dans ma bibliothèque | Novarina, Vous qui habitez le temps

série "dans ma bibliothèque" : tout le théâtre qu’on se fait dans la tête, des fois


Donc un des principes d’entrée dans cette chronique serait la singularité de l’ouvrage d’un point de vue strictement bibliographique et l’histoire qui va avec.

Seize temps sont quand il en est encore temps : le présent lointain, le futur avancé, l’inactif présent, le désactif passé, le plus que présent, son projectif passé, le passé postérieur, le pire que passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le possible antérieur, le futur postérieur, le plus que perdu, l’achevatif, l’attentatif...

Ainsi, ce vieil exemplaire sali de Vous qui habitez le temps, je le considère comme mon exemplaire alors même que j’ai découvert un beau jour, mais longtemps après l’échange, que celui-ci portait collé en rabat de couv un de ces coins de plastique qui servaient aux bibliothèques à glisser les fiches de prêt. Un beau jour, lors d’un atelier ou stage d’écriture, mon exemplaire dédicacé de 90 est reparti dans les rayons de cette bibliothèque (Pantin, Bagnolet ?) et je suis reparti avec celui-ci, qui ne comporte pourtant aucune des marques habituelles, code Dewey sur la tranche ou tampon. Et c’est une réimpression de 1994, tandis que j’avais une édition du premier tirage.

Celui-ci reste ici dans le bureau : j’en ai racheté un il y a 2 ans, que j’emporte en atelier. C’est un livre trop unique, le combat serait plutôt désormais de le faire entrer dans les programmes scolaires, et les propositions d’écriture qu’on peut en tirer en font un point de passage aussi obligatoire qu’Espèces d’espaces : je pratique au moins 3 propositions.

Je me souviens avec précision du festival d’Avignon, en 1990, quand Vous qui habitez le temps fut joué pour la 1ère fois. Une fois tous les spectateurs assis, Valère s’était glissé discrètement dans les gradins et s’était assis sur une marche des travées, juste près de moi. Quand les spectateurs branchés d’Avignon ont commencé de sortir, il ne bougeait pas d’un pouce, ils l’enjambaient sans savoir que c’était l’auteur. Valère avait l’épaisseur pour tenir malgré la connerie ambiante.

Je ne sais plus si c’est directement l’année suivante, je dirais plutôt la suivante : Claude Buchwald qui le reprend avec ses étudiants de Paris VIII, et en fin d’année en donne une représentation au Bateau-Lavoir – une représentation de fin d’année d’un travail d’étudiants en fac, vous voyez le genre ? Eh bien jamais plus Vous habitez le temps n’a cessé d’être joué. Avec le paradoxe que certains des étudiants ont même intégré la troupe d’acteurs de Valère (Nicolas Struve, par exemple).

Et sans doute un point culminant il y a 4 ans ou quelque chose comme ça, à Orléans, lorsque Gioia Costa, la traductrice italienne de Valère, a rassemblé les 14 traducteurs de ce livre typiquement intraduisible avec ses mots inventées, son charroi de langue.

« J’en avais marre de toute ma vie d’exister qu’en dents de scie » : je ne crois pas que je puisse rouvrir ce mince bouquin (il ouvrirait ce jeu où Valère écrivait d’énormes livres, Discours aux animaux, Drame de la vie, Chair de l’homme, dans l’intérieur desquels se nourrissaient les écritures de scène) sans trouver une phrase comme ça qu’il me semble chaque fois n’avoir jamais lues.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er mai 2015
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