#39 | force centrifuge de la collection, Olivier Rolin

On s’appuie ici sur le fonctionnement très particulier d’un livre récent d’Olivier Rolin, Extérieur monde (2019), mais voir aussi vidéo dédiée plus particulièrement au livre suivant et indissociable : Vider les lieux (2022).

Le projet de Extérieur monde : en se tenant à distance de toute idée de « mémoires » ou d’enjeu autobiographique, en dérivant sur la notion (fausse) d’un « bout du monde » laisser venir en flux dischronologique, sans lien liénaire, la masse des images rémanentes des villes et voyages, rencontres, chaque fois happée par l’image suivante dans un mouvement de spirales concentriques à jamais inachevable, mais avec pour percussion centrale ce qui reste de notations, lisibles ou pas, compréhensibles ou pas, dans la suite des dizaines de carnets qui ont accompagné ces séjours et voyages, et les documents qu’on y a glissés, si banals soient-ils.

Et pour cela, s’en référer à un principe presque d’instabilité : potentiellement, chaque lieu, chaque ville, chaque trajet, chaque rencontre, chaque souvenir, si on le ou la laisse se transformer en histoire (voir la #37 avec Atlas d’un homme inquiet de Christoph Ransmayr), va liquider cette possibilité de succession ouverte des images.

Alors méthodiquement, quoique sans doute non intentionnellement, Rolin — dès que ce risque de stabilité ou de récit autobiographique (rien à voir avec l’épaisseur intime partout présente dans le livre) advient — recourt à un principe qui serait moins d’accumulation que de colletcion : le nom et le souvenir imprécis d’un hôtel de quatrième catégorie à Alexandrie, dont on retrouve la carte ou la note dans les carnets, ouvre à un inventaire de huit ou dix hôtels de même nature. Et nous voilà alors relancés sur une carte à l’échelle du monde.

Mais justement, à mesure qu’on constitue cette collection sur une thématique spécifique, un des éléments retrouvés à son tour en casse la logique et vous expulse dans une nouvelle séquence récit, et cela à au moins six ou huit reprises dans le livre.

Ainsi, dans les extraits à télécharger, cette collection de cimetières, chacun en quelques brèves lignes depuis l’image la plus rémanente qu’on en garde, et puis revient le cimetière de Kaboul, et là cette expulsion récit.

Kaboul qu’on retrouvera dans une autre collection : chaque départ de Paris, taxi au petit matin pour Roissy (Olivier Rolin a longtemps travaillé pour des commandes de journaux ou magazines), on longe sur le quai de Seine les tours illuminées de la BNF : conjonction ou superposition de ce rapport du monde et des livres, que justement on s’en va chercher sur les chemins de Mongolie intérieure, sur le théâtre des guerres à Sarajevo ou Kaboul, ou déambulant dans Shangaï. Alors vient une séquence sur la rémanence des images de bibliothèques, de Lima à Tel Aviv ou de nouveau Kaboul...

Ainsi de ces papiers, notes, tickets, cartes d’embarquement conservés dans les carnets, ou de thématiques encore plus précises : là où on a dîné seul le soir, telle ville et pourquoi, de Chicago à Port-Soudan ou Archangelsk.

D’où cette pénultième (anté-pénultième ?) proposition : dans les 38 textes déjà écrits, repérer ces points de possibles collections. Et les ouvrir par le biais de similaires accumulations (qui n’aurait pas en soi-même sa suite de cimetières, et continuer par les bibliothèques). Et le texte ainsi ouvert, collection de collections, comment ne proposerait-il pas à son tour de ces points d’expulsion centrifuge ?

Un pas de plus, donc, dans la quête de non-fin pour ce qui nous rassemble depuis 40 jours.