unending stories #358

« La présence des morts est douce...


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La présence des morts est douce. On leur parle, là, dans le plein jour. Il suffit d’un trouble perceptible dans l’air. Ou bien derrière toi, sans que tu te retournes. Une conversation. Probablement que cela te correspond : cet écart entre toi et le monde, dont tu sais de moins en moins négocier. La présence des morts c’est aussi le goût que tu as des livres. Fonctionnement similaire, ou celui de la parole ici : parole qui se tait, n’est pas adressée, parole de ce qui ronge en toi-même. Ce n’est pas une histoire. L’histoire c’est celle-ci : depuis quelques jours, un des morts de l’arrière, les invisibles, est passé devant. Silhouette qui s’enfuit, là-bas. Presque imperceptible ou insaisissable, du moins qui ne t’indique pas de chemin mais t’enjoindrait de le suivre, que c’est par là qu’il faut aller, que ce soit dans la ville réelle ou la ville si lentement construite dans ta tête. Il est de dos, je ne le connais pas. Il m’est arrivé, parlant de lui, de dire seulement : « je ne connais même pas sa voix », comme si tous les morts qui t’obsèdent c’est la voix tout d’abord que tu entendais à l’arrière de ton crâne et de tes épaules. J’aimerais résister. Je n’irais pas n’importe où qu’il m’emmène. Et pourtant, quand tu marches, quand tu écris, c’est bien là-bas où disparaît l’insaisissable silhouette, le mort qui te précède, que tu regardes même sans vouloir, et où le mouvement même du monde, autour de toi immobile, t’emporte sans recours.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 juillet 2017
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