#LedZep 4, story | Led Zeppelin, le nom

Led Zeppelin, un portrait


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Avancer par touches. Poser le contexte. La scène de formation du Led Zeppelin ce sera juste un éclat de rire. Alors, comme un tableau qu’on voit d’abord comme un tout profus, installer des noms, les Who, Jeff Beck, Peter Grant, jouer avec les tentatives de groupes et leurs noms, puisque c’est quand même une question de nom qui sous-tend toute la musique. Et que celui-ci, Led Zeppelin, est a priori une cassure, une déformation, une invention.

 

4 – Led Zeppelin, un portrait : le nom


Le dirigeable de plomb.

Un nom et pourquoi ça fonctionne. Mystérieux, mais qu’il impose une évidence et coïncide avec une dérive imaginaire collective, de cela on ne décide pas. Ainsi pour le nom d’un groupe de rock’n roll, et l’entreprise financière qui dès l’amont s’y greffe. Pour les fondateurs c’était plus facile, on pouvait s’appeler le scarabée d’argent ou les pierres qui roulent, ou pourquoi pas les portes ou les qui, ou crème ou jolies choses, on pouvait laisser traîner un petit écho de provocation ou de sueur mâle, ou simplement s’en tenir à son nom, mais quand on prend la vague à son plus haut, et qu’on tient à s’y manifester au niveau de ceux qui rament là depuis dix ans déjà, c’est tout cela qu’il faut rassembler, et pas le droit de se tromper.

Lead balloon, c’est une expression de footballeur, des footballeurs anglais du moins. Ballon de plomb : ballon lourd et mou, on essaye une passe et ça loupe, on donne un grand coup dans le ballon boueux mais il retombe à trois mètres, ou bien c’est le type en face, qu’on n’avait pas vu, qui le prend en pleine figure et qui éclate. Lead Balloon, en football, c’est le désastre. Je ne m’y connais pas en football, j’ai toujours détesté le football, mais je sais que dans la langue anglaise l’expression lead balloon a passé du foot au domaine courant : tomber à plat. Les musiciens de l’époque disent qu’ils l’employaient aussi dans ce sens pour la scène. Un concert où on n’arrive pas à accrocher les gens, quelque chose qui vous brise les bras ou bien la guitare qui vous paraît peser trois tonnes, lead balloon. Çà c’est passé comment, hier soir ? Lead balloon.

En tout cas, c’est bien le genre de Keith Moon, des Who. Quand lui et son copain Entwistle plaisantent avec leur chauffeur Richard Cole (on parlera beaucoup ici de Richard Cole) de l’éventuelle formation d’un nouveau groupe, ça leur vient comme dérision, cette idée de nom, une provocation : Lead Balloon, ceux qui plantent, ceux qui ratent. Et Cole aurait rapporté ça à Jimmy Page quelques heures plus tard, comme une bonne plaisanterie et rien de plus puisque ces jours-ci Moon et Entwistle s’imaginent, fin de tournée américaine agitée, lassitude, spirale dangereuse d’un excès devenu marque de fabrique, que les Who c’est fini. Keith Moon et John Entwistle s’imaginent même planter là Townshend le guitariste pourtant fabuleux, et Daltrey leur chanteur rageur et acrobate, et que repartir avec Page comme guitariste et Grant à l’intendance ce serait une vie plus sereine, moins de sueur et autant de fric. Vivre à quatre longtemps, dans un groupe, c’est quasi double fatigue qu’une vie de couple : rare qu’on tienne.

Alors ils ont ça dans la tête, Keith Moon et John Entwistle, lorsque Jimmy Page les invite, avec Jeff Beck, Nicky Hopkins, à enregistrer un morceau qui s’appellera Beck’s Bolero : en gros Ravel à la guitare wah-wah. Deux Yardbirds et deux Who, c’est un coup commercial facile pour un 45 tours, on appelle ça alors « super groupe » c’est la mode, c’est l’époque...

L’image de marque des Yardbirds c’est le duo des guitares solo de Jimmy Page et Jeff Beck, alors ils voudraient sauver l’idée, mais avec des musiciens plus sûrs que leurs compagnons des Yardbirds, dont le chanteur, Keith Relf, est trop alcoolique désormais pour être fiable, et dont la section rythmique n’a pas su évoluer.

Ce le 16 mai 1966, à Londres, au studio IBC, on a aussi fait venir le pianiste Nicky Hopkins, qui va pendant trois ans, ensuite, aider les Rolling Stones à conquérir leur meilleur (c’est lui, la silhouette maigre qu’on voit à l’orgue dans le One + One de Jean-Luc Godard). Il leur manque un chanteur (on a contacté Stevie Winwood, de Trafic, puis Steve Mariott, des Faces), alors pour commencer on va enregistrer un instrumental, mais qu’on trouve le chanteur, et tout serait prêt pour lancer le nouveau groupe.
Mais il y a une autre hypothèse : Jeff Beck, l’ami de toujours, devient de plus en plus compliqué, passe sans prévoir du meilleur au n’importe quoi (« à cette époque-là, il refusait de s’intéresser au public », dit Page). Jimmy Page, depuis quelques mois, s’est imposé comme leader des Yardbirds. Alors offrir à Jeff Beck un 45 tours qui le propulserait dans une carrière solo, ce serait la plus belle ou la moins douloureuse façon de l’éjecter des Yardbirds. Et c’est ce qui se passera, puisque avec le Jeff Beck Group, bientôt, avec Rod Stewart et Ron Wood, il donnera son meilleur.

D’où le fait curieux que Jimmy Page, pour ce Beck’s Bolero, Ravel adapté à la guitare électrique, reste discrètement à l’arrière, quitte, pour se rattraper, à en coller plus tard un petit fragment dans le premier disque du Led Zeppelin.

Alors, le temps de l’enregistrement, on gamberge en plaisantant sur ce groupe génial qu’on fabriquerait avec la rythmique des Who (le plaisir physique que peuvent avoir un Page et un Beck à jouer sur la batterie folle de Keith Moon, une exception de batteur, quand Jimmy Page n’a pas encore découvert, du côté de Birmingham, cette autre exception qu’est John Bonham, lequel deviendra d’ailleurs un ami proche de Keith Moon) et les deux guitaristes des Yardbirds. Un nom ? Entwistle suggère en riant Lead Balloon, ballon pourri, et Keith Moon rebondit en suggérant par pure association d’idées, pour en faire comme une arme de guerre : Lead Zeppelin, le dirigeable de plomb, le ballon qui bombarde.

On n’est pas si loin de Londres sous les bombes : ils sont nés pendant la guerre ou juste à sa fin, et Zeppelin c’est ce danger-là. Parce que la musique dont ils rêvent est forte et violente, capable de traverser les océans et que ce serait jouer le rock’n roll comme on lâche sur une ville des bombes : lead balloon pourquoi pas, mais lead zeppelin ça devient plus dangereux, et définitivement la machine aérienne plutôt que le ras des pâquerettes du football vulgaire. Le Zeppelin est dans l’imaginaire anglais : deux ans plus tôt, quand c’était la furie des petits pin’s accrochés au revers de la veste, ils sont plusieurs à se souvenir que Jimmy Page a eu un pin’s Zeppelin, une petite figurine Zeppelin en plomb.

Et quatre mois plus tard, alors que les Who ont trouvé leur propre rebond (leur opéra Tommy), et que Jeff Beck a décidé de former son Jeff Beck Group, abandonnant les Yardbirds, Jimmy Page se souvient du nom Lead Zeppelin et se l’approprie, ruminer c’est son genre. On avait aussi pensé sérieusement à s’appeler Mad Dogs, chiens fous, mais ça fait trop province et petits jeunes de quartier (le thème du chien, pourtant, qu’on retrouvera dans Black Dog) et, plus dans le goût de l’époque et les titres à la William Burroughs, on a pensé à Whoppee Cushion, du genre : matelas antichoc, genre ces structures gonflables et rebondissantes qu’on propose aux enfants dans les parcs d’attraction, où peut si on veut se jeter dans le vide ou faire semblant.

Mais Page dit qu’ils auraient aussi bien pu s’appeler The Potatoes ou The Vegetables (on ne traduit pas), et que dans l’air il y avait cela, l’alliance du lourd et du léger : côté léger, l’art de faire chanson avec rien qu’une guitare, de Joan Baez à Joni Mitchell cette fragilité, ou côté guitaristes le même défi acoustique de Bert Jansch à Clarence White (légendaire Clarence White : attrapé par une voiture alors que, de retour d’un concert, il sortait son étui à guitare du coffre – faut-il mourir jeune pour transformer d’un seul bloc sa musique en légende ?). Côté lourd, l’arsenal électrique, plombé, rapide, que délivrent les Américains de Vanilla Fudge ou Iron Butterfly, reléguant à leur pop d’origine les petits Anglais de première génération. Deux groupes dont eux, les inconnus, feront la première partie lors de leur initiation à l’Amérique, quand Iron Butterfly connaît gloire et vente partout au monde avec les dix-huit minutes pourtant assez primaires de In a agadda da vida, et affichant dans son nom même ce que sa musique assemble d’immédiat paradoxe, de l’acier au papillon.

Ainsi se serait forgé, loin en amont, le nom Led Zeppelin, la transformation de Lead en Led revenant à Peter Grant qui évalue tout en bons de caisse, parce que les Américains auraient sinon prononcé Leed, comme eux les Anglais la ville (celle du célèbre concert des Who, justement, le grand Live at Leeds) et puis Gee, comme ils surnomment Peter Grant, s’y connaît en noms d’artiste, depuis son passé de catcheur : on écrira donc Led Zeppelin et non pas lead comme dans lead guitar celle qui conduit. Mais avec cette connotation comme fossile d’aller de l’avant, plus léger que l’air mais porteur de bombes ou poison, ou menace seulement, métaphore qui convient au rôle qu’on souhaite voir jouer à Jimmy Page dans ses prouesses sonores, puisqu’on ne sait pas encore qui formera Led Zeppelin et à quoi ressemblera ce qu’ils joueront : ni Plant ni Bonham ne sont encore prévus au programme, dans les rêves de Jimmy Page et Peter Grant, quand ils commencent leurs auditions et recherches.

Et c’est bien tout cela ensemble qu’il y avait ce mois de mars 1969 sur la pochette gris acier que les Américains connaissaient depuis janvier, et à quoi les radios nous avaient préparé : un dirigeable qui se désintègre, rejoint par sa propre explosion, et pour nous l’appellation opaque mais fière, un nom d’attaque, avec un zeste d’insulte comme un doigt tendu ou bandaison proclamée, Led Zeppelin (une descendante du comte Zeppelin leur en cherchera noise deux ans plus tard, mais sans réussir).


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 avril 2013
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