245 occurrences du mot peur

"245 occurrences du mot peur", plus version audio par Dominique A., et ma propre version avec Dominique Pifarély


Peur, suivi de Formes d’une guerre, 180p, dispo tous pays prix fixe, chez vous en 48h.

 

2010 | Dominique A. dit & chante "Peur" – extrait de Ralbum de 2009, projet conduit par Emmanuel Tugny, Olivier Mellano, et Laure Limongi, Peur dit et chanté par Dominique A. _ version iPhone/iPad

2009 | Peur, par Bon & Pifarély – Nantes, Pannonica, 21’, Dominique Pifarély mandoline électrique puis violon acoustique, FB texte, impro & voix, Nantes, Pannonica, le jeudi 20 mars 2009 _ version iPhone/iPad

2006 | Peur, par Bon & Pifarély – version acoustique, Jazz au fil de l’Oise, 22’, Dominique Pifarély, violon acoustique, FB texte, impro & voix, Jouy-le-Moutier, 20 novembre 2006 _ version iPhone/iPad

 

François Bon | 245 occurrences du mot peur


il ou elle dit j’ai peur

une pièce vide sans fenêtre, une silhouette, juste cela d’immobile et les mots j’ai peur

ou bien la perspective d’une rue, des façades fixes et ternes : celle ou celui là-bas qui fuit ou se rencogne, regarde derrière lui et toi tu penses j’ai peur

on se mettrait à huit, à six, à dix, il le faudrait : assembler pour les conjurer la totalité de nos peurs les petites les grandes, les amusantes et la plus terrible et on ferait la liste, la liste de chacun et puis la grande liste de tous

celui que tu avais croisé et qui t’avait dit : un monde en impasse, qui t’avait dit : j’ai peur, ajoutant : parce qu’on y est, dans l’impasse

un monde secoué, un monde noir, et les pans entiers de l’effondrement comme jusqu’ici tu te disais : ils restent à distance, tu te disais : loin, l’effondrement

une foule et dans la foule le comportement erratique d’un seul et tout bascule : qui pense à qui qui aide qui qui appelle qui qui touche qui qui veut qui

horizon sombre quand tu regardes, trop de gens cassés et là-haut trop de mépris

bruit de guerre, foules qui crient, menace sur tout, et rien qui conduit : chaos et là-haut l’homme qui les bras au ciel se fait applaudir il y a de quoi

et ces trois types bourrés l’autre soir sous le pont : eux aussi, jusque dans la fange une utopie de violence sale, tu avais préféré partir et vite (encore une chance que ça ait marché)

l’accumulation même des fourmis tristes que nous sommes, et le destin de la ville plus sûr, s’il est remis aux mains de tous : les mains rassemblées moins aveugles que celui-là, là-bas, qui fuit ?

la façon dont on se cache dans la vie de tous les jours pour ne rien voir, j’ai peur

peur des bureaux quand tu entres, tu attends et on ne te regarde pas, et le matin l’odeur des produits de rasage sur la peau es hommes, et les femmes ces parfums bon marché, les gestes qu’on fait chaque jour, et ceux qui regardent de côté quand ils te parlent

celui qui t’avait dit : aux inquiets de partir

et ces gens qui portent sur leur figure que c’est toujours eux qui gagnent
peur d’eux les journaux et l’actualité convoquée pour leur théâtre du même : le plus grave aura passé demain – où l’homme s’avachit, qu’on le raconte

hier le chien dans la maison d’en face qui aboie du matin au soir et personne : enfermé dans la maison le chien, peur de quoi lui aussi

peur des rues : chacun va de l’avant comme si tout allait durer

peur des maisons : elles sont froides, elles ont des grilles, elles sont séparées et séparent, dans sa coquille on se croit inaliénable, on a une adresse, une télévision et un salon : la liste des objets dans mille chambres à coucher, au pourtour de n’importe quelle ville, est-ce qu’elle n’est pas effrayante

gens trop calmes manqué quoi

gens d’autorité raté quoi

j’ai peur de ceux qui se croient obligés de sourire, comme s’il vous fallait les caresser ensuite ils attendent quoi

j’ai peur de la nuit dans les petites villes maussades : une voiture de temps en temps qui passe et personne qui vous parle

celle ou celui qui te dit qu’elle ne va pas dans ces cafés où sont les habitués et vous debout au bar bonjour bonsoir et pas de question

celle ou celui qui vous dit : j’ai peur des escaliers (tu en connais qui) mais pourquoi ils ne sauraient pas le dire

j’ai peur des tunnels, des rampes, des parkings, des caisses, des guichets, trop

j’ai peur du sommeil : on ne sait plus qui agit, qui menace, qui décide

j’ai peur de la guerre et des coups bas qui font les marées hautes et basses dans l’histoire des hommes : on ne choisit pas ce qui vous submerge

peur : tu connais les chiffres il disait, les chiffres du suicide te disait-il, les chiffres pour les quinze à vingt ans

la tentation d’en finir, vivre avec depuis quand et si un jour on ne tenait plus,
celui qui en rigolait : dans les films on se fait peur parce qu’on en a envie
et les peurs par surprise, parce qu’on s’en souvient longtemps, on s’en souvient toujours : on ne s’attendait pas à ça, alors peur, et oui là aussi après on peut en rire

la peur dans certains livres : peur à l’angoisse de l’autre, peur insidieuse, ça dure toute la nuit, on ne peut plus refermer dans la tête la musique oppressée des pages

vision d’un cheval fou dans la nuit, il s’échappe d’un incendie et s’envole (Metzengerstein) — et si cela console

vision de celui qui prend anonyme une chambre dans un hôtel perdu, d’une ville qu’il ne connaît pas, et de travail il n’en a pas (Steppenwolf) — et si cela renforce

vision de celui qui bâtissait un mur, et puis d’un autre qui le palpait, le mur, pour passer, sans trouver (Samuel Beckett) — et si cela protège

une fois que tu étais enfermé : on a tous une fois été enfermé, bloqué, plus moyen de sortir

on s’incarne si facilement dans la peur de l’autre, juste pour évacuer la sienne (et ce qu’on appelle de ses propres souvenirs pour la visualiser, la peur de l’autre, tandis que les vôtres fuient, de souvenir)

peur : on se réveille en pleine nuit dans une chambre mais où on est, on ne sait pas, comment on est venu, on ne sait pas

peur : se réveiller dans un train, c’est le soir, un peu gris, beaucoup de bruit, une vibration, les autres gens qui dorment — mais où on va, et si c’est le bon train

peur : on parle à quelqu’un, on sait à qui on parle, mais les mots qu’on dit à l’autre, soudain on ne les reconnaît pas

je n’ai pas peur de la langue (c’est la leur, qui a les articulations faibles)

je n’ai pas peur de la grammaire qui fait prendre relief à la langue (c’est la leur, qui simplifie en appelant la masse)

celle qui disait : j’ai peur des routes, des automobiles, des directions où elles mènent, en tout cas elle ne voyageait pas

celle qui disait : j’ai peur des trains et des avions, non pour les accidents où ils déraillent et s’écrasent, mais parce qu’ils nous ramènent à ce qu’on quitte

peur : quand on a froid, qu’il pleut, et encore tant de chemin à faire

peur : la ville grise, tout est long, on a perdu sa direction

peur : entrer ou ne pas entrer, rendez-vous avec la décision à prendre

peur : confier tant de pouvoir à un seul, étriqué et qui ne parle qu’à ce qu’ils sont en eux-mêmes étriqués, ceux du nombre, les courbés

et pas peur : ceux qui avancent avec dureté et méchanceté, l’intention du mal, ceux-là on les affronte

et pas peur : l’incertain, la passe, la planche pour rejoindre la mer

pas peur : lui, là-bas, qu’il faut attraper à pleines mains, regarder dans les yeux et dire ça suffit

le nom de vos proches, s’ils ont choisi le suicide et vous, vous restez : devant c’est un vide (le voilà, le mot vide) – ils devraient faire signe, être là, et non, rien

j’ai peur des parcs aux allées vides

j’ai peur des immeubles où n’apparaît très loin qu’une silhouette

j’ai peur des coques fermées des voitures et rien nulle part qui ne soit hostile

j’ai peur des couloirs de transit, des halls de gare, des couloirs du métro : tous dans le même sens ou tous dans tous les sens, mais l’indifférence : l’indifférence

j’ai peur du crépuscule, et quand la ville elle-même dit qu’elle est crépuscule des hommes qui l’ont faite

j’ai peur des gens qui parlent seuls

j’ai peur des visages agités de secousses nerveuses

j’ai peur des regards qui vous accommodent à l’arrière de vos propres yeux

j’ai peur de ceux dont c’est visible qu’ils ont mal : pas peur d’eux, non, peur de ce qui leur fait mal

les bâtiments, les rues, les quartiers, les villes, les établissements, les cours, les chambres, les frontières : tout ce qui sépare, tout ce qui isole

leurs religions : ceux-là ont des œillères, il s’annihilent mais nous entraînent

et les établissements industriels qu’on vide : alors ils errent dans les villes autour

le pourtour pauvre des villes : que ceux-là s’arment et se regroupent

l’argent, l’argent coule : et plus de visage

les ordres qui viennent : on n’en voudrait pas pour beau-frère, des encravatés qui donnent ordre — la brutalité, tu commentais : cette brutalité même, neuve

mannequins blêmes de la politique devenue métier : potiches, qu’on les fracasse

mannequins habillés tout pénétrés d’économie et lois : voilà ce qui vous rend important (ils croient), qu’on les fracasse avec leur fric

ils ont de trop grosses voitures, de trop beaux habits, et ces matériels dernier cri ou l’un des trois seulement — manque de modestie, trace de la peur

elle vous dit qu’elle a eu un accident d’auto, on n’en sait pas plus

c’est un enfant qui a disparu, le visage des parents et leur attente : on n’en sait pas plus

on est dans le couloir d’un hôpital, on aperçoit les gens, voilà ce qui arrive aux hommes, et c’est arbitraire

visage sismique de votre intérieur, exposé au dehors : rien qui protège

vision : un chemin, un chemin qui va droit, ou tourne lentement et monte, vous marchez

vision : une pièce sans porte et juste une toute petite fenêtre, de vieux vêtements dans un coin, et la trappe par laquelle vous êtes entré là – l’air depuis si longtemps immobile, et mettre votre visage à cette fenêtre vous n’oseriez pas

vous êtes dans un labyrinthe et c’est comme des rues à plafond : des angles, des retraits, et nulle ombre — pas d’issue, nulle part

j’ai peur de ce qui tous les jours se met sur votre chemin comme à dire : c’est ainsi

j’ai peur des chaussures, tout le monde porte des chaussures, on ressemble à tout le monde

tu suivais le fou dans la rue piétonne : il regardait les sacs, les paquets, tout le monde porte un sac (et même si qu’on met dedans pareil, trop peu différent)

je n’aime pas (mais ne crains pas) les livres qu’on vend dans les gares – ils m’amusent — leur accumulation, non

je n’aime pas (mais ne crains pas) les voyages qu’on propose à ceux qui préfèrent que tout soit prévu d’avance

peur parfois du silence, quand il tombe brutalement sur la ville : rarement, à vrai dire, et sans qu’on sache le pourquoi

j’ai peur des places immobiles, j’ai peur de la circulation en flux réglé, les voitures démarrant dans le même ordre à chaque feu vert

je déteste (mais ne crains pas) les queues devant les cinémas, aux spectacles, aux attractions, expositions : ils annulent leur différence

ceux qu’on voit attablés qui mangent, mangent longtemps, mangent trop, payent trop cher et en sortent réjouis : ils ont peur, ils sont gros pour moins sentir la peur

et les catalogues et magazines pour vendre avec corps bien lisses crèmes, produits de soin — on brade des nippes deux fois l’an, ils y courent : ceux-là sont fils et filles reniés de la peur

elles et ils sont à une table de plastique, des apéritifs de supermarché, et la conversation uniquement sur le destin privé : ceux-là, fils et filles reniés de la peur

ils tournent la tête et le suivent du regard à mesure qu’il passe, le nouveau, l’étranger : ceux-là sont fils reniés de la peur

qui s’en tient au frugal craint moins la peur : elle est là pourtant, pour lui aussi

qui s’astreint au travail quotidien et le rouage qu’on est dans le service commun : il craint moins la peur, le temps qu’on compte la garde à distance (pour ce temps-là seulement)

qui se plaît dans ses malheurs, on tourne le dos, on le fuit : mais toi ?

qui se plaît à donner sur tout son avis : ils se croient à l’abri, coquille de rien

qui se mêle de vos affaires sans qu’on demande, j’ai peur

peur de qui met une radio le matin dans sa cuisine, mais tous les jours

peur de qui ne conduit une voiture qu’avec des voix dans le haut-parleur

peur de qui attend la parole des autres ou la souhaite

loi sur qui ne reste pas en place

loi sur qui va par les chemins de côté

loi pour garder la disposition de plissement horizontal et stratification dans l’organisation des hommes

ceux qui roulent et vous doublent dans les endroits interdits, ils sont dangereux, mais j’ai peur de ceux qui sont trop sages et freinent aux virages, respectent les panneaux : ils n’atteignent pas au cours réglé du monde

ceux qui vous serrent la main en premier, de ceux qui vous retiennent la main plus qu’on ne demande, peur de celles et ceux qui vous embrassent quand vous ne les auriez pas embrassés, ou qui vous font même politesse à se quitter cinq minutes plus tard et que ça aurait de l’importance, croiseurs de rencontre

j’ai peur de moi-même : trop de réaction à n’importe quoi et j’ai peur, pas assez de réaction à n’importe quoi et j’ai peur

évacuer la peur à dire j’ai peur

chasser la peur à dire j’ai peur

ceux qui racontent des histoires de monstres ou de meurtres inventés : les idiots

ceux qui racontent des histoires où se faire mal parce qu’on s’aime et les avanies encore et encore du touche moi tu me manques et tout ça ou bien c’est pour toujours : les idiots

agrandi de la peur qu’on maîtrise, et marcher quand même : tu crois, mais rien de moins sûr

qui une fois a humilié son semblable ou son proche ne se débarrassera pas de la peur

qui une fois a terrassé son semblable ou son proche par violence de mots, violence de chiffre ou violence de fait ne se débarrassera pas de la peur

ceux qui parlent impassibles devant des micros, avec drapeaux dans le dos

ceux qui sont si sérieux à des cérémonies réglées bien avant eux

ceux qui entrent d’un air si décidé dans une salle où on juge, où on vote, où on légifère

ceux qui rient à la télévision à prétendre constituer de soi-même spectacle suffisant pour les autres

un texte froid et dur, qui trouble : celui-là dirait la peur

un texte avec des images grises et fixes, à peine un tremblé : celui-là dirait la peur

livres dont on se souvient qui évoquaient vos peurs : les mots sont forts, pour dire la peur

est-ce que deux catégories d’hommes, les inquiets et les autres ; et que ce serait une chance d’être du côté de la peur

ils donnent des ordres : ils échappent à la peur

ils surveillent avec des armes : échappent à la peur

sont satisfaits d’eux-mêmes et pas de rêves : échappent à la peur

qui ne se retourne pas sur l’être inquiet qui le suit : le plaindre ou s’en méfier (c’est une question)

qui a noyé en lui l’être inquiet, et tout rempli des avantages qu’il se croit : s’en défier

j’ai peur de ce qui égal à soi-même recommence et peu importe qui, là, devant

j’ai peur de ce qui se ressemble dans la continuité, comme ces rayons de supermarché qu’on réapprovisionne sans que vous le voyiez : pour vous, les mêmes produits à la même place, et vous vous en saisissez aujourd’hui comme d’autres lundi vous l’avez fait

j’ai peur des voix non quand elles viennent d’une autre pièce, mais qu’elles surgissent de votre chambre même, la chambre où vous êtes seul

je me moque de ceux qui me prennent pour un naïf, un art brut

je me moque de ceux qui rêvent à d’autres usages des mots et des phrases

dans le coin, devant le mur, de l’inanimé et devient vivant : va — mais les vivants, partout les vivants, et tout inanimé : va pas

un couloir, des portes : tu ouvres celle-ci et tu es sauvé, tu ouvres celle-ci et tu tombes, un puits, laquelle tu vas choisir

tu parles à celui-ci, et tu sais très bien qu’en fait il est un autre, et que cet autre dessous gronde, se dissimule et attend

le spectacle de violence qu’est la ville

les pantins qu’on déplace d’une entreprise à une autre, bras retroussés déjà pour le ménage, et sûrs de soi ils sont : qu’on les fracasse

ceux qu’on aperçoit de loin à se battre deux à deux

l’escroquerie qu’on voit faire

ceux qui derrières leurs vitrines, leurs écrans, leurs téléphones attendent qui gruger pour leur propre survie : destin de crabes l’économie de la ville

ceux qui à deux se penchent sur un troisième au sol et en finissent

celui qui surgit devant vous et vous comprenez : sa tête, dedans blanc, les yeux, égarés

vous êtes devant la victime : ce qui lui est arrivé, gratuit

même la plus petite est barbare, si c’est violence qu’on parle, hors sur soi-même exercée : pour tenir, juste tenir

j’ai peur de ceux qui dressent sur les couloirs de métro et les rues de la ville ou sur la route les affiches de publicité : ils n’ont pas appris à refuser leur métier, ils accompliraient tâche bien pire

ceux qui conçoivent et fabriquent les statues et mannequins qui ne parlent pas, vous regardent sans penser

ceux qui photographient tout et accumulent les images : que la destruction survienne, qu’importe d’avoir ces images des temps préalables, ils ne seront plus

ceux qui s’étonnent des voix, offrent des fleurs, vont à bicyclette

j’ai peur de ceux qui disent froidement des phrases trop belles

j’ai peur de ceux qui savent les chiffres de l’argent et en jouent

peur : ce qui vous prend et rien ne change, façon d’être saisi

peur : on veille, on regarde, on attend et dedans opaque, trouble

peur : dans les yeux, dans la gorge, dans le ventre, sur la peau, à vous-même étranger — et ce qu’on voit dans l’insomnie : peur

j’ai peur de qui considère que l’exercice d’un sport est une tâche d’homme et non son simulacre : qui s’épuiserait pour juste un simulacre

le mot vide : mais quoi, vide

le mot calme : mais quoi, calme, trop calme

voix étouffée, voix loin, un appel : avoir déjà parlé d’appel

la peur même, partagée : mais quoi alors en partage

puis le mot témoin : témoin de ma peur, toi

le mot pourquoi : à regarder même le pire, évacuer le pourquoi

ce qui fait peur : la réalité, voilà ce qu’elle devrait être et puis quelque chose là-bas au fond qui bouge

celui, celle qui dit : j’ai peur des lieux, villes, rues, routes, pays qui vous semblent familiers, quand on n’y est jamais venu

celui, celle qui dit : j’ai peur des lieux, villes, routes, pays qui semblent n’avoir en rien changé depuis votre dernier passage, votre dernier départ

celui, celle qui dit : j’ai peur d’une odeur, d’un objet, d’un paysage à la fenêtre qu’on reconnaît, alors que si longtemps qu’on n’est pas venu, et qu’on ne savait pas s’en souvenir : il y a donc si peu de vent en ce monde, que tout demeure quand vous-même n’en souhaitiez pas mémoire

celui, celle qui dit : j’ai peur d’une voix qu’on reconnaît, et la reconnaître efface les mots qu’on aurait dû y entendre

j’ai peur de ma voix à moi, quand je ne la reconnais pas

peur : vous attendez dans une salle, on doit vous convoquer

peur : vous êtes dans un bureau et personne, on vous a dit d’attendre

peur : une lettre va vous arriver, on vous dira ce qu’il en est

peur : simplement, ça sonne à la porte

peur quand je ne reconnais pas un visage

peur quand ça bouge à côté et que je ne sais pas ce que c’est

peur quand ça grogne dans le corps et que trop de fatigue pour se soigner

peur quand il faudrait partir, s’éloigner vite et que pourtant on reste

peur d’avoir peur : mais une vraie peur, une peur à se pisser dessus tu connais

peur que ce ne soit simplement qu’une variation rythmique sur le mot peur

peur : un mot muet, une chose sans nom

vous angoisse

vous oppresse

vous étreint

vous tremble

vous, vous peur

une solitude, ta solitude

peur c’est quand on monte cet escalier et là-bas cette porte il faudra frapper mais de l’autre côté quoi

peur c’est dans le rêve quand poursuite, quand tout nu, quand paralysé, quand animaux, quand cloisons, quand labyrinthe, quand perdu, quand

quand tu pleures

avant que tu pleures

quand tu as pleuré et que recommencer : ce qui a changé c’est quoi, ce dont tu es sûr c’est quoi, ce qui se serait allégé c’est quoi

si peur est un verbe et qu’on dit je peur tu peur il peur qu’est-ce qui est plus fort de ce qu’on croit faire aux autres ou de ce qu’on subit des autres, ou bien juste intransitif : d’où elle vient ta peur et qui l’exerce, non, rien, personne

peur du ciel encore et encore gris, et ce vrombissement de la ville sur l’asphalte, les sirènes loin

peur de l’immobilité lourde du ciel : l’orage quand il se fera, où et sur qui

peur de l’indifférence : et toi-même, ne pas acquiescer à ce qui se joue partout du vieux drame, de l’éternel drame

les guerres qu’ils se font, la guerre qui pourrait ici venir

la misère où ils sont, la misère qui jusqu’à toi vient battre

la détresse de qui appelle : et près de toi, qui donc aussi appelle

peur de ce que chacun marche ainsi seul

j’aime sauter, là sur place, pas sauter dans le vide

j’aime courir, pour le plaisir de courir, pas courir pour fuir

j’aime parler, c’est pour raconter et partager, pas crier pour dire

et quarante mots dans quarante langues qui seraient ce même mot seraient aussi blancs et d’un seule syllabe ouverte

une soif de musique, alors non, la peur

et quarante mots dans quarante langues si devant toi ce mur ce qu’il désigne est même

ils savaient autrefois crier, quand ils utilisaient le mot paour (dans Rabelais si souvent paour : on l’a repeinte en blanc et sueur, la peur, on en a fait lumière froide, moi je préfère paour, paour, paour

la faculté qu’on a de percevoir la peur d’un autre, face à vous, près de vous : et lui, sent-il ce qui vous angoisse

on se courbe dans la ville on se plie

on s’empêche de vêtements de capuches de gants

on a des armes on a méfiance et uniforme

on se hérisse on interpelle on limite les droits

il faut de la distance entre les hommes entre les corps

il faut des mouvements réglés pour la foule et dans les villes

on ne parle pas de ses rêves

on a peur on crie non on a peur on se tait on se replie on tremble

c’est diffus c’est sourd c’est une angoisse c’est dans la gorge

une boule une sueur

ce qui se désassemble dans le fond de vous-même, les désordres du corps

enfant on en pisse dans sa culotte, maintenant non : mais dedans, pareil

les agités qui se fondent alors à la foule qui marche, à la nuit qui absorbe

et ceux qui une boule dans la gorge attendent simplement à leur fenêtre qu’advienne le ciel gris, parce que pas dormi

on voudrait courir et puis non, dans les yeux cela éclate

juste cela un blanc ou juste cela du gris ou alors carrément cela : noir

qui appelle au secours : fini, ne reviendra plus au jour

qui s’enfonce dans ses rêves et les aime : fini, ne reviendra plus au jour

qui s’adosse au mur en tremblant et les paumes sur le mur : fini, ne reviendra plus au jour

ils parlent de la même chose au même moment et s’en réconfortent

foules entières de la peur : et pourquoi sinon le monde dériverait tant, ils ont les dieux de leur peur, les héros de leur peur, les récompenses de leur peur

souvenir d’être dans la nuit les yeux ouverts, on garde une lampe allumée, le temps ne passe pas, le sommeil ne vient pas

souvenir d’être deux jours et deux nuits dans une pièce sans sortir : sortir pourquoi, dehors la peur, mieux c’est d’attendre

blocs rocheux qu’on contient dans soi-même, quand on marche : bruit d’effondrement

vision : tout d’un coup quoi bascule, quoi surgit et puis tout cesse, emportés (on l’a vu, oui, cela, on en porte les traces et les images)

vision : sur vous-même seringue, vous cessez

vision : celui-là même qui a peur, qui lève son coude devant son visage, se détourne mais c’est pour rien

on met devant vous des modèles d’homme trop conformes et c’est eux qui vous disent : voilà pour manger, voilà pour vivre, voilà pour travailler

on classe devant vous les chemins dans la ville : trajet pour tous les jours, trajet pour le dimanche, trajet pour ce qui te reste de famille

on a trop connu chacun de propriétaires, de fonctionnaires, et l’exaction froide de qui a sur un autre pouvoir (on a les noms, on les a chacun)

on définit les parcours pour apprendre, et les cravates qu’il faudra mettre : haine du prévu, du hiérarchique, de ce qui commande et cyniquement domine

on vous apprend à rester dans les lignes et dans les cases : casser, plutôt

on vous apprend à danser : c’est une danse pauvre, sous les façades d’ici

on vous apprend à parler : si c’est parler sans huer, sans condamner, sans juger alors non

il y avait disaient-ils tout ce qu’il fallait pour consoler, distraire ou plaire : les cinémas, les livres dans les gares, les spectacles à grandes lumières, les gradins en haut du sport, la télévision où le bruit du monde est sourdine

qui laisse sa voiture un matin et disparaît : laisse-t-il sa peur en arrière – et qui pour ne pas souhaiter parfois pareil

réveiller : réveiller toutes les peurs, les assigner

peur : d’anticiper les événements proches, ce qui empire, et leurs conséquences – la planète va mal et la race, trop nombreuse, occupée à creuser son propre écroulement

à anticiper l’avenir proche : la liste est trop longue de ce qu’il y aurait à reprendre, à refaire – il faudrait faire vite et vite réagir et non, on continue

la faire quand même, la liste : ce qu’il y aurait à reprendre, à dévier, à contrer, à bloquer, à inventer, à refaire

j’ai peur de leur tranquillité apparente dans les villes (et l’impasse, ils disent non)

j’ai peur de la tranquillité apparente de leurs visages (l’effondrement, pas pour eux disent-ils)

j’ai peur d’un jour qui recommence et tout est calme sous le ciel (ils écoutent la radio, lisent le journal, comptent l’argent pour les cadeaux)

rêves qui vous laissent tremblants : ce que vous avez vu forcément était vrai

terreur comme vous avez su qu’elle se pratiquait : jusqu’à l’extermination de qui elle attrapait, et même si ceux-là avaient le regard digne, la nuque droite

je ne crains pas les anciens lieux de force et de pouvoir, les monuments dressés, les pierres à cérémonies, la marche exténuante : on se frottait alors à ce qui dépasse (je les connais, je les dénombre : rares)

je ne crains pas d’affronter, de crier, de dire non, et se coucher s’il faut en travers de la route : on se heurtait à ce qui détourne le haut cours des hommes

peur : que ce qui nous entoure renonce

peur : que le mouvement d’ensemble s’étale et se perde

peur : la direction même, oubliée, et ce qui nous rassemble, oublié

et la bonne nouvelle aussi : on a peur d’une bonne nouvelle, qui réouvre le temps, réouvre le chemin ou l’attente, peur, inexplicable peur

de soi extraire la peur, la tenir à distance, la considérer et dire : pars

de soi extraire la peur, c’est une ombre noire, mais au moins on la tient, on lui dit voilà tes bras, voilà tes jambes, et tes menaces et tes rêves, mais moi : libre

oublier, oublier la peur : se regarder, marcher enfin aux frontières, tendre la main et la repousser, l’ombre

qu’on réapprendra à le dire : plus, la peur – la peur, plus


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 12 avril 2007 et dernière modification le 3 décembre 2016
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