61 | pneus crevés et l’attente Malakoff

tags : Malakoff, 2016, Stephen King


Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

61 | pneus crevés et l’attente Malakoff


Une de mes dettes littéraires c’est Stephen King, pour avoir rapporté jusque dans nos décors d’aujourd’hui ce vieux truc de la littérature fantastique d’un lieu tout ordinaire — si ordinaire qu’on le reconnaîtrait d’avance, qui soudain s’entrebâille sans qu’on sache par quelle fissure et vous laisse accéder à autre espace et temps, je crois que c’est cette photo retrouvée du burger vide la nuit Main Street à Wolfville, sa banquette grise de bois dur en équerre et le paysage marin non identifiable au mur, la réserve à l’arrière avec le congélateur aux ice-creams et le frigo à sodas, et te voilà à Malakoff, l’avenue qui prolonge droit la porte d’Orléans et tu jurerais que c’est la même période mais cette photo que tu es sûr d’y avoir faite impossible pour l’instant de la retrouver — donc tu avais laissé ta voiture (mais ce n’était plus la grosse voiture, plutôt le break noir d’occase : donc un an ou deux ans plus tard ?) dans ce parking souterrain porte d’Orléans justement, bien plus simple de se déplacer dans Paris à métro, en tout cas le soir vers 20 h c’était retour au parking, et à peine la première enclenchée j’ai bien pensé que c’était un pneu crevé, se garer dans le coin de l’allée et là le constat, non pas un, mais les quatre pneus avec un coup de poinçon — j’avais eu du bol de trouver une place dans l’étage supérieur et juste à côté de ma caisse il y avait une voiture de sport, du genre de celles qu’on regarde, mais je ne l’avais ni touchée ni effleurée, il y avait bien assez de place : est-ce que c’était une place réservée, un abonnement à l’année, et que distrait comme je suis je n’avais rien vu, je ne suis pas redescendu vérifier et le type qui surveillait vaguement les écrans à l’entrée bien sûr il n’avait rien vu, d’ailleurs il venait juste de prendre son service enfin avec la voitures aux quatre pneus crevés, roulant sur les jantes (en première, à cinq à l’heure), j’avais traversé le périph et déposé la caisse dans la première place libre de l’avenue d’en face, donc sur Montrouge (c’était bien avant que le Seuil s’installe dans cette tour juste à ce carrefour), je sais que c’était un samedi et qu’il y avait encore les Austerlitz à 22 h 50, je les ai pris assez souvent, puis ensuite se débrouiller pour aller de la gare à chez toi, taxi probablement, ruminant tout ça, puis le lundi première heure remonter, reprendre la 4 depuis Montparnasse direction porte d’Orléans ou la première station ensuite, et pousser la voiture (les pneus n’avaient pas regonflé tout seuls) jusqu’à cette grosse station-service, ils pouvaient se procurer les quatre pneus en fin de matinée, les monter pour le début de l’après-midi et c’est comme ça que j’avais passé au moins trois heures dans cette gargotte avec sa viande grecque tournant devant le grill en pyramide amincie, l’intérieur peint en bleu clinquant et des tables rouges mais hors le petit coup de bourre du midi (d’ailleurs j’avais dû aller marcher, n’était revenu qu’ensuite) j’étais resté là tout au fond, la perspective et le bruit de l’avenue comme dans un écran à ma gauche, et à droite au fond sur le mur un écran géant qui diffusait en boucle un de ces matches de foot ineptes et sans cesse recommencés mais non, je n’avais pas la tête à aller faire du tourisme, j’ai avancé je ne sais quoi sur mon ordinateur, les murailles hostiles qui vous entourent vous cantonnent encore plus serré dans votre texte, de l’autre côté de l’avenue j’entrevoyais la station-service, quand ils ont descendu ma voiture du pont élévateur j’ai traversé l’avenue, suis allé régler la facture et suis reparti : tu te dis, même si probablement c’était de ma faute, que certains types ont la tête drôlement faite et que c’est mieux d’en rester complètement à distance.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 janvier 2022
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