semaine pleine charge

images, déplacements, énigmes


On ne sait pas à quoi ça tient.

Choses qui finissent, choses qui commencent, et cela se chevauche. Choses qu’on prépare pour l’année suivante, rendez-vous, explorations. Et le calendrier à trous du mois de mai, qui oblige à tout caser dans peu de jours. Alors on le vit comme une chance, tout en se disant qu’un peu d’air serait mieux, ou qu’un seul de chaque événement aurait suffi à la semaine.

De retour chez soi : une semaine de courrier non ouvert, la liste des choses en retard qui a grandi, les textes à corriger, épreuves (texte sur Echenoz pour Saint-Etienne, texte sur voyages Rabelais pour Actualité Poitou-Charente, projet Arte en retard, et d’autres). Le dossier "mails à répondre" qu’on crée spécialement pour les messages auxquels on voudrait une vraie réponse, comme autrefois une lettre et voilà, on n’a rien fait.

Donc, jour par jour c’est le plus simple, juste histoire que je m’en souvienne moi ? De toute façon, c’est juste des extraits, histoire alors plutôt de caser les photos.

mardi, Beaux-Arts dernière
Dernier cours aux Beaux-Arts. J’aurai fait, l’an passé et cette année, deux séries de 11 cours. Chaque fois 2 heures de pleine impro. Moments forts, moments où on se serait voulu plus fort. Le combat la première année contre l’insomnie systématique de la nuit précédente. Le combat la seconde année pour se risquer chez des auteurs où on n’est pas allé, ce qu’il faut lire, organiser, le chantier de recherche qu’on veut ouvrir, pour aborder l’oeuvre par là où elle est offerte. Je voulais conclure par une réflexion sur l’origine de la langue et l’invention. En faisant petite intro récapitulative, je parle de Lautréamont, en fait ils sont 3 à avoir lu, sur la vingtaine d’étudiants présents en cette toute fin de semestre. J’ai Lautréamont dans l’ordi, alors je parlerai 2 heures de Lautréamont, sans préparation. L’impression d’être allé au bout de quelques chose, d’y être allé vraiment. Au terme des deux heures de cours, découvrir que dans le deuil où je suis, savoir que je ne reviendrai pas, j’ai parlé d’un auteur mort à l’âge qu’ont ceux à qui je m’adresse. Mais c’est bien, aussi. L’an prochain, c’est Bergounioux qui sera là, il ne parlera sans doute pas des mêmes auteurs que moi (Sarraute ou Artaud, sans doute non plus Baudelaire), mais il y aura Faulkner, Cervantès et d’autres. Quel énervement j’ai souvent dans tous ces lieux où le métier est conçu comme charge à vie : nous on commute, c’est juste le moment du commutateur qui est douloureux : j’ai beaucoup appris, merci Gaïta Leboissetier, pour la première fois à 50 balais passés qu’on me demandait de faire un cours de littérature...

Mardi soir, avec le petit groupe Normale Sup, on a la chance d’être hébergé à la Cité Universitaire, résidence Lucien Paye, un bâtiment qui sent bon la cuisine d’Afrique, une manifique salle des fêtes un peu kitch, mais nous avons de l’espace, de belles lumières. Ce mardi soir et encore ce mercredi soir, nous voyagerons dans Michaux. Deux belles séances, textes étranges. La littérature, oui, en partage.

Pendant qu’ils travaillent, je m’offre une balade dans le parc, avec ces visages de tous les pays : l’impression, tellement rare, que le monde encore est possible. Au point que je croise une magnifique pelleteuse. Je mets trois photos.

mercredi, souterrains
J’en ai parlé plusieurs fois dans ce journal. Plusieurs rencontres tout cet hiver avec Emmanuelle Huynh et Matthieu Doze. Eux, c’est la danse. Il ne s’agit pas de commander un texte à un écrivain, mais voyager ensemble vers une parole qui dit notre écart, je note en fait mon voyage vers leur façon de se mouvoir, d’être corps. Ça secoue le mien. Aujourd’hui, nous descendons à nouveau dans les sous-sols de l’Ircam, et Stéphanie Béghain enregistre ces mots qui progressivement se sont mis en place (sur la photo, c’est EH qui vérifie au casque). Peut-être qu’en juin je les mettrai en ligne. Pour l’instant je n’ai pas le droit : ils sont le partage de l’équipe. Matin tôt, studio insonorisé, voix précise de l’actrice à peine chuchotée, modulation dans l’irruption du grain, et tant de vide qu’elle met sous les mots. Je comprends pourquoi c’est si difficile, ce qu’on fait, et cette radicalité nécessaire de l’actrice. Bizarre d’émerger ensuite au plein jour.

L’après-midi rue du Conservatoire, avec les 2ème année du CNSAD. On va se voir pendant 4 semaines, 4 après-midis de suite. J’apporte chaque séance un auteur de théâtre différent, et on se risque avec les mots sur son territoire. On a le temps de progresser sans hâte. Cette semaine on aura eu Kantor, Artaud, Beckett, Sarraute, Duras.

Je les découvre. Grande disparité de parcours : le théâtre décide de qui il va chercher. Grande misère du lieu : un peu déglingue, bien bruyant, et tellement peu d’espace. Ils écrivent dans la rue, mes écrivains. Et comme dedans sur le plancher on n’a pas de chaussures, dans la rue ils sont va-nu-pieds aussi. Immense nouveauté pour moi : s’ils ne connaissent pas forcément tous l’auteur que j’apporte, au moins 2 ou 3 dans le groupe en ont traversé les textes. Alors , entre le moment où j’expose l’exercice, et le moment où ils écrivent, l’un ou l’une prend l’auteur et lit. Et ça a été magique pour Beckett, pour Sarraute, et encore plus ce soir pour Duras. Après, c’est dans cette voix qu’on écrit. On a trouvé, par le partage, ce qu’on avait à faire ensemble. J’aimerais bien les mêler tous, ceux de la rue d’Ulm et ceux-ci (6 langues dans le groupe, espagnol, italien, turc, albanais, anglais...). Plus tard ?

Puis Charles Tordjman prend le relais, et la lecture c’est directement dans l’espace. Mais dans l’espace avec leurs mots, et quelquefois déjà sus par coeur.

jeudi : voyage chez les morts
Non pas chez les morts, mais là où on préparait les cercueils, les corbillards. Prenez 37 000 m2, et inventez en plein Paris un lieu avec des commerces (boulangerie, restaurant, librairie, autres), des résidences d’artistes, 3 salles de spectacle ou concert, y compris rock. C’est le projet du 104, rue d’Aubervilliers. Privilège, nous visitons, Xavier Person et moi-même, accueillis par Robert Cantarella et Frédéric Fisbach. Solides amitiés, toutes croisées (oui, Robert, je te grave le Led Zep). On parle de comment la littérature pourrait venir là dialoguer. Je parle de mes 2 heures aux Beaux-Arts, avec Lautréamont ou Kafka et d’autres : on rêve à des leçons. La semaine prochaine, tout ce qu’on voit va partir en travaux. Je mets les photos en fin d’article (enfin quelques-unes...).

Puis conservatoire. Je descends du métro à Poissonnière et prends à pied par la rue de Trévise : j’habitais là, en 1978, 1979. Paris ne garde pas les traces qu’on voudrait voir. Je regarde des fenêtres, les visages que j’y vois sont dans ma tête.

vendredi : un peu de Désordre
Comme une habitude, descendre métro sur le boulevard au coin de la rue Saint-Denis, retrouver les couleurs du passage du Prado, installer les tables dépareillées dans la salle avec parquet et le vieux piano désaccordé où Benjamin improvise solitairement, tandis que j’installe mon ordi.

Mais aujourd’hui, c’est Philippe de Jonckheere qui m’attend à midi, et on a conférence mondiale de la création Internet à nous deux tout seuls au petit restau japonais du coin de la rue. Croyez-le vous : j’ai déjeuné avec désordre, et on a parlé de la vie.

104 rue d’Aubervilliers avant travaux
104 rue d’Aubervilliers avant travaux
affiches Georges Marchais et Jacques Chirac côte à côte
104 rue d’Aubervilliers, le château d’eau classé
Robert Cantarella, Frédéric Fisbach et Constance de Corbière au 104 rue d’Aubervilliers avant travaux

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2006
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