formes d’une guerre | marchant...

de comment la fiction s’installe dans le texte oral


note de mai 2011
1er texte repris lors des séances Poitiers pour s’accorder avec les boucles du percussionniste.

note de décembre 2010
Travaillant ce texte ce matin, directement au micro, avec Dominique Pifarély et Michele Rabbia, il dérive vers une sorte de fiction, les images naissant dans le temps même où on les prononce, le texte peut les promener à des niveaux différents – au bout de la matinée de travail, grande interrogation sur son statut, et ce qui s’y passe.

J’avais complètement oublié que ce texte résultait d’une expérience en direct de propagation twitter, depuis l’appartement en sous-sol mis à ma disposition par l’Institut Canadien à Québec :
écriture discontinue pendant 55 minutes via 28 messages de 140 caractères maximum composés mentalement, ces contraintes étant fixées préalablement à l’écriture

Ce soir j’ajouterai première vague captation audio à l’iPhone.

 

ceci est une fiction, travail du 8 décembre 2010


Marchant. Marchant à tâtons. Marchant à tâtons dans les couloirs intérieurs. Entendant les grognements habituels dans les rues mornes. Entendant les murs qui tremblent et les cris dehors. Ne voyant rien encore mais dans le jour naissant ces sirènes qui précédaient la naissance des masses grises, la ville. Sur la rocade tu entends les voitures les camions qui foncent. Et vous là qui parliez. Lui se souvenant de la frontière passée dans la nuit à l’arrière de ce camion : comme il se taisait. C’est la peur, je lui avais demandé, non, le froid, l’incertain il m’avait répondu. Ce bruit, bruit au-dedans, permanent bruit d’écroulement mais c’est dedans. Les communications devenaient de plus en plus difficile, il disait : dans leur ville, il fallait encore descendre, s’agripper, éteindre, se taire. Les machines se comportaient de façon erratique : c’était d’évidence – est-ce que ce n’était pas alors la source de tous les problèmes ? On a eu trop confiance, disait le type – trop de confiance en qui, trop de confiance en quoi je demandais ? Il se taisait. Trop de confiance en nous, en la ville, en nos machines, je demandais ? Il se taisait. Il riait – à quoi tu penses, je demandais ? On était dans ce camion, on roulait, les phares n’éclairaient qu’un espace si limité de la route droite, toute droite, la rocade tournant autour de la ville. Écrire, écrire juste comme ça, sans s’en mêler, la machine captant ce rêve et ce qu’il disait le type, dans ce camion où vous rouliez. Et toute trace du rêve qui s’annihilerait ensuite dans ces dépôts écrits, tout comme le rêve lui-même on le gomme on l’oublie. Mais ici ce n’est pas un rêve, il te rétorquait tandis que le camion roulait : en bas, à même le bitume, les morts – il te montrait. Le cimetière, en contrebas, qu’on apercevait. Se souvenir brutalement de l’enfance, des ciels calmes, de l’eau tranquille, du bruit des repas, lui il riait, on roulait. C’était un pays qui se fondait au nôtre, le pays qu’il cherchait : un parking, une cave, ça suffisait pour vivre, il disait et on passait de la ville habituelle à celle qu’aussitôt on reconnaissait, la ville noire de tes rêves alors tu te réveillais, tu le regardais, tu l’entendais. Parler n’est pas une solution, il disait : on parle trop, chez vous, il disait – ceux qui continuent, ici, dans les couloirs, et tournent sans trouver d’issue. Des salles entières, plafonds très hauts, galeries vides, lumière morne : pour ceux qui parlent, et ne se regardent pas. Nous dans le camion on roulait. Qu’emportes-tu avec toi ? Il n’était pas assez vêtu, il avait froid, il tremblait. Sur la rocade on n’avançait pas. Dans les couloirs sous la ville c’était à nouveau attendre. Les bruits : coups sourds, craquements, cris lointains. Il n’y avait plus de temps, tu pensais, et le temps des villes avait fini. C’est à cet instant bien sûr, alors lui qui, mais comment même ce n’était pas arrivé plus tôt, que.

 

une fuite (version initiale, octobre 2009


marchant à tâtons dans les couloirs intérieurs

entendant les grognements noirs habituels dans la ville morte

entendant les murs qui tremblent et les cris dehors

ne voyant rien encore mais dans le jour naissant les sirènes qui précèdent les masses grises qui foncent

se souvenant de la frontière passée dans la nuit à l’arrière de ce camion : comme on se taisait

c’est la peur, je lui avais demandé, non, le froid, l’incertain elle m’avait répondu

ce bruit permanent d’écroulements

au lieu de la foule attendue, rien, à peine quelques silhouettes aperçues loin dans ces caves : qu’avaient-ils fait des gens ?

les communications devenaient de plus en plus difficile : et ici, il fallait encore descendre, s’agripper, éteindre et se taire

les machines se comportaient de façon erratique : c’était d’évidence – est-ce que ce n’était pas alors la source de tout ?

on a eu trop confiance, disait ce type – en quoi ? en tout, en nous, la ville, nos machines, et que survivre serait possible de toute façon

il riait – à quoi tu penses ? aux cimetières, là-haut, doivent être beaux, les cimetières

on avait finalement trouvé ce camion, on roulait, les phares n’éclairaient qu’un espace si limité de la route toute droite

écrire juste comme ça, sans s’en mêler, la machine captant tes rêves

et toute trace du rêve qui s’annihilerait ensuite dans ces dépôts écrits, tout comme le rêve lui-même on le gomme on l’oublie

mais ici ce n’est pas un rêve, il te rétorquait tandis que le camion tremblait : en bas, à même le bitume, les morts

se souvenir brutalement de l’enfance, des ciels calmes, de l’eau tranquille, du bruit des repas, lui il ricanait, on roulait

c’était un pays qui se fondait aux nôtres, un parking, une cave, et on passait de la ville habituelle à celle qu’aussitôt on reconnaissait

au-dessus de nous les eaux, le vent, et leurs vitrines, ah tu t’en souviens, des galeries et vitrines : la réalité est noire, et obscène

on dit que les livres oubliés là-haut ont été rassemblés, j’ai vu, une fois : des rampes en spirale, une étendue morne, des empilements

parler n’est pas une solution : on parlait trop, là-haut – ceux qui continuent, ici, dans les couloirs, tournent sans trouver d’issue

des salles entières, plafonds très hauts, galeries vides, lumière morne : pour ceux qui parlent – ils ne se regardent pas, ne s’écoutent pas

qu’emportes-tu avec toi ? on dit qu’un carnet suffit à tous les renseignements

on n’était pas assez vêtu, on avait froid, on tremblait

c’était à nouveau attendre

les bruits continuaient : coups sourds, craquements, cris lointains

il n’y avait plus de temps, tu pensais, et le temps des villes avait fini

et c’est à cet instant bien sûr, mais comment même ce n’était pas arrivé plus tôt, que

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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 mai 2011
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