livres qui vous ont fait | le fac-simile Rimbaud

la typographie est l’expression chaque fois d’un moment particulier de l’écriture


J’ai presque honte de le montrer dans cet état-là. Mais je n’ai jamais trouvé le même à racheter. Et, depuis que je me le suis procuré, jamais pu lire Saison ou Illuminations dans une autre édition, sinon le très grand fac-simile des manuscrits des Illuminations (un cadeau au terme de ma résidence en Seine Saint-Denis à Bobigny en 1986, belle attention), mais plutôt comme outil. Surtout, jamais pu parler de Rimbaud en atelier ou avec des étudiants sans avoir ce petit bouquin à la main.

Je n’ai pas lu Rimbaud de bonne heure. On nous assénait le Dormeur du val et bonsoir. Première édition complète en 1925 grâce à monsieur Breton (une fois de plus), il entre dans les programmes scolaires en 1954, ça n’avait pas dû encore descendre dans le Poitou quinze ans plus tard.

C’est quasiment Blanchot qui m’y ramène. Ma première lecture intense et complète à Praque en 1979, il était temps. J’avais eu de la chance : nos clients de Motorlet, la boîte nationale de réparation de moteurs d’avion, avait simulé un accident sur la soudeuse à faisceau d’électrons pour se faire attribuer un budget de pièces détachées, et Air France s’était trompé, avait envoyé les petites anodes de cuivre et cathodes de tungstène en Amérique du Sud, j’ai attendu une quinzaine de jours sur place avec pas grand-chose à faire qu’à discuter avec les gens, le matin, et lire Rimbaud, la nuit. J’avais le Pléiade évidemment, le premier, assez bourricot, le second est plus élaboré. J’ai acheté un peu systématiquement les éditions, le pire étant un monsieur Brunel (Pochothèque, mais il sévit dans beaucoup d’éditions) qui recouvre Rimbaud de trois fois son épaisseur de notes interprétatives qui sont son interprétation, ce type a fait beaucoup de mal. J’ai aussi rapporté de chez Strand plusieurs traductions américaines (1935, 1950, 1970), j’aime bien la façon dont ils s’y prennent pour la mise en page.

Là c’est une maison d’édition suisse, et le fac-simile de cette édition bruxelloise de Saison que Rimbaud n’a pu réussir à payer, et des Illuminations telles que Verlaine les a composées et assemblées, et que probablement l’auteur n’a daigné ouvrir, alors en pleine maladie déjà.

Et il y a une ouverture signée par un nom bien connu des balzaciens, Roger Pierrot, intelligence et culture, qui vous ouvre tout doucement la porte avec confiance, comme une politesse qu’on vous fait pour l’accueil et ça suffit pour qu’on le prenne au sérieux. Et je le précise sans flagornerie, la même estime valant pour Alain fils de.

Qu’est-ce que ça change ? Oh, presque rien. C’est le paradoxe connu de tous les rimbaldiens, à peine soixante pages d’Illuminations pour quatre cents de correspondance épicière. Mais la typographie est un art qui à chaque époque respire avec l’écriture : ou plutôt l’inverse, si chaque auteur, lorsqu’il saute dans l’inconnu, le fait avec l’idée acquise du support qui l’accueille (ainsi même pour nous avec le numérique). Passez voir sur Gallica la suite des éditions successives des Fleurs du Mal, ou comparez simplement l’originale avec celle de 1899 – notre lecture même s’assemble selon l’art employé de la typographie, et un roman de 1935 peut nous sembler une antiquité si on l’ouvre dans son premier contexte.

Alors elles sont là, les Villes, les Enfance, et ses fabuleuses phrases nominales, Départ pour l’affection et le bruit neuf.

J’ai Rimbaud (et Baudelaire et tant d’autres) en permanence à même la peau de mon ordinateur, et même de mon téléphone, je ne le lis plus autrement ni ailleurs qu’ici, puisque c’est ici que j’écris. Mais si je suis en cours ou atelier, c’est le vieux fac-simile (trente ans de bons et loyaux service) que j’ai posé sur la table devant moi.

Au fait, quand est-ce qu’on interdit d’emploi le Dormeur et autres Bateau ivre dans le secondaire, pour aider les profs courageux à vaincre leurs inspecteurs chéris en proposant directement Une saison en enfer à leurs élèves de troisième ou première ?

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 novembre 2013
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