du beau, de la science et de l’acier, d’Orsay à Fos

étranges vaisseaux de métal en transit dans l’aciérie ArcelorMittal Fos


Je crois que ce qui rend passionnant le travail qu’on mène en petit groupe, à Fos, par rapport à d’autres ateliers d’écriture, c’est que la notion du beau est déjà constituée, intériorisée, quelle que soit la peine, ou quels que soient les risques, la difficultuosité du travail posté, et ce qu’on affronte au quotidien de conditions extrêmes.

Je ne suis pas qualifié pour dire philosophiquement ce qu’est le beau, et ce qu’il en est lorsqu’il ne s’agit pas de notre appel pour un paysage naturel (les fonds marins, n’est-ce pas S.G.), mais un objet technique, dont chaque détail, surface, forme dénote le travail de sa conception et de son élaboration.

Ce texte de Gilbert Simondon, Beauté des objets techniques m’y avait aidé, quand on a commencé l’atelier.

M’a aussi aidé ma traversée l’an dernier du Plateau de Saclay. Qu’ils soient volcanologues, astrophysicien, ou reviennent de 3 semaines au Groenland, chacun de mes interlocuteurs désignaient toujours comme beau une part irréductible de leur objet.

Et il ne s’agit pas forcément, dans leur cas, d’un beau naturel, puisqu’une médiation technique peut se révéler indispensable pour y accéder, ou bien que cet objet qui les fascine ne dispose pas de représentation concrète dans l’ordre du visible.

Par contre, à Orsay, on assiste au phénomène inverse : un satellite de mission d’exploration des confins de l’univers (le satellite Planck), ou une chambre à neutrons obsolète, ou un accélérateur de particules après qu’on en a construit un plus grand, vont devenir des oeuvres d’art exposées comme telles sur le campus, dans les halls d’entrée des labos ou directement sur les pelouses (voir l’art c’est la science quand elle est morte). Ce qui était une évidence, à Saclay, c’est la construction d’un beau élaboré, résultant d’un travail de conception et de fabrique – comme l’oeuvre d’art – dépassant sa propre utilité, et en appelant à une reconnaissance de sa nature en tant qu’objet d’art dépassant celui (ceux, parce que c’est un processus collectif, comme la cathédrale gothique) qui l’a élaboré, mais ne ressortit pas à notre histoire de l’art, ni aux frontières des disciplines de l’art. C’est même probablement ce qui m’a autant déstabilisé, lors de ces rencontres avec des hommes remarquables, des êtres exceptionnels du point de vue de l’exigence, du parcours, de la citoyenneté, mais pour lesquels la littérature semblait ne plus être sur la route, n’avoir plus fonction nécessaire. Quitte à ne plus savoir quel est cet objet étrange, comme tombé d’une autre planète sur la vieille terre : le squelette dans le catafalque.

Tout cela loin de Fos, et puis non. L’acier brûlant des brames, qui avancent en continu et qu’on découpe en bout de chaîne, avant de partir dans l’autre bâtiment, celui des laminoirs, est guidé ici par d’impressionnantes cages à rouleaux, qui ont dimension de moteurs marins, ceux des ferries et des cargos minéraliers. Ce sont des pièces d’usure, des éléments actifs.

Je ne sais pas si celle-ci était neuve, à réviser, ou retour de remise à neuf. Mais elle était là en attente, comme une oeuvre d’art. En quoi est-elle art ? En quoi est-elle l’amont de l’art, là où – comme pour ceux qui oeuvraient à la cathédrale gothique – il est labeur anonyme, collectivement appris, individuellement transmis, et sans la fétichisation marchande qui ne tient pas à l’art mais à une invention bien plus récente, l’artiste ?

Je l’ai photographiée, avec mon petit Canon à l’objectif flou (si vraiment on retourne tourner en octobre, je m’achèterai un Canon Reflex à crédit). Je dis, de cette cage à rouleau : – C’est beau. À qui, le disant, je m’adresse ? Est-ce qu’il me faut le témoin de cette adresse, et son assentiment, pour que cette notion de beau soit associée à l’objet, qui ne le définit pas lui-même.

En fait, je vous le dis, tout tranquillement, confidentiellement, et puisque vous me faite l’amitié d’une visite : – C’est beau.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juin 2013
merci aux 733 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page