
de comment l’escargot peut aller aussi vite que nous (dans sa perception du moins) et comment l’oursin ne se mange pas les pieds et tout ça
Ce livre aurait dû être dans la rubrique des oubliés, perdus, détruits. Il me souvenait qu’on y parlait de l’attente de la tique sur son brin d’herbe, de milliers de tiques attendant sur leurs brins d’herbe, et puis que l’acide butyrique d’un chien de passage déclenchait qu’elle tombe, et que sur toutes celles qui tombent l’une puisse se reproduire et le cycle repartir : la tique peut attendre 18 ans et se réveiller par cette seule molécule qui l’atteint.
Et voilà, disparu dans la masse il est vrai croulante, superposée, juxtaposée, des livres du garage, ou bien prêté, emprunté, en tout cas voilà typiquement pour moi ce qu’était un livre oublié : le souvenir d’une histoire, associé à une ambiance, une manière de dire, et on ne retrouve plus rien. Plusieurs fois, en remuant le garage, je cherchais mon histoire de tique. Et puis, il y a quelques mois, prenant le mystère à bras-le-corps, parti dans l’océan des moteurs de recherche, plusieurs, les croisant, mais avec quels éléments : la vague conjonction en khül d’un nom d’auteur germanique, et le mot tique décliné en plusieurs langues ?
Évidemment, lors d’une récente visite à la librairie Le Livre il a suffi de dire à Laurent Evrard mon souvenir d’un livre sur les animaux, remontant début de siècle (en fait 1934) pour qu’il m’apporte aussitôt Jakob Uexküll, Milieu animal & milieu humain, livre bien connu aussi de Deleuze ou d’Agamben.
Et j’y ai retrouvé toutes ces histoires et ses merveilleuses illustrations, les premières recherches sur l’oeil de la mouche (on en sait plus aujourd’hui), sur comment nous percevons à 18 images/secondes, mais que le poisson dit combattant perçoit à bien plus et l’escargot seulement à 5 ou 6, ce qui fait que la vitesse apparente du monde ou de son propre déplacement doit être semblablement identique pour chacun. De ce qui se passe dans le sommaire cerveau du chien myope lorsqu’il court après une balle, de pourquoi l’oursin ne mange pas ses propres pieds (c’est compliqué et merveilleux), comment s’orientent la taupe ou la bernique, en quoi le gyroscope du poisson diffère du nôtre et ainsi de suite.
Et pourtant ce n’était pas mon livre. La mémoire est celle d’une musique. Aujourd’hui je découvre que celui que je cherchais (je reconnais l’illustration de couverture) est accessible directement en ligne, et ne vous en privez pas : le lire sur Scribd.
Ancienne traduction (Mondes animaux et monde humain, Denoël, 1965) :
Nouvelle traduction (Milieu animal et milieu humain, Rivages, 2010) :
Traduire est difficile. Je le sais bien pour Lovecraft. Et il est bon de retraduire, à mesure de nos nouveaux concepts, de l’importance d’un texte (mort en 1944, Uexküll est désormais dans le domaine public), mais le plus littéral est toujours une inscription dans un présent plus éloigné de l’ancienne traduction (l’autre était de 1965, celle-ci de 2010) c’est comme rhabiller l’auteur d’un autre vêtement. Il change quoi : presque rien. Mais retrouves-tu ton premier mystère : jamais exactement.
Ceci étant, le nouveau Uexküll, avec son nouveau titre, a pris la place de l’ancien, et les histoires sont les mêmes.








1ère mise en ligne 25 avril 2014 et dernière modification le 3 janvier 2015
merci aux 2740 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page