de l’ordi comme maison, suite

de ne s’être jamais aperçu avoir 42 icônes dans le bas de l’écran et s’en servir comme d’une seule


Je crois que ça remonte à deux ans ici-même, un jour de vacances, avoir voulu faire un billet sur ce qu’il y avait dans mon Dock au bas de l’écran (ça aussi, questions parfois : vous le mettez à gauche, à droite, ou en bas, le dock avec les petites icônes du Mac ?) : et vous votre Mac il carbure à quoi ?.

Là retour d’immersion dans la culture nuragique, et toujours l’impression – à un quart de siècle (premier ordi, Atari 1040, en 1988) – qu’on est toujours dans la préhistoire. Mais c’est toujours dans ces phases de transition qu’il y a les plus beaux rayonnements cosmiques.

Donc retour, sans même savoir dans quoi je m’embarque, ni ce qui a changé : il y a quoi, dans mon dock ? – plus quelques commentaires plus généraux à la fin.

 

écrire


Parce que c’est quand même mon job principal, et mon premier rendez-vous avec l’ordi, aux grandes heures d’aube et de plus en plus souvent au soir tombé.

Et je suis toujours aussi insatisfait, en deuil ou manque d’un logiciel qui me convienne vraiment, et pourtant je les essaye tant que je peux…

  • une sérieuse prime à UlyssesIII, celui sur lequel je rédige en ce moment. Chamboulement radical : plus de fichiers textes, juste une base de données globale, mais on la trie par les onglets comme on fait des e-mails, et on l’exporte indifféremment vers blog ou traitement de texte. C’est souple et puissant, largement configurable, on peut inclure des liens et tous enrichissements, et en finir avec la notion de fichier lié à chaque texte c’est une bascule qu’il faut appréhender. Manque quoi à mon bonheur ? Quelques outils de typo, et de wysywig (what you see is what you get).
  • pas moyen toujours de me faire à Word, j’ai composé sur Word le petit bouquin Fragments du dedans à paraître chez Grasset en octobre, c’est lourd et lent, toujours l’impression d’être en train de remplir une feuille d’impôt. Crouzet a raison, il suffit de virer de Word tout ce dont on n’a pas besoin, rajouter les scripts qui nous sont utiles et voilà la bagnole de course, mais j’ai la cosse de le faire. Reste qu’il y a les docs qu’on reçoit, les boulots collectifs, alors quand même besoin de Word.
  • le Pages 5.1 d’Apple : non, non, non et non. Apple se fiche de notre poire. Une fonction aussi élémentaire que placer un saut de paragraphe ou un insécable dans le chercher/remplacer et ça rend ce logiciel inserviable pour un auteur. Comme s’ils avaient voulu nier toute l’originalité du vieux Pages, le 4.3 en le forçant à ressembler à Word, mais boulot ni fait ni à faire – et pourtant on l’a payé…
  • le Pages 4.3 finalement c’est celui dont je me sers pour le boulot perso, comme d’en revenir à une guitare vintage plutôt qu’une clinquante plus récente, mais en sachant qu’on est sur un logiciel qui n’évoluera pas…
  • autour du traitement de texte : le dico Littré intégral inséré depuis des années parmi les dicos machine reste outil permanent. Sinon, recommandation toujours pour Antidote : aussi bien pour les dictionnaires synonymes ou autres, que pour la correction grammaticale non normative, jamais un texte envoyé sans être passé par Antidote. Pour les trads le dico Robert-Collins en permanence, le web pour compléter.

 

s’organiser


Je mets tout de suite après écrire ce qui nous rend obligatoire l’ordi pour l’organisation, privée ou pro.

  • Twitter via Echofon Pro, jamais eu à repayer les 20 $ payées il y a 4 ans au moins, et toujours aussi séduit, rapide et constamment mis à jour, et maintenant que le Twitter officiel insère des pubs, au moins on évite la pollution.
  • Outlook Express : jamais pu me faire à Mail, l’appli mail de Mac, en ai essayé quelques autres aussi, mais c’est depuis 2003 que je sauvegarde et trie mes e-mails sur le logiciel de la suite Office. Et si je regarde le dossier Cergy, au bout d’un an de boulot c’est 1327 mails reçus des étudiants, 550 des enseignants ou admin, et à part Cergy c’est les dossiers de l’admin perso, du bouclage publie.net, de nerval.fr. Il y a 2 ans je gardais Outlook sur mon ordi de bureau et me contentais du webmail sur le petit MacAir nomade, je ne sais pas comment font les autres, mais Outlook c’est aussi une sorte de mémoire globale, d’archivage fichiers, je crois que la base de données pèse 13 Go mais c’est une sorte de château-fort à l’intérieur de l’ordi, voire une sorte de tour de contrôle, aux arborescences mobiles, qui devient une sorte d’ordi bis, plus que les autres l’interface par laquelle l’ordi est la surface poreuse avec la vie matérielle (et seulement elle, de plus en plus de difficulté à répondre subjectivement aux mails, de plus en plus qui restent en attente, au moins dans les périodes de boulot perso comme en ce moment – les mails, la corvée.
  • j’ai été longtemps sur Firefox, et puis ensuite longtemps sur Chrome, plus rapide et moins plantant. Il y a un an à peu près j’ai refait la bascule inverse, la màj 29 de Firefox a recommencé à créé des plantages mais ils ont corrigé, je suis donc essentiellement sur Firefox, c’est aussi le logiciel qui permet d’ouvrir epubs ou pdf, de stocker des tas de mots de passe, on a tant et tant à faire qui passe par l’accès web, le navigateur ça se soigne. Reste qu’avec la maladie d’institutions comme SciencesPo ou ma propre école de confier toute leur infrastructure web à Google, chacun de mes navigateurs est lié à un de mes comptes mail Google obligatoire, Chrome si je suis à SciencesPo, Safari si je dois entrer dans l’Intranet Cergy, très plaisant.
  • usage comme tout le monde de Agenda et Contact d’origine sur le Mac, avec les fonctions synchro pour les retrouver sur l’iPhone.
  • finir sur ce cher petit carnet NotationalVelocity, toujours ouvert dans un coin de l’écran, j’y stocke des tas de trucs, c’est celui dont je me sers aussi pour les petites recopies de phrases vite fait.

 

musique


Je parle tout de suite de la musique parce que c’est simple.

  • iTunes me sert à recharger et mettre à jour l’iPhone et l’iPad, mais c’est strictement tout. Pour la musique c’est Spotify, sauf quand un de mes gamins s’est connecté et me le coince. Sinon, mes 20 Go de mp3 sur iTunes, je les écoute plutôt depuis l’iPhone que vissé à l’ordi.
  • toujours tellement de regret à passer si peu de temps sur le son… J’ai juste version light de l’inusable Live 9 d’Ableton, mais nécessaire pour la préparation et le micro-montage des enregistrements audio.

 

lire


La petite icône Kindle directement sur le Mac... Fonction de plus en plus présente sur l’ordi, puisque, quel que soit mon support lecture, Kindle PaperWhite (là en ce moment en Sardaigne, même dans le sable ou par 40° de chaleur tient remarquablement), la petite tablette KindleFire que j’utilise de préférence pour lire à la maison, l’app Kindle permet qu’on l’installe sur 5 appareils, ce qui veut dire que je dispose aussi de tous mes titres (achats Amazon, ou fichiers que j’envoie sur mon compte) sur l’ensemble de mes machines, et donc l’ordi y compris. Il y a seulement quelques mois qu’Apple a permis qu’on ait iBooks sur nos MacBook et MacAir, on leur avait dit déjà il y a au moins 3 ans mais ce genre d’erreur stratégique risque d’être difficilement rattrapable. Par exemple, me servant beaucoup en ce moment de la grosse bio Lovecraft de 1000 pages de S.T. Joshi, I am Providence, je la lis sur le Kindle, mais pour recherche d’occurrences, vérifs, annotations c’est sur l’ordi. Du coup effet pervers évident : pour les nouveaux achats (mais tenir compte du fait que je dois lire à 70% en anglais) c’est l’app Kindle qui sera favorisée, mais le fait de lire indifféremment sur l’outil dédié (le Kindle) ou sur l’ordi encore une surprise.

 

sites


Abandon de Dreamweaver il y a au moins 3 ans, je suis toujours sur Coda. Un site c’est constamment du polissage, affinage, sauvegardes, donc logiciel de rédaction html avec ftp intégré, Coda est rude au premier rebord, mais de plus en plus agréable à mesure qu’on s’y organise, et encore plus quand on a une batterie de sites à gérer.

 

images et photos


Là c’est la grosse révolution cette année : passage à Lightroom. Même basculement que pour UlyssesIII, piger qu’on ne modifie pas la photo initiale, mais que la base de données fabrique une image/sortie qui inclut la totalité des modifications apportées. Mis du temps (et même chargé sur le Kindle un ou deux manuels), mais désormais ne me sers plus de mon Photoshop Elements que pour la titraille ou les bandeaux. Je suis loin d’être un as de Lightroom, mais j’observe les durs de Cergy, ceux qui vous disent d’un ton très naturel que parfois une photo n’a presque pas eu besoin de développement, une demi-heure a suffit… Donc fichiers RAW et le plaisir de venir s’y promener avec les filtres radiaux ou autres curseurs de température et saturation. Bien sûr tout le catalogue photo sur un disque dur extérieur (ne serait-ce que pour protéger la mémoire flash du MacAir), la mauvaise surprise qu’un petit Toshiba 2 To acheté en novembre dernier vienne déjà de claquer. Mais aucun remords sur cet apprentissage – reste que ça tourne mieux si on a 8 Go de mémoire vive sur l’ordi.

 

et autres machines barbares


J’ai presque fait le tour du dock en bas de mon écran. Il reste :

  • InDesign, ô cathédrale gothique du littérateur… Je n’aurais jamais cru qu’à Cergy je sois obligé de me remettre à ce point à InDesign. Du coup, toujours fascination à ce qu’on peut régler d’un texte avec cet outil-là, la qualité et l’ergonomie de lecture des PDF qu’on en sort (pour impression aussi bien que lecture écran), et passage pré-prod que j’utilise aussi avant l’export epub pour mes livres numériques. Toujours vague regret que ce soit toujours vraiment impossible de s’en servir comme d’un traitement de texte direct, ce serait le rêve.
  • Sigil, la machine à coudre Singer pour fabriquer les epubs, pas perdre la main, rien de plus basique et lourdingue qu’un epub, mais mine de rien, à mesure qu’on ne lit plus de bouquin papier et qu’on a sa liseuse ou tablette dans le sac, important que tout soit aussi dispo à ce format.
  • Acrobat Pro, cette bonne vieille pelle à piocher les PDF, les compiler, les extraire, les recadrer, maintenant il y a des outils gratuits capables d’y parvenir, mais serais bien incapable de me passer de ce qu’il permet au quotidien.
  • ABBYY ô lettres fétiches du scanneur de texte : souvent des extraits de bouquin dans Tiers Livre, il suffit de les glisser dans vieux scan Canon USB acheté une cinquantaine d’euros en supermarché il y a au moins 10 ans, et le texte sort tout propre…

 

et ce qui s’est évanoui dans le brouillard


Reste quoi, dans les 42 icônes minuscules du dock en bas de mon écran (ne les avais jamais comptées avant tout de suite, n’aurais pas pensé qu’il y en avait tant) ?

  • des utilitaires basiques, comme Finder et Corbeille ça ne compte pas, Capture oui, très souvent, VLC pour les vidéos oui, Skype même si j’aime pas ça pour le boulot ça sert bien, ajoutez la calculette…

Et donc tenter de se souvenir de ce qui n’y est plus :

  • telle phobie aux Excel et Numbers que pas dans le dock même si bien forcé parfois de s’en servir ;
  • quand je suis en intervention publique, je préfère la tchatche, ça me demande assez de concentration, j’ai donc laissé tomber les PauvresPoints et autres KeyNote – sauf lorsque perf à préparer avec Pifarély pour avoir projection sur écran bien faite, donc KeyNote et non PowerPoint, mais puisque personne ne nous demande plus de perf…
  • jamais lancé dans montage film ou vidéo
  • oublié ce que j’ai viré : l’informatique ça ne se mémorise que par les doigts, pourtant je suis sûr d’avoir eu des tas de logiciels qui m’ont vraiment servi à telle ou telle période et puis bonsoir (BBEdit, Calibre ?)

 

à quoi ça sert de raconter ça


Pour ceux qui ne sont pas sur Mac, évidemment à rien.

Pour ceux qui sont sur Mac, probablement à rien, parce que chacun a ses tâches et configure sa machine en fonction de cela. C’est peut-être le seul intérêt : qu’on se le raconte, ça aide à prendre distance avec ses propres manières de faire. À Cergy, il y a 1 an, quasi un tiers des étudiants sur leurs Mac se contentaient de TextEdit comme traitement de texte.

Dire aussi que chacun de ces outils ne trouve sa pertinence, donc son emploi actif, que dans la mesure où il est bien fait et donc se laisse oublier. Plus de temps à bricoler. Du coup ça prime la question des logiciels dits libres, toujours moches et buggant. M’en fiche qu’un logiciel soit austère ou peu graphique, mais l’ergonomie c’est vital. Donc oui, je paye mes logiciels comme mes livres, et du coup j’ai confiance et je les oublie. Quitte à râler si c’est encore une fois la dîme Microsoft ou Adobe ou Amazon.

Il faut aussi relativiser : est-ce que je suis capable, pour la description ci-dessus, de construire un camembert avec le temps de présence écran pour chaque logiciel ?

Et noter peut-être changement plus de fond :

  • ne compte plus forcément la séparation connecté/non connecté : on peut être connecté dans le travail d’écriture le plus dense, qui s’écrit de plus en plus avec recherches ou fonctions en ligne, et la déconnexon n’est en rien synonyme de concentration, puisque l’usage de l’ordi est aussi un usage loisir
  • compte plutôt la façon dont on répartit pour soi-même une répartition des temps pas très différente des auteurs de l’avant-web (le temps correspondance de Flaubert, le temps social de Kafka), si on commence sa journée par un temps d’écriture et qu’on la finit sur un temps lecture, qu’on y insère une plage loisir développement photo, un temps précis travail social mail ou autres contraintes, et un temps veille ou info etc
  • l’équilibre à créer soi-même dans cette organisation des tâches et du temps sans doute plus difficile, y veiller, s’astreindre à, dans la mesure où elle ne passe pas par des objets matériellement distincts (le bloc papier à lettres, le labo photo, l’achat du journal au kiosque, le livre sur la table de chevet, le téléphone ou les potes au bistrot [1] etc)

D’autre part, il y a aussi la fonction du travail direct en ligne :

  • le goût que j’ai d’écrire directement sur mon site des textes, pas forcément contingents (Fictions du corps par exemple, ne l’ai jamais écrit autrement que directement en ligne), ça correspond à quoi pour le statut même de l’écriture ?
  • le temps qu’on passe sur Facebook (doivent être malheureux, ceux qui s’en privent) quand il interfère avec messages pro, vie familiale, discute de bistrot avec quelques copains choisis, est-ce qu’il n’est pas lui-même à décomposer selon plusieurs des rubriques ci-dessus ?
  • de la même façon, le temps global de lecture qui pour un type comme moi doit être particulièrement stable sur mes nombreuses décennies d’activité, est-ce que le temps passé dans mes onglets Firefox est indifférencié selon que je lis le journal du soir, ou des blogs littéraires pointus, ou émerge d’une recherche de 3 heures dans des bibliothèques américaines ?
  • encore plus loin : la problématique d’écrire un livre reste-t-elle identique à elle-même, traitement de texte d’un coté, blog de l’autre, alors que le site devient l’atelier même d’un chantier qui, de son côté, organise son architecture depuis ce mode de publication même ? et, dans le même sens, notre lente migration vers la composition transmedia du livre (foin du concept déclassé du livre enrichi) n’est-elle pas ce qui nous conduit à avoir, sur notre écran du lire/écrire, ces 42 icônes mêlées, alors que nous ne sommes attelés qu’à une seule tâche ?

Ma préhistoire salue bien les vôtres (image ci-dessus : musée de Cagliari). Et je trouve très bien de raconter ça pour 4001ème article de ce versant du site (le journal et les images étant l’autre).

[1Notez bien que je considère ici une relation comme celle de Munch et Strindberg.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 juillet 2014
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