus une fois l’expérience finie alors j’ai éliminé beaucoup. En même temps, étrange comme tout cela est mémorisé : on se souvient des textes plus que des gens, des noms plus que des visages. Dans ces textes que je relis, celui-ci, bien caractéristique de ce dont on devient malgré soi dépositaire, bien loin de ce qui est l’expérience initiale, et qui pourtant fonde en profondeur ces expériences, en plaçant du langage dans des lieux qui incluent l’extrême du langage, là où il désigne ce qu’il ne saurait pas rejoindre. Je ne sais pas ce qu’est devenue l’auteur, ça va être ma tâche d’aujourd’hui, tenter de le savoir. Sept textes successifs, écrits en 1994.

Photographie : Lodève, par Jérôme Schlomoff, 1995.


une hache rouge sur l’enfance

 

Un jour j’avais rêvé que j’étais morte, j’ai vu des gens autour de moi et j’ai vu un long tunnel et au bout il y avait une lumière rouge ensuite je suis revenue. Mes parents se posaient la question. Des fois je rêve, j’imagine mon cercueil et les gens autour de moi qui me demandent pourquoi je suis morte. Et après je casse le cercueil. Avant de mourir je mange, je me douche, je prends mon briquet avec moi. Je casse le cercueil. Tout le monde arrive. — Alors votre fille n’est pas morte ? Je veux mourir pour voir la lumière rouge mais je n’y arrive pas. Je veux toucher les gens mais je n’y arrive pas.

J’ai rêvé d’avoir une belle maison, une maison hollywoodienne. Je la voyais vaguement. A l’intérieur il y avait des cercueils, des cadres accrochés au mur où il y avait des chevaux et maintenant, chaque fois que je me promène, je vois des cimetières ça me fait peur et la nuit je rêve de cimetière.

L’autre jour j’ai rêvé que je n’avais plus de cheveux sur la tête.

Mon rêve de mettre plusieurs chaises l’une sur l’autre. Ça ne tient pas. Je veux toucher le ciel pour voir si c’est chaud, si c’est mou, je veux percer, s’il y a de l’eau. Des fois je rêve que je pleure, je fais le tour de la maison. Je m’étouffe tellement je pleure. J’ai peur que quelqu’un rentre dans la maison, et que je ne vois pas son visage. Je leur dis pourquoi êtes vous là, qui êtes vous ? La personne me répond : — Vous êtes chez moi. Vous devez vous en aller.

Rêve fantastique. Je rêve d’avoir plusieurs enfants en pleine santé, avec des diplômes, un mari rien que pour moi, pour moi. J’imagine une garde-robe de belles robes brillantes, bien décolletées. Si je n’avais pas de cicatrice au coeur, je porterais de belles robes décolletées.

Mes rêves avec les serpents : j’ai peur de me faire mordre par les serpents.

Mon rêve de l’Afrique : je vois tous les soldats qui ont fait la guerre, Je hais les noirs, je hais tout ce qui est noir.

 

des nerfs dans l’air

Il y a des choses que je ne peux pas dire. Des choses que j’ai fait toute ma jeunesse, j’aimerais bien le faire sortir et quelquefois je ne peux pas.

Je n’aime pas être doublée. On m’a menti plusieurs fois, donc c’est fini.

Je ne fais pas confiance à tout le monde, je ne suis pas une fille à confidence à la première venue. Par contre je me confie assez souvent à mon médecin, en général quand je vais le voir on met 2h1/2 à parler. Lui il est toujours allongé comme ça, parce qu’il a faim, parce qu’il a soif.

Je parle de tout ce qui me tracasse, de ce qui me tape sur les nerfs, je parle des gens que je vois dans la rue et que je n’ai pas envie de voir, je parle des gens à qui je fais un sourire et que je n’ai pas envie. Je parle de mon travail et je parle de mon réveil le matin.

C’est ce qu’il me demande chaque fois, si j’ai bien dormi. Je suis désagréable, je lui demande : — Qu’est-ce que ça peut vous faire si j’ai bien dormi, occupez-vous de vos oignons.

Il me connaît depuis 8 ou 9 ans. J’y ai été il y a 3 semaines, et j’ai rendez-vous demain. J’ai rendez-vous à 5h1/2, j’en sortirai à 10h1/2.

Quand j’arrive je dis à sa secrétaire :— Il est là le monsieur ? Elle dit : — Oui c’est pourquoi ? Moi je suis déjà rentrée. Il me dit : — Ah, si vous n’êtes pas dans la salle d’attente, c’est qu’il y a les nerfs dans l’air.

Chaque fois il me dit : — Attends. Il a son cabinet juste à côté de l’épicerie Tigre. Il envoie sa secrétaire chercher de l’eau. Je lui dis : Demandez aussi des gâteaux. Après 9h1/2 il dit : — Tu parles trop, tu ne peux pas venir plus tôt ? Quand j’arrive, le temps qu’il dise bonjour, j’ai déjà dit 3 phrases : — Tu ne peux pas me laisser un peu respirer ?

Je dis : — Ecoutez, j’ai pas le temps.

Il me dit : — C’est quoi le menu aujourd’hui ? Et après il me dit : — Et elle vient dans mon bureau avec l’odeur de cigarettes. Tu sens mauvais, ma pauvre.

Je dis : — Je le fais exprès. Si je discute pas avec vous, je vais exploser.

Quand j’étais petite, je lui demandais sans arrêt s’il avait des bonbons. Quand j’étais petite, je hurlais sans arrêt.

C’est depuis l’âge de 18 ans. Avant j’avais trop honte de parler à mon médecin. J’avais peur qu’il en parle à mes parents. Il m’a dit qu’il était tenu par le secret professionnel, alors j’ai dit : — Je vais vous déballer mon sac.

Je lui ai dit : — Mais vous regrettez tout ce que je raconte ?

Il me dit, oh tu sais, je ne me souviens pas de tout.

Je lui dis : — Vous voulez que je recommence ?

Il dit : — Ah non. Avec tout ce que tu me racontes...

Je lui dis : — Vous voulez que je vous dise tout ? Prenez des cahiers, recopiez.

Il dit : — Il m’en faudrait 8, des cahiers.

Tant que je ne fais pas un sourire, il me nargue, il me cherche : — Tu veux faire comme Michaël Jackson, tu veux être blanche ?

Il veut absolument que je fasse un sourire. Moi quand je suis énervée je le regarde dans les yeux, des fois j’ai envie de m’asseoir. Il me tire la chaise.

Je voudrais mettre ça par écrit, juste pour moi déjà. Je ne sais pas à quelle date je suis née, je ne sais pas où je suis née. C’est pour ça que j’en veux à mes parents.

J’ai rencontré ce monsieur dans la forêt : pourquoi j’étais là ? Qui c’était ?

Est-ce que j’avais des frères et des soeurs ? Est-ce qu’il travaillait avec mes parents. J’aimerais avoir une piste. Maintenant je laisse tomber. Je me demanderais qui je suis, quel genre de parents j’avais exactement, j’ai l’impression d’avoir été abandonnée, j’en suis sûre.

 

je vous parle de mon village

C’est un village sacré, c’est un souvenir que je ne veux pas oublier. Je n’ai rien oublié.

C’est un village désagréable plein de douleur.

C’était agréable avant. Tout le monde s’amusait dans les rues. Tout d’un coup, ça a explosé, c’était l’enfer.

Mon village était dans un champ avec des maisons en paille, c’est bizarre. Pointues, c’est comme une tente.

Ce jour-là on faisait à manger et tout d’un coup, un hélicoptère passe et il nous a lâché quelque chose qui a explosé.

On parlait le dialecte tout en bas de l’Afrique. On a mis 3 jours pour arriver à l’endroit où on parlait le portugais.

Comme je sortais vraiment de la forêt, j’ai découvert les bananes, les fruits exotiques africains, les mangues, des mandarines, des oranges, des ananas, du maïs. On faisait des feux avec du bois, on faisait brûler le maïs.

Mon village, c’est plus beau à voir qu’à raconter. Il faut voir pour raconter.

Il y a tout le temps du soleil. L’eau transparente, le sable blanc, c’est beau.

Je croyais avoir trouvé un foyer. Il y avait une soeur qui boitait. Quand ça a explosé elle nous a pris autour d’elle.

Je me souviens que j’étais à quatre pattes.

J’avais un genre de couche qui cachait, et une ceinture en paille comme une jupe. J’avais une poupée en chiffon. Je l’ai perdue.

Mon village, tous les soirs un camion militaire venait nous chercher pour aller dans un autre hôpital pour nous soigner. Le jour où je suis partie j’étais triste.

Je crois que j’ai eu beaucoup de chance.

Bon, j’ai été abandonnée, mais par rapport aux gens qui sont morts, j’ai souffert mais je suis toujours vivante.

 

adoption

Aujourd’hui je voudrais vous parler de mon arrivée en France. Et comment j’ai été accueillie et pourquoi je suis arrivée en France.

Je suis arrivée en France parce que j’avais un problème de coeur, et qu’il n’y avait pas de médicaments dans mon pays pour me sauver.

Aujourd’hui je suis sauvée, mais aussi j’ai des nouveaux parents. Mon père, ma mère : j’ai été accueillie comme leur propre enfant et je suis leur propre enfant.

J’ai eu peur la première fois à l’aéroport de voir plein de Blancs, mais ma maman m’a parlé en portugais. C’était un peu compliqué de parler le portugais avec quelqu’un qui ne parlait pas le portugais.

Je parlais le portugais, mais maintenant j’ai complètement oublié. J’ai eu la chance de tomber dans une famille qui avait été au Brésil, ma mère était professeur de danse, elle parlait portugais.

Au début c’était un peu trop pour moi. Puis je me suis habituée. Je me suis habituée d’avoir des parents blancs et des frères blancs et une soeur avec laquelle je m’entends très bien, je veux la mettre aussi dans mon livre.

C’est grâce à eux que je suis en France aujourd’hui. Ils m’ont nourrie, logée, mise à l’école et m’ont donné l’hospitalité. Le bonheur complet, un bonheur que je n’espérais pas connaître un jour. D’avoir un père, une mère que je n’ai pas connue.

Avant de prendre l’avion, j’étais dans un hôpital qui s’appelle Luanda. On me soignait là-bas. C’est là où il y avait une infirmière, et l’homme de ménage. J’étrais très triste de les quitter. La femme s’appellait Odine, l’homme de ménage s’appelait Matéouch.

Je veux parler de quand j’étais chez eux. Ils m’amenaient chez eux, je dormais chez la femme, chez l’homme. J’allais souvent prier à l’église, j’allais à la mer, dans les marchés africains. Elle demande souvent de mes nouvelles.
Ce qui me touche, je voudrais savoir pourquoi je suis tout heureuse avec mes nouveaux parents.

Je me suis habituée plus à ma mère parce que j’ai toujours eu peur des hommes, c’est horrible.

C’est le fait que c’est les hommes qui ont fait la guerre. Je hais les hommes, à part mon père, mes frères, mon médecin, mon psy. Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? Est-ce que mon petit frère fera la guerre lui aussi ?

Quand je vois des camions militaires j’ai le coeur qui bat. Est-ce que je vais garder encore cette image longtemps, et cette haine des Noirs, des Africains ?

En Afrique ils faisaient la guerre, ils avaient de la terre sur le visage. Ce maquillage était mélangé avec de la terre et de la couleur blanche. Ils faisaient un maquillage autour de l’oeil, tout le corps avait de la terre. Ils étaient déjà tout noirs mais ils rajoutaient de la terre.

Ils étaient en guerre, ils se battaient. Combien de temps ça durera : des minutes, des heures, des mois ?

Est-ce que je pourrai changer ?

Si je retourne dans mon pays, est-ce que je vais être gentille, ou raciste contre ma race ?

Est-ce que je vais encore haïr ma race ? Je hais ce qui est noir.

Je n’accepterais pas que ma mère adopte un enfant africain. Et mon petit frère s’est réuni avec moi.

J’étais déçue à la naissance de mon petit frère, je voulais une seur pour faire comme les copines. Mais finalement j’ai eu un petit frère. J’étais très jalouse, j’avais peur que ma mère ne s’occupe plus de moi. Comme j’étais tout le temps sur son dos comme en Afrique, avec un tissus pour tenir le bébé, j’avais peur qu’elle ne m’aime plus, qu’elle me renvoie en Afrique. Je faisais la comédie, je prenais des couvertures et j’allais dans le lit me cacher. Elle revenait me chercher, me dire qu’elle m’aimait toujours.

Bien que j’avais peur, mon père me racontait des histoires drôles du petit chaperon rouge.

Ensuite il me faisait du pince-pince, je m’endormais.

Maintenant j’ai un petit frère qui a 6 ans. Quand il était petit, il disait :— Pourquoi t’es chocolat, toi ?

Je lui dis : — Mais je suis pas chocolat, je suis Africaine.

Ma mère disait : — Mais non, elle est café au lait.

Lui il me disait : — Est-ce que c’est sale ?

Ma mère elle disait : — Mais non.

Maintenant il dit : — Et moi, je peux me mettre au soleil pour être comme toi ? Quand je vais les voir il me guette par la fenêtre.

Quand j’aurai des enfants, il faut qu’ils souffrent. Qu’ils en bavent de la même façon que moi. Il faut que je partage ma haine.

Je veux qu’ils pleurent, au point de ne plus avoir de larmes aux yeux. Parce que moi j’en ai pleuré, matin et soir.

A chaque bruit de feuilles qui bougent, se dire ça y est, c’est mes parents qui reviennent me chercher...

 

des cheveux, et un bouchon de cristal

En Afrique, C... ça veut sûrement dire quelque chose, mais quoi. Les infirmières de l’hôpital m’appelaient comme ça.

Ce nom ce n’est pas moi qui l’ai trouvé, ils l’ont trouvé quand ils m’ont fait le passeport. On ne comprenait pas ce que je disais. Je n’arrivais pas à me souvenir de mon nom, j’étais trop petite.

Une fois que j’ai su parler le portugais c’était plus facile. J’étais souvent sur les genoux d’une infirmière. Elle me donnait le sein, et quand elle me donnait le biberon je faisais des colères.

Elle a arrêté, et j’ai pensé qu’elle allait me rejeter, j’étais triste, mais c’était dans ma tête. Je suis restée jusqu’à l’âge de 8 ans, je marchais encore à 4 pattes quand je suis entrée, je devais encore être un bébé.

Ce qui m’intrigue le plus, c’est comment je ne me souviens jamais des gens qui étaient autour de moi. Je me souviens des enfants. Mais je ne me souviens de rien sur mon nom. Où j’étais avant d’arriver dans cette forêt.

Ce souvenir de la forêt je l’ai toujours eu, je me souviens exactement de l’endroit où j’étais. On me dirait montrez-moi où c’est, je vous le montrerai.
Quand j’étais petite je dessinais. A l’école on me disait de dessiner, je dessinais toujours la forêt, avec des têtes, mais sans les yeux. Jamais les yeux.

Il y a quelque chose de faire des dessins sans les yeux, ou sans les bras, ou des gens qui essayaient de se tenir la main mais qui n’y arrivent pas.

Je n’ai pas eu de papiers à l’hôpital, seulement des papiers pour être opérée à Montpellier et repartir en Afrique. je suis arrivée avec Espoir pour un enfant et j’aurais dû repartir après.

Quand je suis arrivée en France, mon père habitait dans une maison en forêt, en dehors de Lodève, j’ai eu peur. Les coups de feu des chasseurs aussi, j’avais peur.

On m’appelait comme ça, C..., je réagissais tout de suite. Je ne savais pas si c’était rigolo, je répondais. Je ne sais pas pourquoi après on m’a appelée ..., c’est en France.

J’aurais aimé découvrir qui j’étais, et pourquoi j’étais, et comment j’étais. j’avais l’impression que je vivais il y a très longtemps et que je suis revenue. Ce n’est pas quelque chose qui vient de sortir, je le pense depuis très longtemps. J’étais partie quelque part, et c’est le vent qui m’a ramenée.

Des fois la nuit je suis sur mon lit, je regarde le plafond. Le plafond me donne des réponses.

On avait une télévision dans une salle, il y avait tous les malades, les gens coupés, bras coupés, jambes coupées.

L’infirmière m’amenait pour regarder la télévision, je ne voulais pas rester seule. J’avais peur qu’il m’arrive quelque chose.

J’ai l’impression d’avoir été sur une autre planète et revenir d’une autre ville.
Un jour, en Afrique, j’étais avec les soeurs, on allait souvent dans une grande rivière, genre la mer. Les soeurs prenaient toujours des feuilles de pommes de terre pour manger. Moi j’avais une image, pourtant je ne savais pas. Comme une pièce vraiment noire, toute noire, avec un rideau, un genre de voile, peut-être blanc transparent. Je voyais un monsieur et une dame, habillée vraiment bien.

Même la journée, quand je pense, quand je marche tranquillement, je vois toujours ces personnes qui tentent de me tendre la main.

Je revois souvent cette image, des gens qui m’appellent au secours et qui essayent de me tendre la main. Mais je ne vois pas leur corps, ni leur visage. Je vois la dame qui se met à genoux. Les gens sont dans la pièce, moi je suis dehors, la dame se met à genoux, le monsieur me fait le geste de venir.
J’entends des cris. Ce n’est pas des cris d’enfants, mais des cris d’adultes, qui crient, qui pleurent. Je n’entends que de la tristesse.

Quelque chose qui pourrait me conduire quelque part. Des oncles, des tantes. Un mot pour me conduire si j’ai des frères, des soeurs. En Afrique on ne fait jamais qu’un enfant.

Pourquoi j’ai ça, pourquoi je mérite tout ça. Si jamais j’ai un enfant, qu’est-ce que je vais lui dire. Est-ce que j’aurai le courage de dire ça. Est-ce que j’aurai le courage de dire est-ce que tes vrais grand-parents t’ont abandonné.

C’est vrai que j’aurais vraiment aimé savoir pourquoi ils m’ont donné ce nom-là, C.... En Afrique, on met toujours un signe au pied, au nombril, à la tête, des lettres. Moi, tout ce que j’ai, c’est des cheveux, un bouchon de cristal.

Quand je suis arrivée en France on m’a dit : — Tiens, ça te portera bonheur, tu ne devras jamais le donner à personne. Ce sont de longs cheveux noirs genre nylon, et un bouchon genre cristal transparent.

Si j’avais ça, pourquoi les infirmières m’ont donné ça. Je me souviens très bien quand ils m’ont jetée dans un camion avec tous les morts.

Àvant d’arriver dans ce premier hôpital, il y avait plusieurs camions. Dans les forêts il y en a toujours qui sont cachés. Ils croient que les camions c’est la nourriture. Il y avait un camion qui transportait de la nourriture et un qui transportait des enfants. Le premier camion a explosé, il y a eu beaucoup de morts. Notre chauffeur était mort, mais l’autre pas. Comme des pommes de terre, il nous a jetés dans le camion et il nous a emmenés à l’hôpital, c’est là qu’ils se sont aperçu que j’étais vivante, et les autres morts. On m’a mise dans une chambre, on m’a fait des piqûres. Dans le camion j’avais rien, juste un truc qui cachait les fesses. j’amenais mon corps, mes pieds, ma tête.

J’étais plus angoissée, parce qu’il y avait les blancs. Le fait de voir beaucoup de blancs mélangés avec des noirs, je me disais c’est les méchants.

 

Le plafond

Le plafond, j’aurais aimé que ce soit mon titre. Le plafond ça me donne des idées, le plafond c’est ma manière de m’exprimer. Ça me fait rappeler que j’ai un toit déjà, que je suis en sécurité. Des bonnes choses. Ça me rappelle encore l’hôpital, parce que j’étais bien, c’est grâce à ça que je suis là aujourd’hui.

Mon plafond ça fait partie de mon coeur, je me suis confiée à mon plafond. Mais je n’arrive pas à parler à voix haute à mon plafond. Je ferme les yeux et je lui parle dans ma tête. Monsieur le plafond qu’est-ce que vous pensez de ça, est-ce que vous m’entendez. Est-ce que vous voyez mes parents, comment ils sont.

Et quelquefois il me répond. Mettez une miette par terre, vous mangez, ils mangeront.

Quand je me réveille, quand je ferme les yeux, c’est toujours lui, à lui que je pense, le monsieur à qui ils ont coupé la tête. Je lui parle, comment ça va aujourd’hui, qui vous voyez, là-haut dans le ciel. Et si vous voyez mes parents, et qui je suis. Je lui dis tout ce que j’achète, ce que je mange, ce que je fais.

Je le vois vivant, et des fois je suis assise à ma table et j’ai l’impression qu’il est à côté de moi, ou en face de moi. Je n’arrive pas à le toucher. Il me parle : — Surtout parle-moi, je n’ai pas beaucoup de temps. Mais je lui réponds : — Aujourd’hui j’ai été désagréable, j’ai été dans la rue et je n’ai pas répondu.

Mais ça m’étouffe, tous ces problèmes...
— Ça fait partie de toi, n’oublie jamais que tu as vécu ça.
— Mais moi mes parents m’ont punie, ils m’ont abandonnée.
— Non, ils n’ont pas eu le choix.
— Alors dites-moi...
— Ça je ne peux pas te répondre.
— Mais est-ce que je peux aller avec vous ?
— Ton heure, ton heure n’est pas encore arrivée.

Alors là je me secoue, et je me retrouve dans mon lit. Et puis des fois, quand je pleure, la nuit dans mon lit, je retrouve ma vraie mère à côté de moi. Elle me fait des caresses, elle me parle...

 

Rue de la République

J’aime bien rue de la République, parce qu’il y a tous mes copains, qui sont là qui se promènent dans la rue. Ils sont quelquefois jusqu’à 1h du matin, 2h, à discuter, de tout et de rien. Je ne reste pas jusqu’à cette heure-là. 8h1/2 ou 9h et je rentre.

Ali, Boubakeur, Hamou, Kader, Boras.... Il y en a un qui n’a pas de travail, Ali. Kader travaille à la Belle Époque, le café au coin. C’est le seul à qui je parle beaucoup, je lui gratte des cigarettes, je l’appelle Ninou. Boubakeur il ne fait rien. Hamou il travaille dans les restaurants mais c’est l’été. Boras est un garçon, il est gentil, Boujenah il s’appelle. Mohamed il ressemble à Yannic Noah, il travaille dans la mode, dans les photos, à Montpellier.

C’est la galère, ils cherchent du travail. Ils vont au café, ils sortent du café, ils rentrent chez eux manger, ils ressortent jusqu’au soir. Ils essayent de trouver une voiture, ils vont à Montpellier. Quand on vit chez papa et maman la vie est belle. Ils vivent tous chez les parents.

Je me suis toujours trouvée au milieu de cette bande. Même quand je marche dans la rue il y en a qui me disent bonjour, et je ne les connais pas.
Je les aime bien, ils sont gentils, surtout Kader, avec lui je peux me permettre tout. Je peux partir avec lui dans les soirées je crains pas. Les autres s’ils boivent je monterais pas dans la voiture.

Kader vient me voir plus souvent que les autres. On se retrouve aussi dans la Grand Rue, ou on se retrouve au café.

Rue de la République il y a les bancs, devant la gare routière, où on s’assoit. Des fois il y a les chaises à terrassse, donc on s’assoit.

Grand Rue on se dit bonjour comme ça. Ça va ? Oui... On se fait la bise. C’est toujours moi qui demande t’as pas 5F, t’as pas 10F, t’as pas une cigarette...
Quelque chose de merveilleux, quelque chose d’extraordinaire, sur Kader : Kader c’est un garçon gentil, charmant, très attentionné, très calme, pas faux (c’est pas souvent). Kader je l’ai rencontré quand j’avais 13 ans. Dans les rues de Lodève, comme j’ai rencontré des centaines. Il aime bien rendre service quand il peut.

Faire le marché le samedi, 10h-10h1/2. Pas tous les samedis. Je rencontre des amis, des copines, je rencontre des amis de mes parents, des fois je rencontre mon père au marché. Et puis quand j’ai de l’argent, j’achète quelque chose qui me fait plaisir, je regarde souvent des bijoux, des habits. Et quand je vois que je n’en ai pas assez, j’achète du pain, des légumes.

Les manèges, j’aime bien. ceux qui montent très haut. J’aime bien manger les pommes rouges. Le soir, surtout. Par ce qu’on voit le père, le grand-père, l’oncle, toute la famille arabe sort, mes amis musulmans, mes amis français, fin du film.

Et j’habite impasse Paloc, vers le café des Arts. C’est par l’assistante sociale et l’agence immobilière. C’est F1. Il y a la salle à manger, un bar qui cache la cuisine, toilette séparée et douche. J’ai acheté une table, quatre chaises à Montpellier Reine. Une télévision, un magnétoscope, un buffet qui va avec la télévision et le magnétoscope. Un canapé qui fait lit, c’est ma maman. Machine à laver, gazinière.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 janvier 2007
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