atelier d’été, 7 bis | compression, transfert

si Lovecraft faisait pour lui cet exercice, on peut peut-être le faire nous, non ?


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en ligne :
BERJERAT _ BIERCE _ BIOY CASARÈS _ BORGES _ BORGES (2) _ BUZZATI _ BUZZATI (2) _ CORTAZÀR _ FRANÇAIX _ GAUTIER _ HAUSOFER _ HRABAL _ JAMES _ KING _ LANG _ MAUPASSANT (1) _ MAUPASSANT (2) _ MAUPASSANT (3) _ MONTEVERDI _ POE _ RUIZ

 

Avec les 3 semaines qui séparent la proposition 6 de la 7, voici un petit exercice d’échauffement, mais qui peut sérieusement nous emmener bien plus loin qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs une proposition que je comptais utiliser dans le parcours principal depuis longtemps.

Donc à vous de voir si vous l’utilisez séparément, ou juste comme un tour de chauffe pour se refaire la main, si vos contributions aux précédentes propositions remontent à quelque temps.

Nota : je n’ai jamais utilisé cet exercice avec public d’élèves ou d’étudiants, ou en stage. J suppose qu’il exige comme préalable certaine acculturation, mémorisation vive, et donc surtout affective d’un corpus de textes. Par contre, j’ai bien le projet d’utilisé cette exacte proposition, donc en partant de Lovecraft comprimant Poe, mais par exemple en élargissant la thématique – partir d’un fait divers, partir d’un film ou fragment de film (ou série télévisée), comme Kafka de son côté procédait avec ses variations sur Don Quichotte ou sur les mythes (Don Quichotte, les Indiens, Prométhée...). Néanmoins, pour cette mise en ligne, j’aimerais vous suggérer qu’on s’en tienne aux textes fantastiques, mais à vous de voir si vous préférez partir d’un film, et dans ce cas-là négocions : oui, à la condition que ça nous embarque dans le fantastique, encore plus radicalement...

À partir de là, ce sera simple. Si vous avez parcouru ma proposition 7, vous aurez constaté que je me suis (pour une fois) appliqué l’exercice à moi-même, en faisait un très bref compte rendu de La mort de monsieur Golouja, lequel compte rendu m’a d’ailleurs fait l’associer, de façon imprévue, à La Presqu’île de Julien Gracq.

Dans les arts plastiques, la notion de compression est presque devenue vocabulaire courant, illustrée par César (le premier ?), reprise par bien d’autres. Et on ne pourrait pas appliquer plastiquement ça à la littérature ?

Je prends très au sérieux, vous le savez, le fait que le carnet de réflexions sur l’écriture de Lovecraft, en 1933, composé de 4 textes dont 3 portent sur la genèse de l’invention littéraire (suggestions for writing a « story », n’ait jamais été publié comme un ensemble, et seulement dispersé dans des annexes – voir ma présentation ici, avec 30 traductions parmi les 51 effectuées par Lovecraft dans ce carnet. Un seul exemple :

MANUSCRIT TROUVÉ DANS UNE BOUTEILLE. Navire en détresse – naufragé par un énorme et étrange navire, qui surgit au-dessus de l’épave sur une vague titanesque, comme d’un pic. Le narrateur est jeté dans le gréement de l’étrange navire – y trouve un équipage âgé, des cartes et instruments délabrés et archaïques, des bois pourris et poreux – comme du chêne espagnol qui se serait naturellement distendu. L’équipage ne voit pas ni ne semble prendre garde au narrateur. Le nom du navire : « La découverte ». Le grand âge des hommes impressionne. Le bateau s’en va vers l’Antarctique comme aspiré par une fatalité – une puissance infernale considérable – pour être aspiré à la fin dans un amphithéâtre monstrueux, un golfe, un tourbillon.

Et toujours avoir ça à l’idée, si vous faites cet exercice : ce à quoi vous allez procéder, pour un roman (ou nouvelle, ou récit), ou un film éventuellement, Lovecraft se l’impose 50 fois, et procède ensuite à une deuxième opération : formulation d’un noyau énonçable depuis ce résumé, qui puisse devenir à son tour déclencheur de récit. Mais si vous pensez à d’autres textes essentiels (par exemple les Préfaces, avec une préface aux préfaces de Borges), cette fonction de l’oeuvre compressée, pour appropriation personnelle d’imaginaire, on peut la retrouver chez bien d’autres.

L’important, chez Lovecraft, c’est qu’il procède déllbérément à ces compressions, en commençant par les histoires les plus emblématiques, celles bien sûr qui lui posent le moins de problèmes de précision de mémoire – sa série sur Edgar Poe, Usher, Metzengerstein, Maelstrom, etc...

Pour une fois, ma consigne sera courte : choisissez une oeuvre (ou passage d’oeuvre), pris à la littérature (Souvenirs du chemin de fer de Kalda, de Franz Kafka, c’est une quinzaine de pages), ou les Tombales de Maupassant, ou telle histoire déjà redite en plus bref dans le magique Traces d’Ernst Bloch, ou au film (Cube, Pique-nique à Hanging Rock ?), et le comprimer en 5 lignes au maximum, travailler sur et dans la syntaxe pour qu’il ne s’agisse pas d’un résumé comme la page IV d’un roman de rentrée, ni d’un pitch de synopsis comme on vous en demande dans tous les dossiers, mais bien dans l’idée des compressions de Lovecraft : en insérer le plus possible dans les 5 lignes, que ça ne dise pas seulement l’histoire, mais la langue et la démarche, que ce soit porteur de l’intensité et du mystère. Dans les compressions de Lovecraft, à partir de Poe, Machen, Bierce, Dunsany, Montague Rhode James (même si, plus il en écrit, plus il augmente la longueur), c’est aussi mettre en valeur l’élément secondaire qui donne la teneur fantastique à l’histoire.

Alors, et si on trichait ? Si, au lieu d’un paragraphe, on en faisait deux (je me charge d’une mise en page différenciée) : les 5 lignes de l’histoire originelle compressée – merci de me joindre la source, même si elle n’est pas évoquée dans le texte –, et un paragraphe miroir qui serait votre réappropriation de l’histoire, qu’est-ce que vous en feriez, si vous écriviez exactement sur le même thème...

À vous de voir si votre contribution c’est seulement cette compression, ou cette compression plus le transfert réappropriation.

Je compte beaucoup sur vos contributions (je n’ai aucun moyen d’anticiper ce qu’elles seront, mais je sais que j’aurai à réutiliser cet exercice, je sais aussi combien pédagogiquement c’est un exercice qu’on pratique sans cesse à l’oral...).

 

compression/appropriation, les textes


dans l’ordre alphabétique des auteurs compressés

BERJERAT (ÉMILE)

Qu’il est raisonnable de faire des enfants, pour la vigueur de l’humanité. Béjarec un mâle ayant de bonnes qualité viriles, un corps splendide, tenant des beautés grecques et des dieux celtes. Que les moralistes béats doivent se taire devant la réalité de l’histoire racontée. Que les femmes assurent leur honneur à faire des enfants à l’aide d’un mâle productif, en manipulant discrètement un voisinage sclérosée, justifié par leurs particularités féérico-fantasmatiques (jumelles, ivresse, héritage inespéré...). Qu’un tel homme gagne l’estime sociale, et ressent l’amour de tous ces enfants. Diversité des relations familiales qui multiplient les occasions pour le mâle productif de montrer son talent. [1]

En faire une série, chaque « épisode » décrivant une situation locale qui nécessite l’intervention du faiseur d’enfants, et inventant ou faisant ressortir le coté « merveilleux » qui fera comprendre son bien fondé. Un peu comme les polars décrivent une ambiance et l’histoire d’une famille, d’un groupe humain, lors de la résolution du meurtre. Exemple : Un petit village est composé de « femmes-lézards », des femmes ressemblant à toutes les femmes en temps habituel, mais qui prennent des traits de lézard – sur la peau, sur le caractère, sur la démarche – à diverses occasions. En difficulté pour trouver l’amour, elles font appel à Béjarec, qui découvre petit à petit leurs particularité et qualité. D’autres idées possibles. ISTA POUSS.
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BIERCE (AMBROSE)
À Bierce et tous les autres. Folie meurtre perversion horreur terreur abjection. Un univers où tout toujours va de mal en pis, telle est la substance et le cadre des histoires fantastiques qu’il m’a été donné de lire. Sans doute ma nature féminine, réservée, toute de bienveillance et de douceur, a t’-elle réagi face à ce désolant constat. Comment expliquer autrement cette envie qui m’est venue ? Insolente, irrévérencieuse, iconoclaste, subversive. Aussi je réclame indulgence pour oser avouer ce besoin étrange, et je puis vous assurer que cette brûlure qui s’est emparée de moi se fait chaque jour plus impérieuse et plus violente, elle m’obsède, réclame son dû, et je suis la première à en souffrir, la première étonnée également. C’est stupide, inconvenant, saugrenu. D’où a bien pu me venir ce besoin de réécrire ces histoires pour en changer le cours ? Quand je dis que je veux réécrire, je me dois de préciser que je me sens tout aussi indigne qu’incapable de rivaliser avec les grands auteurs et maîtres du genre. Dès lors que je n’avais pas les moyens de mon ambition, tout aurait dû s’arrêter là. Mais ce ne fut pas le cas. M’est subitement apparue la vision d’un pont. D’un pont entre les livres. Une passerelle que les personnages d’une histoire pourraient emprunter pour se rendre dans une autre au moment crucial, avant, juste avant que tout bascule et que l’implacable destinée de pauvres personnages, englués terrifiés terrorisés sur le point de succomber à des forces malignes supérieures inexplicablement venues d’ailleurs, ne s’accomplisse. Ce qui est fantas...pardon, extraor, non, disons : incroyable, c’est qu’un allié dans cette entreprise incongrue s’est imposé à moi tout naturellement sans que j’aie besoin de passer des nuits blanches à le chercher ; et cet allié, je vous le donne en mille, en prime en chair et en chair, c’est Le Gros, le Gravos, l’Hénaurme, Sa Majesté en personne. Pour redresser les tordus, à grand coups pieds dans l’cul, il n’y a pas mieux que Béru. Avec Alexandre Benoît dans la place, les parenticides, les maricides, les savanticides, et même les insecticides, feront profil bas. Pour les neurasthéniques et autres déréglés glandulaires type W.W, il est dans le pouvoir de Son Ampleur de leur redonner des couleurs et la joie de vivre avec des moyens simples qui ont fait leurs preuves : un aller et retour dans leur face blême, une bonne bouffe et une bonne baise, le tout arrosé de Beaujolais. Quant aux fantômes, vampires, goules, esprits mauvais malins, créatures bizarres, l’Attila des Comptoirs a toujours sur lui l’arme fatale : il lui suffit d’ enlever ses godasses et tout le monde se casse ! Quand Bérurier, de son bel organe grave, entonne "Les Matelassiers" il réveille, c’est prouvé, et éprouvant, non pas un homme qui dort mais tous les hommes qui dorment et peut-être bien un ou deux morts ! Ô noyer la peur l’horreur le désespoir sous des éclat de rire torrentiels autant que dérisoires.VÉRONIQUE SÉLÉNÉ.
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BIOY-CASARÈS (ADOLFO)

sur une île un homme en fuite et un homme fou amoureux – ils aiment le même corps – image – on entre à l’intérieur de l’île vivante – on entre à l’intérieur de corps fantômes – on entre dans l’invention de Morel – on voit le double – soleil – d’un moment répété à l’infini

fissure – coup sur mur – il plante des fleurs il agrandit le jardin il retourne la terre de ses mains il mélange la terre vivante et les fleurs mortes – il modifie la couleur du jardin – fissure – coup sur mur – elle marche – elle marche pieds nus sur les fleurs rouges géantes elle marche corps de marbre sur les fleurs rouges géantes – elle écrase les fleurs géantes de ses pieds nus – elle marche vers lui – il regarde son corps marcher – il regarde son corps de marbre marcher – son corps entier marcher vers lui - fissure – coup sur mur – il arrache des fleurs il plante des fleurs il agrandit le jardin il gratte la terre de ses mains il mélange la terre vivante et les fleurs rouges – il modifie la couleur du jardin – le jardin s’étend maintenant sur le flanc le plus exposé au soleil – elle marche pieds nus sur les fleurs rouges géantes elle marche sur les fleurs rouges géantes - elle écrase les fleurs rouges géantes de ses pieds nus – elle marche vers lui – il regarde son corps marcher – il regarde son corps de marbre marcher – son corps entier marcher vers lui – il voit le corps allongé sur les fleurs rouges géantes – il voit la main abandonnée sur les fleurs rouges géantes – il voit les cheveux noirs sur les fleurs rouges géantes – il voit la peau de marbre sur les fleurs rouges géantes - il voit le visage se retourner – il voit les yeux noirs – fissure – coup sur mur – il plante des fleurs il arrache des fleurs il agrandit le jardin il retourne la terre de ses mains il mélange la terre vivante et les fleurs géantes – il modifie la couleur du jardin – fissure – coup sur mur – il s’incline sur le corps de marbre – AnaNB
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BORGES (JORGE LUIS)

Dan ce recueil de treize nouvelles de Jorge Luis Borges, Le livre de sable, c’est la dernière qui donne son titre au volume publié en Folio (1983, N° 1461, pages 137 à 144). Il s’agit de la rencontre entre le narrateur et un vendeur de bibles qui réussit à échanger la sienne, « un livre sacré », dont les pages semblent numérotées d’une façon fantaisiste – ou fantastique – avec une illustration représentant une ancre qui disparaît sitôt la page fermée et réouverte. « Il me dit que son livre s’appelait le livre de sable, parce que ni ce livre ni ce sable n’ont de commencement ni de fin ». Et de rajouter : « Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n’est la première, aucune n’est la dernière. Je ne sais pourquoi elles sont numérotées de cette façon arbitraire. » Or, il apparaît que le livre acquis devient l’objet d’un lourd cauchemar, avec ses figurines mouvantes dans la nuit : il faut s’en débarrasser. « Je me souvins d’avoir lu quelque part que le meilleur endroit où cacher une feuille c’est une forêt ». Ce texte de Borges, ramassé, condensé, à la fois court et panoramique, ouvre les portes à la bibliothèque elle-même infinie (qui serait multipliée maintenant par les fichiers informatiques innombrables) nommée Babel, une tour qui monte au ciel et aux cils.

Une fois le livre maudit déposé à la Bibliothèque nationale (rue Mexico), comme un cadeau empoisonné dont on désire se défaire coûte que coûte, voici qu’il a été placé sur une étagère parmi d’autres de ses congénères : toutes les bibles dans toutes les langues (même pour les habitants de Mars), les Oraisons funèbres de Bossuet, les bulles papales, les édits de Nantes et d’ailleurs, les échanges secrets entre Pie XII et les dignitaires nazis, les Manuels de civilité pour les sœurs et abbés des provinces françaises, etc. Jorge Luis Borges écrit (page 144) : « Je pensai au feu, mais je craignis que la combustion d’un livre infini ne soit pareillement infinie et n’asphyxie la planète par sa fumée ». Il ignorait, d’une part, l’écologie (le charbon chinois est fort actif et les effets de l’industrie nucléaire, outre la pollution généralisée, ne sont pas minces) et, d’autre part, la réaction en chaîne toute nouvelle qu’allait provoquer ce livre inquiétant. Il était en effet à peine rangé au dixième étage de la Bibliothèque nationale que les figurines (ces ancres marines, donc voyageuses) que comportaient ses pages allaient coloniser, par une sorte de vol silencieux, celles des autres livres qui l’entouraient. Une fois implantées dans ces pages, elles rongeaient à toute vitesse le papier et ne laissaient plus que la couverture, généralement faite de cuir, indemne. L’ancre mangeait l’encre. Au bout d’une semaine l’ensemble du fonds de la Bibliothèque nationale (rue Mexico) avait ainsi disparu : les livres ne ressemblaient plus qu’à des cercueils vides. La contagion fut totale, infinie, et le ravage inestimable. La mer des lettres en furie avait léché et avalé tout le sable de l’alphabet (et de l’aleph). DOMINIQUE HASSELMANN.
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BORGES (2)

1916 – Comprenant qu’il ne pourra échapper à l’Irlandais Madden qui vient d’un coup de maître de resserrer son étau et détenant le Secret, l’agent prussien Yu Tsun doit absolument trouver le moyen de transmettre l’information à son supérieur. Point de disjonction d’avec lui-même : le miroir de sa petite chambre, point de jonction et de résolution de l’enjeu : [le jardin aux sentiers qui bifurquent], sentiers du village d’Ashgrove, jardin de la maison du consul anglais et sinologue S. Albert (que Yu Tsun tient en très haute considération) et nom éponyme de l’œuvre littéraire d’un aïeul de Yu Tsun (et de son secrétaire d’ivoire) - mystérieux objets d’étude de S. Albert. Madden ignore l’existence du secret de Yu Tsun, Yu Tsun ignore le secret de S.Albert, S.Albert n’ignore plus aucun des secrets depuis la résolution du mystère du [jardin] et de son secrétaire labyrinthique, parabole littéraire d’un réseau d’équations temporelles infinies : leurs destinées respectives y suivent les lois parallèles, divergentes ou convergentes de la chronoquité, leurs doubles temporels fourmillent autour d’eux en d’autres dénouements possibles. Cette conjonction des temps se referme dans cette version sur l’arrestation de Yu Tsun par Madden, sa condamnation à mort, la mort de S. Albert sous le feu de Yu Tsun, le bombardement de la ville britannique dénommée Albert. S. Albert a su lire l’énigme des temps et devenirs infinis élaborée par le moine, le Chef prussien celle de Yu Tsun.

1916 - Comprenant qu’il ne pourra échapper à l’Irlandais Madden qui vient d’un coup de maître de resserrer son étau et détenant le Secret, l’agent prussien Yu Tsun doit absolument trouver le moyen transmettre l’information à son supérieur. Point de disjonction d’avec lui-même : le miroir de sa petite chambre, miroir de poche qu’il glisse au dernier moment dans le pli intérieur de sa veste, point de jonction et de résolution de l’enjeu : le jardin aux sentiers qui bifurquent, œuvre littéraire du moine Ts’ui Pên, aïeul de Yu Tsun et objet d’étude d’un consul anglais et sinologue S. Albert. Madden ignore le secret de Yu Tsun, Yu Tsun ignore le secret de S.Albert, S.Albert n’ignore plus aucun des secrets du [jardin], parabole d’un réseau d’équations temporelles infinies : leurs destinées respectives y suivent les lois parallèles, divergentes ou convergentes de la chronoquité, leurs doubles temporels fourmillent autour d’eux en d’autres dénouements possibles. Cette conjonction des temps [se referme] sur l’arrestation de Yu Tsun par Madden, sa condamnation à mort, la mort de S. Albert sous le feu de Yu Tsun, le bombardement de la ville britannique dénommée Albert. S. Albert a résolu l’énigme des temps et devenirs infinis élaborée par le moine, le Chef prussien celle de Yu Tsun. - Elle [s’ouvre] sur le petit miroir de poche que S. Albert a extrait d’un des tiroirs du secrétaire à l’approche de sa mort qu’il sait imminente, miroir identique à celui de Yu Tsun.Yu Tsun ouvrant le feu sur S. Albert reconnaîtra dans ce miroir la silhouette de S. Albert l’arme au poing et le reflet de son propre corps à terre. Cette vision d’un autre passé possible hante Yu Tsun à l’approche de son exécution. PASCALE GARREAU.
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BUZZATI (DINO)

Le jour où Maître Fassi rendit visite à Mlle Motleri, il pleuvait. En entendant les coups frappés à sa porte, Mlle Motleri eut peur. A part Maître Fassi, le vieux notaire, ami de la famille, personne ne venait jamais la voir. Mais il n’était pas venu depuis longtemps. Elle se précipita à la porte. Lorsqu’elle ouvrit , elle vit le grand imperméable noir dégouttant de pluie, luisant, horrible. Maître Fassi la regardait avec ses petits yeux de feu. Elle tenta de refermer le battant mais il força le passage, puis, dégageant de ses manches de longues griffes sanguinolentes, il les lui planta dans le cœur. Le pauvre cœur de Mlle Motleri qui n’avait jamais aimé. Jamais aimé.

Le portable de Jennyfer sonne constamment. Mais le temps qu’elle le cherche, qu’elle le trouve, il est trop tard, ça a raccroché. En plus, l’appareil ne garde pas en mémoire l’appel manqué. Elle ne sait jamais qui a appelé. Elle a porté plainte auprès de son opérateur : ils ont augmenté le nombre de sonneries avant le déclenchement du répondeur (où de toutes façons, il n’y a jamais aucun message). Cela n’a rien changé : quand elle attrape l’appareil, qu’elle appuie sur la touche écoute, il n’y a plus que la tonalité. Même quand il est à ses côtés, il s’allume, il vibre, il vrombit comme un insecte sur le dos, les pattes battant l’air, à l’agonie mais quand elle décroche, il n’y a rien. Elle a changé de serveur plusieurs fois ; elle a changé de téléphone aussi. Mais rien n’y fait. Quand elle appuie sur la touche écoute, il n’y a rien ni personne. Et elle ne sait jamais qui appelle. BÉATRICE D.
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BUZZATI (2)

(Le vieux veston ensorcelé.)

Qui es-tu, vieux tailleur poussiéreux ? Derrière ta vitrine éphémère, tu m’attends. Tu sais la forme de mon corps : tes doigts habiles ont redessiné mes contours. Au-delà de mes attentes, le tissu choisi révèle la couleur de mon âme. Tu m’offres le veston de mes rêves, un sur-mesure parfait. Par naïve volupté, je plonge la main dans la poche, je deviens Je, je plonge Je vole je plonge Je pille je plonge J’assassine je ignore tout. Mais quand je comprend Je, l’évidence. Se débattre est inutile, trop tard épouse mon futur. NatLab.
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CORTAZÀR (JULIO)

Un homme visite un aquarium, s’immobilise devant une vitre où il observe l’animal simplifié, théorique, éternel et incompressible, une tête équipée de deux yeux implantée au sommet d’un système digestif. L’homme revient plusieurs fois en visiteur. À chaque fois, il est happé par les yeux qui le dévisagent, ou c’est l’inverse. Puis le glissement, quand l’homme fondu à l’intérieur regarde depuis la vitre sa silhouette qui s’en va, et lui reste, poisson.

La surface se décrit correctement, elle s’analyse, scientifiquement délimitée dans le temps et l’espace. La surface est valable, une vitre douée de dureté – on peut poser sa tête contre –, un assemblage d’atomes de certitudes. C’est une base, une colonne vertébrale, un rein solide. Mais les mots creusent dans les fondations. Quand ils auront fini de forer et qu’on s’éloignera, d’un simple coup d’œil en arrière, on comprendra que la surface n’y est pas, n’y était pas, le monde en négatif propose nos visages inversés (alors qui sommes nous ?). CHRISTINE JEANNEY.
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FRANÇAIX (PASCAL)

Personne me croit, moi l’alcoolo ! Cette brouillasse c’est la même ! A avalé mon ami Paul il y a vingt-deux ans, maintenant François. De derrière, ils sont revenus avec les gosses fantômes. Les trois galibots remontés pour éclater les salauds qui les ont abandonnés au fond de la mine et des souvenirs. Qui les ont sacrifiés pour plaire aux saloperies du sous-sol et à leur crevure de sorcier. Je me débecte, rien pu pour eux.

Un dictateur. Quels fantômes viennent hanter ses nuits ? On les espère nombreux, horribles , lambeaux d’humains ! Monceaux de cadavres. A force de pensées vers eux vont bien finir par revenir ! Pour se venger ! Je me débecte. Quoi fait pour eux ? JÉRÔME C.

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GAUTIER (THÉOPHILE)

Sa mère a-t-elle fauté avec l’étranger au corbeau, l’étranger au regard noir ? Oluf est né sous une double étoile… L’une est verte comme l’espoir, l’autre rouge comme l’enfer… Lorsque, devenu adulte, il tombe amoureux, il lui faut se combattre lui-même en la personne d’un chevalier noir. Oluf souffre des coups que lui-même porte à son adversaire, mais parvient cependant à remporter le combat. Moralité : combattez l’ennemi en vous-même…

Henrich est un grand comédien, qui incarne le Malin dans une pièce à succès. Mais le véritable Diable entend donner une leçon à cet artiste orgueilleux, lui montre un rire proprement infernal dans un restaurant, et le remplace sur scène après avoir tenté de le tuer. Si Henrich survit, c’est grâce à la croix que son amante lui avait offerte. Il abandonne finalement le théâtre, car il a compris qu’aucun acteur, si bon soit-il, ne saurait tenir le rôle de Satan. FRANCK DUMOULIN.
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HAUSOFER (KARL)

Une femme se retrouve seule en haute montagne, dans le chalet d’un couple ami qui ne rentrera jamais d’une course au village voisin. La narratrice tient le journal de ses journées après que, sortie de la maison pour promener le chien, elle heurte un mur invisible au-delà duquel la vie s’est arrêtée, suspendue dans les gestes des habitants. Le quotidien s’égrène sur les pages d’un cahier, immuable : soins aux animaux (un chat, un chien, une vache…), coupe de bois, culture du jardin. Tout cela dans le silence de la nature et la solitude. Son ultime compagnie : une corneille blanche bannie de la société des oiseaux.

J’ai trouvé la faille, je suis passée de l’autre côté. L’enfer aussi m’attendait là. Ma face cachée de démiurge. Tout pouvoir entre mes mains. La conscience du mal agaçait mes tempes à heure fixe, le temps de le réaliser, rien en dehors de cet instant fugitif. Il fallait agir au bon moment, surprendre l’éclair de lucidité, franchir le mur et retrouver la solitude. Mais une boîte invisible me compressait maintenant, quatre murs translucides contre lesquels je me heurterais jusqu’à la mort. MARLEN SAUVAGE.
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HRABAL (BOHUMMIL)

Voilà trente-cinq ans que je presse des livres - j’entends leurs rires silencieux, suce leurs belles phrases comme un bonbon - je m’encrasse de lettres. Assassin de livres, dans mes paquets – tombes pour Goethe, Schiller, Nietzsche - j’ensevelis une relique précieuse – tous les jours j’emporte des livres dans mon cartable pour les ranger chez moi. Je voyais Jésus en play-boy, Lao-tseu en vieux garçon lâché par ses glandes - ma presse menaçait Prague de sa gueule – un énorme paquet carré, Prague tout entière pressée, avec toutes mes pensées. Dans la cuve pleine de vieux papiers, je m’arrange une petite tanière – j’enfonce le bouton vert – je me blottis dans le capiton de livres. Le poids de la presse me plie en deux – Je vois ma Tzigane dont je n’ai jamais su le nom – un message progresse – il y avait écrit ILONKA. C’était son nom.

Dix ans que j’use mes fonds de culotte sur les bancs du pensionnat, que je me noie dans les bondieuseries. J’ai quinze ans, j’allume un feu de joie dans la cour ; avec les copines, je danse, je délire. Dans la bibliothèque du couvent, razzia de livres. Au feu, les manuels de bonne manière : enfants, gardez les yeux baisés, les genoux serrés. Au feu, la vie des Saints : Blandine jetée aux lions, Saint Laurent brûlé à petit feu sur le gril, Luce énucléée. Au feu, le recueil de chansons insipides : Oh Ursule ! /J’aime tes oreilles/en portes de grange/Elles me font penser/ aux ailes d’un ange. Au feu, les bénédicités : Seigneur toi qui donne la pâture aux tout petits, petits oiseaux/Viens bénir notr’ nourriture / Et purifier notre eau. Au feu, les litanies à la Vierge immaculée, Eve nouvelle, Cité de Dieu, Rose mystique, priez pour nous. Au feu, les livres de messe, messes dites par un aumônier libidineux : « Mon enfant, avez-vous de mauvaises pensées ? ». « Moi, mon père, je ne pense pas ». Jusqu’à aujourd’hui, j’ai fermé ma gueule, là je m’éclate. Et je le précipite dans le bûcher, ce minable, et je crie : « Pour vous, l’enfer, un rien en avance. Amen. » CHRIDELL.
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JAMES (HENRY)

Deux sœurs tombent amoureuses du camarade de collège de leur frère. Il épouse la plus jeune. Après la noce, la délaissée enfile la robe de la mariée. Venue lui faire ses adieux, celle-ci en est mortifiée. Vie conjugale dans une autre ville. Un enfant naît, sa mère se meurt. Elle veut que ses robes soient gardées à l’abri, pour plus tard, pour sa fille. Le mari promet. Devenu veuf, il épouse l’autre sœur. Robes convoitées. Caprices. Serment brisé. Devant la malle contenant les habits de sa sœur, la jalouse est retrouvée morte. De peur.




Un fantôme peut habiter dans les vêtements qu’il possédait vivant. Une morte parvient ainsi à élever et aimer ses enfants, de temps en temps, certains jours, quand sa sœur, qui a épousé son mari et vit dans sa maison, porte ses anciennes robes. Obsédée par le fait d’être à la mode, et souffrant au fil des ans d’un manque d’argent de plus en plus criant, celle-ci ne cesse de les modifier et de les faire reprendre, et finit par ne plus porter que ces vêtements-là, car ce sont les plus beaux et solides tissus qu’elle possède. MARGIE AMELOT.
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KING (STEPHEN)

On interviewe une voisine d’enfance, des coupures de journaux locaux sont tirées des archives, une enquête doublée d’un essai publiée dont de larges extraits sont cités, sur son cas les thèses de différents experts s’affrontent, des explications sont avancées — où l’on parle de télékinésie, antécédents, une camarade de classe qui se trouvait sur les lieux de la catastrophe offre son témoignage de survivante, une autre en fait un élément clé de son autobiographie, des graffitis (authentiques ? malgré l’incendie ?) sont exhumés, ainsi que des lettres posthumes, l’adaptation au cinéma, scènes d’anthologie, sa chanson préférée... mais aucun effet, télécinétique ou effet de réel, aucune mise en scène ou coup de théâtre, ni montage documentaire ni croisement d’informations ne peuvent masquer le fait que l’empathie réelle ressentie dans et autour du livre avec Carrie n’est autre — et tout bonnement — que le produit de son activité télépathique. — Le réel, dans le cas qui nous concerne, n’est que ce qui n’a pas encore brûlé.

(Carrie est une grosse méduse à sa maman, Carrie, Le phénomène d’une onde de choc, son inertie, l’inertie de Carrie est fantastique, Jeune fille à la douche en Amérique, dans son état de surtension, un instrument de mort qui s’ignore dans le corps tendre et ingrat d’une jeune fille, la puberté a des ressorts fantastiques, Une douche à l’origine de l’incendie, De la poussée de puberté au burn-out, Dévastation, l’effet de réel obtenu par montage, triangulation, fait divers : Une ville moyenne américaine est le cible d’une vengeance fantastique, le réel, combustible, donne l’aliment au fantastique, Inertie et automation, Carrie progresse dans le livre en automate comme à travers la ville, comme on fuit un cauchemar — la ville y passe, force d’inertie et propagation de l’incendie, Carrie se consume avec le feu, à elle seule installation automatique d’extinction (des vilaines voix) du conformisme et de l’arriération, effets de la peur — la honte est éternelle et universelle — la peur animale étant le comburant, le triangle du feu un théorème, démonstration, Carrie un principe fantastique — son inertie est sa force — avance jusqu’à la fin qui est son extinction, se consume jusqu’à sa fin, soit sa définition, désinhibition n’est pas émancipation — elle ne libère que l’énergie — mise en œuvre d’un mécanisme d’extinction par l’incendie ou fonction sociale de Carrie, la réalité est une catastrophe, la ville est en feu, le réel est un incendie, Carrie l’énergie d’activation) Cht@GnrStrngDrgn.
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LANG (FRITZ)

Au début, le souvenir de la cage d’escalier. Il y a peut-être la mère qui appelle mais sans un mot - contreplongée. Il y a quelqu’un qui siffle un air. Une ombre. Une petite fille en robe, une vitrine, une rue, des bonbons, l’homme a son chapeau, son manteau, il est un peu gros. Puis viendra la chasse, les hommes comme des fourmis qui le captureront, qui le jugeront et le mettront à mort, pour le bien de l’humanité.

C’est souvent en sortant que ça me prend. Je ne sais pas vraiment comment, ni où, ni pourquoi, je passe sous le porche, je descends jusque la place, je traverse le pont qui suit, j’avance et c’est le crépuscule qui descend. C’est souvent comme une sorte d’hypnose qui me prendrait, je ne sais pas expliquer, je ne saurais mettre en mots, c’est juste là devant moi, ça me pénètre peut-être, mais ça me possède et je ne suis plus rien. Il fait froid. Il neige peut-être, tout est gelé, tout est congère, la nuit et les blocs de glace qui ne bougent plus sur les bords des rues, c’est là et c’est la nuit et c’est sans un bruit que je crie. HANS BECKERT (207-1098).
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MAUPASSANT (GUY DE)

Une journée admirable sous un platane, le narrateur s’intéresse au mystère de l’Invisible. Y sera vite confronté. Maladie, fièvre, peur, excursion, guérison, rechute. Cauchemar, folie. Hallucination qui boit l’eau des carafes et fait voler les roses. La chose que le narrateur devine et ne peut voir le hante. Il brûle sa maison pour se débarrasser de ce qui le possède. Mais c’est lui-même qu’il devra tuer.

J’ai d’abord cru que je n’étais pas concerné. J’étais loin. C’était loin. Tout juste si j’avais lu une fois un article sur le sujet. Et je serais passé à autre chose. Mais c’était là, juste là. C’est revenu à ma mémoire, et puis de plus en plus souvent. Cela m’a empêché de dormir. Littéralement. Je n’ai plus travaillé à rien d’autre. J’y ai consacré du temps, m’en éloignant de moins en moins souvent. Jusqu’à ne plus avoir que cela en tête. Je n’en pouvais plus. Penser à autre chose. Passer à autre chose. Détruire la documentation, les fichiers, les livres entassés, tout ce que j’avais écris, accumulé sur le sujet. Mais même alors, comment ne plus y penser. SÉBASTIEN BAILLY.
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MAUPASSANT (2)

Un homme, jeune encore, vif ; sa compagne meurt ; il est au désespoir. Souvenirs des derniers jours passés avec elle, et d’elle qui prend froid, si jolie à l’automne. Souvenirs douloureux d’elle malade, une pneumonie, une toux déchirante. Méditation sur la ville peuplée des morts, si réduite, eux qui sont en terre, si mystérieux face à l’opulente provocation des vivants, qui construisent leurs villes en hauteur. L’homme va au cimetière ; il y reste à pleurer la nuit ; et les morts qui là seulement révèlent aux yeux du soir leurs épitaphes véritables lui apprennent que c’est pour voir un amant qu’elle était, ce jour d’automne-là, sortie.

Il n’y a pas de question rhétorique sur la vie, l’amour, la mort et que sais-je ; j’ai une affirmation à offrir : c’est rien. Tout ça = rien, c’est-à-dire si peu de choses. Le carrefour dérisoire que nous habitons, la fugacité, et cet élan pathétique que nous avons à nous accrocher à quelques doux moments, des temps d’attachement, des espoirs de fil. Je ne donnerai pas même d’exemple concret ; la littérature en abonde, et la vie plus encore. Je persiste cependant à croire qu’il est beau de fermer les yeux, qu’il est beau de porter le deuil, qu’il est beau d’aimer envers, et d’aimer contre. Ignore les dévoilements ; habille de mots, de rêves ; et passe. Tu iras loin. ALICE SCALIGER.
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MAUPASSANT (3)

C’est la nuit, le narrateur est dans son élément favori comme le poisson rouge dans le bocal : amis, chaleur, fine champagne, tabac et café ; il raconte qu’il parcoure la ville comme un amoureux compulsif de brocantes. Cimetière du Montparnasse un jour d’automne, humidité tiède, soleil anémique avec sentiment de fin définitive de solitude, arbres hauts et sombres, voile de crêpe noir sur une sépulture en marbre blanc, rencontre. Intérieur public pour boire un thé chaud. Intérieur voiture, la chaleur passe de corps à corps par les vêtements. Intérieur plus privé : cage d’escalier raide puis privé : appartement 2 pièces propre, presque vide avec petit canapé dans séjour. Retour dans un intérieur public la nuit, très lumineux, bien arrosé. Ce parcours se répète sur plusieurs semaines, peut être avec des variantes les jours de pluie.

Un café la nuit, éclairage uniforme et chaud. Très en forme après un concert un vieux monsieur raconte ses souvenirs jusque 5h du matin, cigarette et verre de vin blanc en main, les extrémités des index et majeur sont jaunes. Il aime le choc de la découverte des très grandes villes, son plaisir c’est trouver l’objet qui la caractérise et le mettre en scène. Ou bien proposer des règles du jeu par exemple : à l’automne sortir chaque jour où la lumière est douce et installer un voile noir sur des matériaux blancs (descriptions). Ou bien itinéraire des cafés bien chauffés avec bonnes pâtisseries (fait à Budapest en 88). Se loger chez l’habitant. Le hasard des conditions climatiques joue un rôle essentiel en perturbant les règles en permanence. Jouer de cela dans la construction de la nouvelle. FRÉDÉRIQUE HERVET.
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MONTEVERD

Ouverture en doubles croches ascendantes aux trompettes. Amour. Cet homme est à sa voix ce que cette femme aux fleurs sauvages. Mariage. Elle prend les choses par la racine et se dérobe. Sa quête à lui pour fléchir à l’aide d’instruments les forces contraires et la ramener en surface. Accord bancal dans les tréfonds. Ça dissone. Il échoue à lui parler sans la regarder. Mille fins imaginées. Dont deux par Monteverdi : le pouvoir de la beauté mesurée élève le héros en pleine lumière, où il la retrouve, elle, mais pas elle, en simulacre. Ou bien. Les prêtresses de la puissance folle le disséminent pour toujours en fleurs sauvages, en roches sauvages, en écume dans l’océan sauvage, en tempêtes vives dans les méandres sauvages des vents sauvages et l’opéra s’ouvre enfin sur le ciel et la terre— version qui n’a plus de partition pour être jouée ni chantée. Restent les mystères sur les murs silencieux de Pompéi.

Ici l’air est tellement chargé d’eau que les sons s’y propagent par des résonances inouïes ailleurs et que le monde, par effet de loupe, semble plus proche. Louisiane. Récits d’enfance, blues et rêves d’Indiens disent en fond sonore le fleuve changeant, ce qu’il charrie de sédiments humains, non-humains, inhumains, et l’oubli des fleurs sauvages. Bien après la noce, ne reste que les côtes de la terre esclave des exploitations d’où le limon se dérobe. Cuts de quête instrumentée pour réparer, retrouver, ramener, affermir, élever, rétablir. Accord bancal dans les tréfonds. Ça dissone et le simulacre en laisse trop dans l’ombre. Faire sentir le contrechamp. Parler sans la regarder au-delà des mesures à prendre. Invoquer quelque existant du bayou le long des digues silencieuses. Mystères du monde qui vient à nous. ZONE CLAIRE.
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POE (EDGAR ALLAN)

Sombre manoir, vents contraires et donjon retiré - candélabres. C’est la nuit, et au moment de sombrer l’on est saisi par l’illusion de vie qui se dégage du portrait ovale. Alors dans un petit volume l’histoire du portrait : ou celle de cette jeune épousée au teint de rose qui par amour posait tous les jours dans une haute tour pour son peintre de mari, qui tous les jours offrait à son peintre de mari l’étincelle de vie qui s’en allait sur la toile, épuisant de jour en jour la lumière de ses yeux et la fraîcheur de sa chair dans les lueurs sépulcrales de l’atelier, donjon lugubre. Et lorsque la dernière touche fut posée sur la toile, ce fut la vie elle-même, recréée là. Alors le peintre vit que la femme était morte.

Elle pose. Marchande sa beauté au plus offrant, court les défilés les shootings plateaux photo, pub – on tourne. Sur papier glacé courbes parfaites, le grain de la peau, la lumière le regard, t’as vu, la pulpe des lèvres et la chair lisse. Et ça dure. On la voit dans les villes sur les panneaux les bus – elle court - les arrêts, elle, les autres, sœurs indifférenciées dans le trafic légalisé de canons. Elle pose, et la vie se dépose, sa jeunesse, la grâce dans ses gestes, souvent les mêmes. On la voit, elle ou sa sœur, magazines, catalogues, tables basses et salles d’attente. A vingt, trente ans d’intervalle, c’est la même, ou sa sœur, la peau c’est élastique, comme le temps parfois. Elle pose, depuis des temps immémoriaux, beauté captive, et c’est sa vie, captée par l’objectif. Elle court, et le sang dans ses veines, ce qu’on voit pas, les artères, le cœur, qui pompent le substrat, c’est sa vie qui va là. Ça se voit pas qu’elle s’écoule, elle s’étale, toujours plus neuve, toujours plus jeune, lèvres cerise et glacis glam sur les pages mode et couvertures. Elle court, beauté mâchée, et le papier, tout se recycle. Elle ou son clone. Chair à chiffon, énergies renouvelables. FABIENNE THRACIORD
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RUIZ (RAUL)

Couleurs dénaturées, paroles lentes auxquelles se mêlent légendes et poèmes, une île, un couple en deuil d’un enfant, Isidore la servante, un homme. Un couteau, un récit de crime etc.. amenant les rencontres entre Isidore et un enfant, un enfant qui se nourrit d’ail, se dit son fiancé, qui a tué, ses jeux effrayants. Puis l’île des pirates ; une autre histoire ou la même, celle d’Isidore et Toby. Mondes qui se frolent, douceur et cruauté, logique de rêve, images invraisemblables. Sauvagerie finale.

Rideaux qui fasseyent, l’océan, la lumière dans des pièces aux meubles sous draps blancs, les larmes et les sourires fragiles de la femme et de l’enfant, les billets, les bijoux, le couteau, les bateaux en papier enflammés sur le sang. La rencontre entre Isidore et l’homme sous l’oeil de l’enfant, le crime et la fuite. La course d’Isidore sur les rochers rouges derrière l’enfant, sa capture par les pirates. Le ciel rouge. Toby/Carmella l’étrange pirate, son jeu cruel, son amour, ses deux morts. Le monde sauvage de la légende. BRIGITTE CÉLÉRIER.
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[1« Compression » en 5 lignes de « Béjarec, le faiseur d’enfants », dans les « contes du Caliban », d’Émile Berjerat ou ici.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 septembre 2015
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