Une traversée de Buffalo | bifurcation 1 | aires de repos urbaines

se mettre à l’écart, s’isoler, réfléchir


Une bifurcation de 7 figures dans le chantier Buffalo. Accéder au livre Une traversée de Buffalo.

 

Il manquait une signalétique. On avait réfléchi longtemps, entre temps on les construisait, on ne savait pas trop comment les appeler ni les signaler, du coup on s’était habitué à ce qu’elles existent et que l’usage s’en constitue, même sans nom ni sigle qui les indique sur les plans ou le long des grandes voies, et finalement on avait pensé que cela déterminait aussi leur propre spécificité : pour que les aires de repos urbaines soient elles-mêmes, il ne fallait pas les indiquer, et tant pis si vous ne saviez plus retrouver celle où vous vous étiez longtemps arrêté l’avant-veille, et pas de sigle qui les indique, comme on avait des signes pour sens interdit, sens unique, impasse, voie express, parking – ce n’étaient pas des parkings – et ainsi de suite. On avait beaucoup hésité, c’est ce qui appelait le meilleur consensus de toutes les consultations pour un signe, sur l’emploi d’un simple point d’interrogation : ? Parce qu’il était le signe diacritique qui correspondait le mieux à l’aire de repos urbaine telle qu’en apparaissait la forme sur les cartes et plans, parce que simplement c’était ce qu’ici on venait faire, s’interroger, interroger, réfléchir, faire le point ou simplement prendre écart – le succès des aires urbaines tenait à cette suspension de soi-même, l’ouverture qu’on en tirait. Dans les voies express qui s’éloignaient de la ville, on connaissait les aires urbaines traditionnelles : s’arrêter un instant, récupérer de la fatigue de la conduite, consulter son téléphone ou ses réseaux, dormir un peu ou manger ou autre besoin dit naturel, et puis repartir. Elles étaient aussi des aires de commerce, de distraction, d’une socialité encore partiellement non révélée dans ses possibles : l’aire vous sépare des contraintes du monde. C’est un peu de tout cela, moins le commerce, qu’on avait voulu reconduire dans la version urbaine. Vous preniez la petite allée, le tronc du point d’interrogation, et il vous menait à la boucle. Vous choisissiez votre orientation, en fonction du soleil, en fonction de la ville, en fonction de vos pensées. Et libre à vous ensuite de rester le temps que vous vouliez. La ville était loin, semblait beaucoup plus loin qu’elle ne l’était réellement. Les soucis s’éloignaient, du moins était-on un instant plus fort pour les affronter. Et personne ne viendrait vous chercher là, à preuve que vous-même auriez probablement du mal à retrouver cette aire particulière, et où se greffait l’allée qui y menait. La ville ne respire pas naturellement : il faut créer ces alvéoles qui ouvrent le temps. L’espace de la ville est contraint : c’est dans l’espace de la ville qu’on doit recréer le rond qui ouvre l’espace. On regardait les arbres, on regardait le ciel (il n’y avait rien d’autre). Et il n’était pas rare ainsi de voir un véhicule s’arrêter vingt minute, deux heures, voire un jour et une nuit, la personne restant au volant, pensive, calme, avant de lentement repartir. Nombreuses étaient désormais les aires de repos urbaines dans l’étendue de la ville.

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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 février 2013
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