34 | Les Ondes, en face la Maison de la radio

tags : Paris, Bernard-Marie Koltès, Michel Piccoli, Claude Guerre, 2001


Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

34 | Les Ondes, en face la Maison de la radio


Il y a eu une première fois à la Maison de la radio et je m’en souviens avec précision, mais sans passer par la case bistrot ni la case cantine : le bistrot c’est en face l’entrée B, ça s’appelle Les Ondes et ça reste une institution, peut-être qu’on le recroisera à mesure du récit — les périodes où on travaillait sur les feuilletons et que c’est à deux ou trois, avec le réalisateur et l’ingé son, la cantine de service, les croisements qu’on y a avec des gens du métier qu’on ne verrait pas autrement, ou simplement attendre une émission parce que ça permet tranquillement de se concentrer même si tu es venu à pied depuis le métro Passy, parfois même en descendant en amont, de l’autre côté de la Seine, pour le plaisir de passer sous ce pont-viaduc qui semble voué aux photos de mariages avec la Tour Eiffel en fond, et puis passer les sas de sécurité, dans chacun de ces bistrots voués aux habitudes tu connais aussi les toilettes en sous-sol, et c’est une question d’architecture : le bâtiment circulaire tu le connaissais dès la première visite à Paris dans le bus de tourisme avec le petit système audio pour voir l’Arc-de-Triomphe, l’Opéra et tout ce que tu avais oublié quasi aussitôt puisque ce qui comptait c’était ça, la foule, l’odeur du métro et sa sourde vibration qui remontait jusque dans l’exigu appartement de la tante rue Ordener, un bâtiment qui rayonnait de toutes ses portes comme étaient censées se diffuser les Ondes mais longtemps qu’on y avait numéroté les entrées, plus portique et dépôt de carte d’identité alors tu essayais de te souvenir pour les coursives et la petite passerelle radiale au premier étage, puis le numéro de la pièce où était le rendez-vous, sixième étage si c’était France Culture, une fois des vigiles mastards et tu te serais presque senti coupable d’exister mais non c’était cette vieille grenouille racornie à œil de verre du parti d’extrême-droite puisqu’on les reçoit ici bras ouverts et une autre fois, avec Maryse Hazé qui le pilotait, la silhouette finalement bien plus petit que tu croyais de Johnny Halliday, les souvenirs plus forts c’est les trois quarts d’heure avec Koltès, quelques mois avant sa mort, un jour que Veinstein était en retard (il était toujours en retard) ou comment tu apprends par hasard, là parce que tu attends, une mort qui te touche, ou encore cette invitation au 13 heures d’Inter où tellement rien à dire qu’ils avaient évoqué ces chats découverts à l’ambassade américaine de Moscou et paraît-il porteurs d’un micro dans la queue et puis avec Michel Piccoli et encore Maryse Hazé en traversant les couloirs déserts de l’après coup de bourre du midi Piccoli avait reparlé des dernières heures de Koltès, lui d’un côté, sa mère de l’autre et en arrivant à Montparnasse ce qui bruissait déjà des attentats du 11 septembre ah ça valait le coup pour ton bouquin de décocher enfin le 13 h d’Inter mais les Ondes, tout en bas en face l’entrée B, indissociables de la cantine au 8ème et de la vue qu’on y a, c’est si loin cette période où on invitait les auteurs à bosser directement dans le monde des micros et de la fabrication d’histoires, tout ce que tu as appris à le faire et comme probablement tu n’aurais jamais avancé dans le numérique de la même façon, se souvenir même des bruiteurs, ou de la jeune américaine qui venait lire (mieux que toi) les citations de Bob Dylan ou des Rolling Stones, la façon dont Claude Guerre venait danser devant ton ventre quand tu faisais tes monologues pour les rythmer et donc cette sorte de vertige lent quand tu te retrouvais à la cantine avec le plateau entrée plat dessert tarif invité, les crudités et le steak frites plus mousse au chocolat quoique plutôt industrielle, passer entre les tables pour aller remplir la carafe d’eau et le décalage avec tes commensaux qui mangent là depuis tant d’années et continueront tant d’années — la liste à faire de toutes les cantines où, toi de passage, tu as éprouvé la même sensation, sinon qu’ici tu te sentais vaguement chez toi et que c’est seulement ensuite que tu comprenais que non ?

 

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 du Veinstein au lendemain, archives radio (sur Patreon)
 cette jeune Noire tout en haut du World Trade Center

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 janvier 2022
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