« prendre » #03 | de la réalité du peintre, avec Jean Hélion

cycle « prendre », hiver 2020-2021



 « HELION_ChambreJaune », document d’appui PDF 4 pages à télécharger dans le dossier abonnés
 image haut de page : Tadeusz Kantor, La chambre à imagination.
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de la réalité du peintre, la chambre jaune d’Hélion


Résumé de la consigne :

 ouvrir une période passée de sa propre biographie, qui servira de matériau, mais ne sera pas l’enjeu de la recherche : il ne s’agit en rien de travailler un texte autobiographique, c’est même plutôt cet interdit qui va générer ce qu’on va explorer ici, en amont de la partie autobiographique elle-même — je cite la phrase de Roland Barthes : « On écrit toujours avec de de soi », c’est la convocation mentale en tant que telle qu’on va convoquer, et n’en décoller que ce qui apparaîtra de formes, de couleurs, d’images ;

 il ne s’agit surtout pas d’un éblouissement, d’une découverte et j’en plaisante : ce n’est certainement pas une première fois telle que le premier voyage à Venise ou à New York, c’est l’ordinaire qu’on déplie, le muet ou l’opaque –- c’est une distance variable : à un public d’étudiants de 20 ans, je leur demanderais de la même façon de travailler à 4 ou 6 ans en amont, donc encore loin des perceptions de l’enfance ;

 après, tout est possible (je ne le cite pas, mais dans le travail de Pierre Bergounioux, ces reconstructions ou remémorations selon des curseurs différents du temps, qu’il s’agisse d’une période précise ou d’un événement périodique (dans Miette, dans B 17G, dans La mort de Brune) pourraient en être des exemples, mais Pierre alors aussitôt comme contre-exemple, puisqu’il cherche, lui, et avec quelle maestria, à restaurer la complexité évanouie d’un réel, alors que nous allons nous en tenir à ce que je nomme la réalité du peintre ;

 rappel de ce qui rend le court récit de Jean Hélion, Mémoire de la chambre jaune aussi unique : le peintre, après ses 70 ans, a perdu progressivement la vue — dans cette « chambre jaune » de sa maison où il stocke tableaux conservés, esquisses ou inachevés, variantes de tableaux acquis par collectionneurs ou musées, il entreprend de décrire de mémoire ce qu’il devrait voir sur la toile, et constituer pour lui-même cette mémoire matérielle que constitue cette réserve, et accumule 148 descriptions ;

 la « réalité du peintre » : si Hélion évoque nombre de souvenirs autobiographiques (son premier collectionneur Georges Bine, les relations avec des poètes comme Yves Bonnefoy, la fondation dans la fin des années 20 de l’Association des artistes révolutionnaires et son appropriation par Paul Vaillant-Couturier, son exil en Virginie après son évasion en tant que prisonnier de guerre, son intérêt pour le cirque ou mai 68), ces éléments n’interviennent qu’en tant qu’arrière-plan : ce qu’il écrit, c’est leur transposition sur telle toile, une pour chacun des blocs numérotés de 1 à 148, la construction des formes, la disposition des couleurs, le travail même de perception, ses obstacles, ses réussites ;

 ce qu’on transpose : cette période de réalité ordinaire, vie quotidienne à telle époque précise que nous allons chacun.e d’entre nous convoquer, c’est une convocation mentale, de la même façon qu’Hélion devant la réalité matérielle des 148 toiles dont il ne peut plus rien visuellement percevoir ;

 ce qu’on transpose : ce n’est pas ce réel en lui-même qu’il transpose (voir, dans le PDF avec les extraits, dans les premiers blocs description, ce qu’il dit de sa conception de la réalité, mais sa façon de décrire d’abord la toile qui en résultait, un cadre, et même — encore plus précisément pour lui, critère essentiel et nous devons y penser pour nous-mêmes — un format, donc une matérialité séparée ou décollée du réel qui l’a engendrée ;

 ce qu’on inverse : ce n’est pas une toile représentation du réel qui va constituer notre texte, mais le réel lui-même, perçu en tant que formes, couleurs, géométries et mouvements, distorsions, gros plans et foules — c’est ça l’enjeu principal de la proposition, et pour cela que je cite, parce que cela fonctionnait différemment, ce qu’on avait fait dans outils du roman sous le titre dans le décor 1 et dans le décor 2, où l’enjeu était de reconstruire virtuellement, par le récit, le contexte d’une scène précise : ici on va travailler sur nos propre perceptions, la façon dont le réel d’abord est image, forme, mouvement, c’est vraiment en ceci, même discrètement, même souterrainement, que Mémoire de la chambre jaune d’Hélion est vraiment singulier (mais ce détournement de l’ekphrasis, cette matière-peindre d’un texte est si fréquemment le point d’énonciation des peintres, des écrits de Paul Klee ou des lettres de Cézanne au très important blog de Jérémy Liron...

 enfin, la forme : pour tout un tas de motifs, que je réserve arbitrairement, je vous demanderais une fois de plus de travailler avec un bloc paragraphe unique... dans ces différents motifs : 1, que la friction interne, dans le même paragraphe, des éléments forcément hétérogènes de la reconvocation mentale va contraindre à des rapprochements, des effets de rythme et de coupe, plus forts que dans la succession indifférente de paragraphes ; 2, que l’obligation de bloc contraint le texte à grossir jusqu’à ses limites par son déséquilibre même : j’affirme, très arbitrairement encore, mon souhait de grossir ou grandir les textes, de les laisser atteindre une masse critique, celle par laquelle ils finissent par s’écrire eux-mêmes, en avant de la volonté de l’auteur ; 3, parce que nous avons commencé de vivre l’expérience très singulière d’une lecture collective, d’un effet de lecture dû au fait de rassembler dans la même page (j’allais dire la même phrase l’ensemble des participant.e.s, et que cette contrainte du bloc la facilite et l’amplifie, indépendamment du travail que je souhaite pour prochain livre atelier ;

 on s’est décalé sur le milieu de semaine, mais les propositions ici vont rester hebdomadaires, vous n’êtes pas forcés de proposer chaque semaine votre contribution, mais prendre aussi ce rythme peut paradoxalement aider à la souplesse de la prise d’écriture... d’autre part, et contrairement au cycle précédent, vous pouvez très bien et sans préjudice sauter telle proposition avec laquelle vous ne vous sentez pas affinité, ou les traiter dans un ordre différent que celui présenté ici...

Et j’attends vos textes !

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 décembre 2020
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