aucun droit sur moi

limites de la non intervention


— Vous n’avez aucun droit sur moi !

Il le leur disait, mais auquel : ils étaient quatre sur lui. Deux qui le tenaient, et un qui déjà téléphonait avec les papiers pris dans sa poche. Puis le retournant contre le mur, paumes en haut contre le carrelage et le fouillant, là dans ce couloir, ces souterrains de la ville.

— Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?

Ils ne répondaient pas. Autrefois je me serais approché, je serais intervenu. Il y a trop de ces histoires. On frappe ces pauvres types pour rien, on se venge même sur eux de ce qu’ils n’ont rien fait de répréhensible.

— Si vous faites ça uniquement parce que vous vous en croyez le droit, tous les droits...

Celui qui avait téléphoné en dictant le numéro de la carte d’identité (nom prénom délivré le) revenait en faisant signe que rien, on redonnait la carte au type qui la remettait dans son portefeuille, les deux qui l’avaient fouillé manipulaient encore des objets :

— Ça vous regarde, ce que j’ai dans les poches ? Ça ne vous regarde pas !

Le plus grand se mettait devant lui très près, bien trop près pour ce qu’il est poli, et lui disait : — Répète, vas-y répète ?

Qu’est-ce que je pouvais faire, qu’est-ce que je devais faire ? Il n’y avait pas violence ? Ou alors c’était cela, la violence la plus ordinaire, le taux non acceptable de violence tolérable, acceptable, si tous les autres passaient, si personne dans le couloir ne s’arrêtait...

— J’ai pas fraudé, j’ai rien fait, laissez- moi, ne me touchez pas...

Le plus grand des quatre restait immobile devant lui comme s’il n’avait rien d’autre à faire jamais que l’empêcher de passer, celui qui avait téléphoné pour la carte d’identité regardait ailleurs avec l’air de s’embêter, et les deux qui avaient fouillé ça semblait au contraire les amuser : — Vas-y, dis nous tout, dis nous ce que tu as sur le cœur..

Déjà, à rester ainsi tout près et regarder, à ne pas avancer comme tout le monde dans ce couloir circule, ils n’allaient pas tarder à venir vers moi, me demander. Quel droit ils auraient sur moi ?

Eux rien, puisqu’ils partaient et emmenaient le type, un devant, deux qui l’encadraient, et un autre derrière, et je n’entendais plus ce qu’ils lui disaient : parce que le grand de devant s’était retourné, et maintenant semblait aboyer, méchamment, les traits tirés comme un masque.

— Et c’est comme ça tous les jours, me dit une fille.

Moi je ne m’étais même pas aperçu n’avoir pas été le seul à m’être arrêté. On a tant appris à devenir discret. Je l’ai regardée sans répondre, je me suis éloigné : j’étais déjà en retard, sans doute elle aussi.


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 août 2006
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