prolégomènes à un accomplissement dans l’art

dit-il


Je n’ai jamais été attiré par ces initiatives qui se disent « twitt littérature », même si bien sûr on en connaît de vraiment littéraires ou audacieuses (cette série reprenant les classiques de la littérature universelle chacun résumé en un seul tweet), mais depuis le début de mon utilisation de Twitter, en avril 2008 (et je m’en suis expliqué dans ce billet Twitter mode d’emploi), un des plus beaux plaisirs qu’il y aurait à cet outil c’est son utilisation comme enregistreur presque sismique d’un moment d’écriture dans le plus parfait inconnu, et qu’on laisse se développer selon un temps défini (au moins rétrospectivement), répétitif ou séquentiel ou pas, inventant chaque fois sa norme ou son statut de représentation du réel. C’est ainsi que j’ai conçu par exemple ces Conversations avec Keith Richards.

Pour la série en 20 twitts qui suit, resituer le contexte : l’immersion depuis 5 jours maintenant dans la découverte et la traduction des 51 histoires de Dunsany, et l’école de Cergy transformée pour 2 semaines des diplômes de 5ème année en curieux pays imaginaire et éphémère, où pourtant chacun va jouer l’extrême de lui-même.

Complétons par une année dense en apprentissages, remises en cause, l’émotion causée brutalement, ce dimanche matin, par le grave accident de moto d’un très proche, la montée intérieure du boulot perso qui devrait commencer avec la réclusion de juillet août (mobile et partiellement déconnectée, mais habitué organiquement de longtemps au surgissement de ces dérives), le constat de plus en plus évident d’un éloignement du « livre », poussant à s’impliquer progressivement dans des expériences différentes (je le montre peu, mais je suis en général harnaché de matos pour expériences son et images, où je suis comme un pingouin maladroit).

Donc voilà, en direct du Cergy-Tokyo, le temps de consommer le menu 22 à 12€90, séquence twitt de ce soir.

 

prolégomènes à un accomplissement dans l’art

[1]

j’ai envie de devenir un artiste mais je ne sais pas en quoi

 

[2]

je voudrais apprendre une technique neuve mais rien qu’à moi, le tambour ou un truc comme ça

 

[3]

ou je ferais des dessins par terre dans un endroit secret et qui seraient l’explication du reste

 

[4]

ou l’art mental de rester immobile devant ce qu’on ne comprend pas, très longtemps c’est pas grave

 

[5]

il avait poussé à son paroxysme l’art de parler des écrivains et artistes comme si ce n’était pas cela son art même

 

[6]

il avait poussé à son paroxysme l’art de marcher dans la ville sans que nul ne le remarque, il disait : c’est un art exigeant

 

[7]

il s’entraînait à vivre dans des lieux vides, à occuper sans rien déranger des lieux habités

 

[8]

il n’aurait jamais survécu sans être aussi écrivain dans une autre langue, moins méconnu qu’en sa langue même c’en était presque vexant

 

[9]

se traduire lui-même était devenu un exercice à plein temps, longtemps qu’avait cessé le texte initial

 

[10]

jouer du tambour sur les places publiques, toujours à l’aube, mais sans bruit pour ne pas gêner

 

[11]

il avait écrit un livre qui s’appelait simplement « dedans » (c’est vrai en plus)

 

[12]

il disait qu’en tout art en accomplir seulement et parfaitement les gestes remplaçait l’art même (et il le prouvait)

 

[13]

dans son art du tambour, peu savaient en quoi la preuve de sa maîtrise était l’absence de tambour

 

[14]

il fut aussi artiste en cela que sa tombe n’était décorée qu’à l’intérieur (mais là, vraiment écrite)

 

[15]

il était l’inventeur d’une pédagogie singulière : pendant un an, n’écrire qu’un seul mot, ensuite on n’était vraiment plus pareil

 

[16]

il disait qu’un artiste, un vrai, ne se remarquait pas dans la ville : que c’est la ville elle-même qui tremblait

 

[17]

c’était l’ultime des paradoxes : cette œuvre qu’il avait accomplie sans auteur l’excluait donc de son propre art

 

[18]

il continuait d’apprendre : on avait progressivement perdu sa trace, au bord même de la ville pourtant

 

[19]

et tous ceux-là qui criaient fort, se tenant par la main pour ne jamais ouvrir leur rang, la vague ensemble les submergea

 

[20]

ce n’est pas tant d’être seul, qui le peinait : mais comme d’être en trop encore, pour devenir vraiment cet artiste


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 juin 2014
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