la Terre est morte à Buffalo | on avait laissé s’endormir les avions

une ville se suffit à elle-même, pourquoi aller voir ailleurs si c’est pareil ?


Enfant nous avions de ces jouets : un alliage de laiton, un peu lourd, un peu dur. Nos petites voitures, avec leurs pneus en vrai caoutchouc (il desséchait, à force) avaient les lignes rondes qui étaient d’usage à l’époque. Nos avions étaient pointus, avec des angles aigus, et on ne voyait pas l’intérieur en détail (ils disposaient parfois de portes ouvrantes, pour le cockpit et la soute, et même, je me souviens, d’un autre dont le train d’atterrissage se repliait comme les vrais). Les avions grandeur nature ne sont que l’extension de ces jouets, et pas l’inverse. Nous lançons à travers les océans et par dessus les nuages ces angles et ces ailes plus lourds que l’air. Les villes s’assemblent par leurs pistes qui sont comme d’étranges trouées rases, avec leurs parallèles et leurs dessertes, et pour répartir les arrivées et envols, les bâtiments se prolongeaient par des satellites en étoile qui semblaient déjà appeler l’accostage des étroites carlingues. Un jour, il avait été interdit de voler, et puis ce furent trois jours, alors on décida que cela pourrait être plus jamais : la ville maintenant devenue totale. Un jour par an, dans un grand élan du ciel, on recomposait toutes ces lignes, les familles s’échangeaient, on partait au loin, on reviendrait au prochain battement. Les avions en attendant restaient là, au pied des passerelles de verre. Les enfants venaient visiter, le voyage était intérieur. On avait, pour une fois, le sentiment d’avoir vraiment progressé : qui y perdait quoi ?

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 mai 2010
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