Michel Chaillou | le langage n’est pas un outil, c’est un monde

merveille de retrouver Michel Chaillou parlant de l’écriture et aussi de sa découverte de l’ordinateur, en 2000...


« Le blog-notes tenu par Michel Chaillou s’est interrompu le 10 décembre 2013. »

C’est la phrase qui ouvre désormais le blog que Michel a tenu jusqu’au bout, a plus de 80 ans passés (voir mon Michel Chaillou, 79 ans, blogueur), et qui inclut désormais les hommages de ses proches.

En 2000, la BNF nous avait invités à parler de nos pratiques d’écriture dans le cadre de sa belle exposition Brouillons d’écrivains. Et bien sûr en ligne ici sur Tiers Livre ma contribution au catalogue.

Nous avions quelques-uns à avoir été sollicités pour un entretien vidéo qui s’était tenu dans la salle Richelieu, vidée depuis peu par le déménagement de la BNF à Tolbiac, et ça a dû contribuer à l’intensité.

Il y avait Michel Chaillou, Jean Echenos, Emmanuel Carrère, Linda Lê. Hélas, la page Rencontres du site de l’expo semble ne plus passer sur les ordinateurs d’aujourd’hui...

Alors ce soir, une chaîne comme Internet en a la spécialité s’organise : Christine Genin, conservateur (en charge notamment des « Signets » de la BNF et collaborant au projet d’archivage Heritrix) est prévenue – grande chance donc que ces vidéos soient bientôt de nouveau accessibles. Et Roxane Lecomte quitte quelques minutes l’incroyable travail de site qu’elle fait pour le nouveau publie.net et vient à notre secours en nous envoyant en Dropbox les 5 fragments vidéos de Michel... Je n’ai plus qu’à envoyer sur YouTube.

Parce qu’il se passe ici quelque chose d’important. Bien sûr, l’émotion d’entendre à nouveau Michel, qui semblait appeler à lui toute la littérature quand il parlait... Mais lui et son ami Roubaud ont été des premiers à s’aventurer dans la galaxie traitement de texte.

Et puis nous sommes en 2000 : moi j’avais Internet depuis 1996, mais la connexion ADSL n’est venue qu’en 2002, le multi-tâche qu’en 2004, ma première liseuse Sony qu’en juillet 2008, sans parler de l’iPad en 2010... Alors, dans l’ébouriffant exercice auquel nous invite Michel Chaillou, l’empreinte en creux de ce qui ne nous est pas accessible : l’ordinateur n’est pas encore une bibliothèque, le navigateur pas encore un outil à lire. L’imprimante probablement un rôle perdu aussi en grande partie.

Et j’avais complètement oublié cet autre vestige : sur le même site de Brouillons d’écrivains, la BNF met en opposition Pierre Michon parlant de son écriture manuscrite (le Pierrot à l’époque avait remplacé son Amstrad par un Mac, mais s’en servait encore relativement peu), et moi-même parlant de mon écriture machine.

Et j’ai un autre souvenir, celui-ci qui ne risque pas de me lâcher. Pour la même expo, la BNF avait confié à certains d’entre nous, une semaine chacun, un ordi portable sous Windows (je crois que mon aversion date de là, en tout cas j’y étais bien maladroit), équipé du logiciel Genèse de l’Association française pour la lecture.

Ce logiciel conservait intégralement toutes les hésitations, ratures, biffures que nous étions amenés à pratiquer lors de l’écriture d’un texte. J’avais détourné l’exercice de la façon suivante : j’avais recopié mot à mot 3 pages de Perec, prises à Espèces d’espaces en intégrant exhaustivement tout ce qui me passait par la tête dans cette recopie, plus les incises et complément à ces digressions. J’étais alors arrivé à un texte de 15 pages, et puis j’avais coupé, dans l’ordre inverse, tous mes ajouts. Au bout du compte, hommage au Pierre Ménard de Borges, j’avais donc un texte de 3 pages, recopie exacte de Perec, et tout mon propre texte en palimpseste. Je me souviens que dans l’expo on pouvait y accéder sur une borne. L’AFL par contre m’avait promis une copie in extenso de ce texte (la version de 15 pages, première fois que j’écrivais en arborescence), et bien sûr je ne l’ai jamais obtenue...

Allez, un grand salut fraternel à Michel Chaillou, rencontré dès la parution de mon Sortie d’usine en septembre 1982, amitié qui s’est solidifiée et a tenu jusqu’au bout, dans cet étrange partage de l’écriture, des ciels d’ouest, ou de ce qu’il nommait le tempérament. Pensées pour Michèle et David.

FB

Photographie ci-dessus : Michel Chaillou, dernière fois qu’on s’est trouvé professionnellement ensemble, abbaye de Fontevraud, 9 septembre 2006, journée d’étude à l’intitiative de la MEET Saint-Nazaire.

 

 

 

 

 

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 mai 2014
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