#LedZep 10, horloge, John Bonham part en caravane

Rock’n roll, un portrait de Led Zeppelin


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Si la musique de Led Zeppelin tient sur le batteur, tout cette première partie du livre s’ancre sur ces éléments qui forgent un destin. Et la littérature devient possible quand elle isole un élément symbolique, susceptible de porter le récit sans que la narration devienne épreuve volontaire ou rhétorique. Pour l’adolescence de Bonham, certainement cette simple caravane... Et ancre un rythme plus lent, comme le son de sa pédale sur la grosse caisse : ce que lui-même, Bonham, déclare de la batterie qui est son art, et il en a dit peut-être plus qu’aucun autre batteur – ou alors, là encore, c’est parce qu’il est mort que tout en fut écrit ?

 

 

Aphorisme de John Bonham : « I suppose I’m a bit of a noisy person. In fact I’m probably the noisiest of the four of us. Je crois que je suis plutôt un type bruyant. En fait, même probablement le plus bruyant de nous quatre… »

A quinze kilomètres de Birmingham, en direction de Londres, après Kidderminster, mais encore dans l’orbite de la grande ville industrielle – on appelle ça le Pays Noir, du moins au temps de Dickens (le Dickens du Magasin d’antiquités), le Birmingham des usines, mobilisant les ouvriers de toute l’Angleterre – les Bonham habitent Redditch. Aujourd’hui la ville promulgue ses espaces verts comme s’il y faisait toujours aussi beau que sur les photos, et sur le dépliant de l’office de tourisme il y a l’obligatoire souvenir de la reine en visite, chapeau mauve et bouquet de fleurs dans les mains (mais combien de petites villes anglaises affichant la même photographie, où seule change le nom de la ville), et parmi les usines la menuiserie charpente fondée par le grand-père.

John Bonham a quinze ans quand son père lui offre, d’occasion, son premier kit, batterie complète avec grosse caisse, tom et charleston, qu’on dispose autour de la caisse claire originelle : « De la vraie quincaillerie, plutôt préhistorique, dira le fils plus tard, et moitié rouillée, mais moi je voulais être batteur dès que j’aurais quitté l’école, et mes parents m’appuyaient. »

C’était son rêve. Mais si ça n’avait pas été le rêve préalable du père, dans ses envies de big band, le jardin secret du père artisan, le gamin aurait dû attendre, et il n’y aurait jamais eu Led Zeppelin.

Reste à savoir où on l’installe : c’est bruyant une batterie, et la proximité d’un batteur au travail, apprenti ou pas, insupportable. L’été fini, on ramène la caravane à Redditch plutôt que la laisser près de la rivière, elle est à l’abri dans la cour, et près de l’atelier, avec la scie circulaire et la dégauchisseuse, on ne craint pas les décibels : la batterie du fils sera installée dans la caravane.

Alors, dans sa caravane au fond de la cour, Bonzo ne conçoit pas de jour sans jouer. L’école ce n’est pas son truc, mais prendre ses baguettes et aller tonner du contretemps en solo, oui. C’est mince, une caravane, du dehors on doit entendre comme une horde de tam-tams, mais ça ne dérange personne. Et comme personne ne vient le voir, libre à lui de bricoler l’engin, détendre les peaux pour que ça s’entende même quand rugit à côté la dégauchisseuse ou la scie. Plus tard, Jimmy Page dira qu’hors le travail de studio il devra remiser son ampli Supro parce que, « avec Bonzo, ça ne passait plus par-dessus ».

Dès ces premiers mois, et quel que soit le prix que ses parents l’aient payé, Bonzo bricole. La batterie, c’est des vis, de la mécanique, des tendeurs et des combines. Bonham en a d’abord après sa grosse caisse : plus tard, il la lui faudra toujours plus grosse, quatre pouces au diamètre de plus que les copains. Dès la caravane, et le premier kit, il a l’idée de la doubler à l’intérieur de papier aluminium : ça réverbère mieux le son, paraît-il.

Puis la pédale : s’il enlève la protection, c’est le bois et non le cuir qui frappe, et tant pis si au bout de deux mois il faut changer la peau, on a un vrai son qui cogne. Il s’y connaît aussi en mécanique, les voitures à l’époque on lève le capot soi-même : il se procure une commande à chaîne de fer pour le retour de la pédale là où les autres ont un ressort. Il élaborera plus tard, avec Carmine Appice, pour la marque américaine Ludwig qui les sponsorise, la forme définitive d’une pédale qui s’appellera Speed King, plus rapide et renforcée, taillée pour lui et ses triolets – mais, tout cela, c’est dans la caravane que ça s’amorce.

Tous les batteurs disent que la pédale du pied droit c’est d’abord un battement de cœur, que le rythme on le tient là-haut, sur les cymbales. Des cymbales, pourtant, John Bonham dira toujours qu’il ne les aime pas, s’en sert peu : simplement parce qu’il n’a pas bénéficié, dans ces premiers temps d’apprentissage, de l’initiation d’un autre batteur, et que les cymbales c’est plus technique, cela s’apprend ?

Aphorisme de John Bonham : « I like the drums to be big and powerful. I’ve never used cymbals much. I crash into a solo and crash out with them. I like the sound of drums. They sound better than cymbals : J’aime que les tambours soient larges et puissants. Les cymbales, je ne m’en suis jamais vraiment servi. Pour rentrer dans un solo ou pour en ressortir, là oui. Moi, j’aime la musique des tambours. Ça sonne bien mieux que les cymbales. »

I like the sound of drums : même s’il portera toujours attention aussi à ses cymbales Paiste, à leur taille, ou expérimentera de recouvrir sa charley d’un tambourin, et qu’à écouter n’importe quel disque de Led Zeppelin on les entende sans cesse, fruitful, les fertiles cymbales, Bonzo c’est les tambours, les peaux, et la grosse caisse martelée du pied : parce qu’on cherche toujours à faire que ce cœur batte, qu’on veut le reproduire du pied sur la grosse caisse, et c’est cela qu’à quatorze ans il trouve, peu à peu, dans la caravane garée l’hiver au fond de la cour, tandis que le bruit de l’atelier de charpentier, dégauchisseuses, scies et marteaux, le recouvre certainement. La batterie, comme prolongement des machines à scier, former, assembler les constructions comme, de l’autre côté de la cour, on prépare les charpentes ?

La caravane, ce sera vite le rendez-vous des copains. Souvent même il y dort : ça a l’avantage qu’il peut rentrer à n’importe quelle heure, alors que sinon il devrait escalader le toit pour rentrer à l’aube par telle fenêtre laissée entrouverte de l’étage, à l’insu de ses parents. Et quand il se mariera, c’est dans la caravane qu’on les logera, lui et Pat. Le bref et explosif destin de Led Zeppelin et ses cent millions de disques vendus peut tenir à une caravane dans un fond de cour, à Redditch, près Birmingham, et aux roulements de tambour qui, chaque fin d’après-midi désormais, la secouent sur ses roues.

Aphorisme de John Bonham : « I never sit down and think about things. I couldn’t do what Jimmy does… S’asseoir juste pour penser, non, ce n’est pas mon truc. Je ne pourrais vraiment pas faire comme Jimmy... »


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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 avril 2013
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